"Fabrique du collectif : osons le conflit salutaire !" avec Laurent Quivogne

Date de la venue de l'invité: 
Mercredi, 20 décembre, 2023

« J’aimerais qu’il y ait plus de conflits dans le monde pour qu’il y ait moins de violence » : c’est ainsi que Laurent Quivogne[i] débute son intervention à la Matinale organisée par le Club.
Comment faire pour que les « conflits » ne dégénèrent en violence ? C’est l’idée qui anime la réflexion de son livre « Oser le conflit, éviter la violence : pour des relations apaisées » (2023).

Le titre -et c’est un peu son objectif concède Laurent- interpelle et fait mouche. Car le sentiment général est que la violence augmente autour de nous et que, sans aller jusqu’à parler des récentes « émeutes » qui ont touché notre pays, beaucoup de « débats » en sont de plus en plus empreints,  que ce soit sur certains réseaux sociaux, dans des émissions télévisées ou dans des lieux autrefois réputés pour leur calme policé (nous évoquons là le récent « ferme ta gueule » du président du Sénat), qui tendent à devenir de véritables arènes. 

Entendons-nous bien sur la définition du mot « conflit » : pour Laurent il s’agit d’une situation (et très courante dans la vie de tous) où il existe « un désaccord qui nécessite un ajustement ». Justement pour éviter que ladite situation ne dégénère en violence, quelle qu’en soit la forme.

Avec son expérience d’animation de toutes sortes de groupes, dont certains traversés par des tempêtes, Laurent nous a proposé un regard original sur le fonctionnement du collectif et des pistes pour que, ensemble, nous puissions restaurer les bases de débats fructueux et apaisés.

Pour lui il faut d’abord avoir en tête que dans la plupart des cas c’est l’évitement du conflit qui est le plus souvent la source de violences. Symptôme de la difficulté, peut-être croissante dans nos sociétés, à « se frotter à l’autre » et finalement expression d’une forme de négation de l’altérité, pourtant consubstantielle aux relations humaines. Ses manifestations sont assez nombreuses et induisent des effets pervers (au sens où l’on aboutit précisément à ce qu’on souhaiterait éviter).
Comment changer cela ? Pour lui, un certain nombre de pistes se dégagent pour organiser des « conflits sains » qui permettent de « faire société ». Ses propos ont résonné avec le sentiment de beaucoup des personnes présentes à la Matinale (parfois coutumières des méthodes de facilitation des échanges en intelligence collective) : c’est bien de cela dont manque aujourd’hui le débat public…

L'évitement du conflit : des symptômes révélateurs de la « négation de l’altérité »

Laurent Quivogne a mis en avant trois phénomènes d’évitement du conflit révélateurs de la difficulté (croissante ?) éprouvée aujourd’hui à « se frotter à l’autre ».

Tout d’abord l’inflation des règles. Elle touche beaucoup d’organisations (surtout les plus grandes) et, au niveau plus global, notre société avec une véritable inflation de lois (la fameuse loi Immigration de décembre n’est guère que la 29ème qui prétend régler le problème depuis trente ans).
Laurent Quivogne évoque la pensée de François Dupuy (« élève de Crozier »), spécialiste du management des organisations (cf. les deux volumes de « Lost in management », très connus dans le milieu de l’entreprise). Souvent le premier réflexe, quand cela ne se passe pas bien, c’est de vouloir changer la « structure », c’est-à-dire ce qu’on pense être l’organisation mais qui ne l’est que sur le papier… Pour Laurent Quivogne c’est très révélateur de la part des managers de « ne pas vouloir aller au contact ».

Ensuite il évoque l’indignation. S’indigner n’est une bonne chose que si cela pousse à l’action. Sinon c’est encore un moyen de ne pas vouloir affronter l’autre. On s’indigne mais on ne va pas chercher à entrer en relation avec le(s) responsable(s) de son indignation…

Enfin, pour éviter le conflit, quoi de mieux que d’imposer ses vues ? Et là Laurent Quivogne met en garde contre « la tentation de la dictature ». Et évoque Myriam Revault d'Allonnes qui dans son ouvrage Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie explique combien la démocratie est une forme de gouvernement où règne l’état d’incertitude et de conflit permanent. Pour lui le conflit, donc le débat, est une condition de la démocratie.

Encore faut-il que ce débat soit sain.

 

Apprendre à organiser dans les groupes des conflits sains qui permettent de "faire société"

Comment faire en sorte de faire émerger des conflits « sains », c’est-à-dire qui permettent d’éviter d’entrer dans l’engrenage de la violence ?

Pour Laurent Quivogne, cela peut se faire à condition d’installer un « cadre » propices aux échanges. Un cadre qui permet à la fois de faire émerger (on peut parfois même parler de « purger ») les conflits/désaccords pour en débattre ensuite de manière saine et pour aboutir à ce que communément on appelle leur « résolution ».
Remarque : Laurent Quivogne l’a bien dit, il ne parle pas ici des conflits entre Nations. Mais on pourrait peut-être bien s’en inspirer…

Comment y parvenir ? C’est-à-dire finalement comment parvenir à fabriquer un collectif harmonieux ? [ii]

Lors de son intervention et des échanges ont été évoquées plusieurs « pistes ».

L’importance de « tricoter du collectif » dans les groupes.
Pour cela il faut travailler « maille après maille », faire échanger les participants entre eux. En binômes, en trinômes, tous ensemble.
Cela nécessite de ménager des espaces de temps pour écouter les autres. C’est d’ailleurs peut-être ce que nos gouvernants ne se donnent pas : dans l’urgence souvent on cherche à « raccommoder »…

Cela suppose aussi de travailler, quand on réunit des personnes par nature différentes (et en l’occurrence en désaccord sur tel ou tel sujet) sur « l’inclusion », phase en quelque sorte préparatoire aux échanges que les habitués des débats en intelligence collective connaissent bien. Lors de cette étape essentielle, le « partage » commence. C’est le début du maillage. Chacun livre un peu de lui aux autres. Mais pas de sa « pensée ». De ce qu’il ressent, de son « humeur » par exemple.
Car un vrai déficit de notre société où la raison domine peut être combattu dans l’organisation des échanges au sein des groupes : laisser émerger (et faire partager) des sensations, des émotions. « Ce monde ne se pense pas uniquement, il se vit, émotionnellement et physiquement ».
NB : la méthode du « psychodrame » élaborée par le psychiatre Moreno a été évoqué plusieurs fois par Laurent Quivogne.

On peut enfin citer une posture essentielle : la « suspension du jugement ». Laurent a parlé à ce propos du risque de « l’essentialisation » : on pourrait résumer cela de manière un peu sommaire mais qui a l’avantage de la clarté par « ne pas chercher à faire entrer les autres dans des cases ». Plus facile à dire qu’à faire… Et c’est le rôle de ceux qui accompagnent les groupes, comme Laurent, de faire en sorte que la consigne (car c’en est souvent une, explicite) soit respectée. Vaste challenge !

 

N’hésitez pas à aller visionner la vidéo de l’intégralité de l’intervention de Laurent Quivogne et des échanges qui ont suivi sur notre chaîne YouTube (ci-dessous).
Des extraits de la Matinale seront postés comme d’habitude sur notre page LinkedIn.

 

[i] De formation ingénieur, puis fondateur et dirigeant d’entreprises dans le secteur de l’informatique, Laurent Quivogne accompagne aujourd’hui les dirigeants et leurs équipes dans les situations de conflit ou d’incertitudes, pour que la parole circule plus librement dans les organisations. Il est aussi thérapeute et a publié en 2016 « Se nourrir de l’incertitude pour entreprendre » (2016).

[ii] Et ne nous empêchons pas, par analogie, de parler de « fabriquer de la cohésion sociale » dans un pays…

 

Intégrale de la Matinale avec Laurent Quivogne : "Fabrique du collectif : osons le conflit salutaire !"
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