Le mutualisme, un modèle économique alternatif exigeant

Date de la venue de l'invité: 
Vendredi, 12 mai, 2023

Fort de son expérience de mutualiste, Christian Oyarbide[i] vient de publier dans la collection Mondes en transitions « Réinventer le mutualisme ». En filigrane dans son livre comme régulièrement au long de son intervention au Club, il appelle les dirigeants mutualistes à mieux tenir les « promesses » qu’ils font à travers l’affichage de valeurs fortes mais exigeantes « affichées sur leur fronton ». Pour lui le mutualisme est bien placé répondre aux nouveaux besoins d’une société en quête d’utilité sociale et de sens. Et pour y parvenir l'une des questions essentielles à se poser est : "peut-on encore être utile" ? Cela implique pour le mutualisme de prendre conscience de sa singularité et de ses capacités d’action.

Au cours de son intervention Christian Oyarbide revient à de nombreuses reprises sur les grandes valeurs qui fondent la mutualité et alimentent (devraient alimenter[ii]) sa singularité. Au premier chef la solidarité et  la démocratie, valeurs « incontournables » mais exigeantes à mettre en oeuvre.

La solidarité parce que c’est pour lui « l’essence des mutuelles, leur raison d’être, leur mission ». C’est sur elle que repose en grande partie l'utilité spécifique des mutualistes.
Ainsi la raison d’être de Mutlog, mutuelle du logement qu’il dirige, est "l'homme au coeur du logement ». Au-delà de la prestation "assurance-emprunteur", il s'agit de faciliter l'accès au logement. De la même manière, une mutuelle santé a pour vocation première de donner accès à la santé, ce qui va bien au-delà de la prestation de "complémentaire santé qui rembourse des médicaments". Et c'est ainsi que l'argent des adhérents est "utile" ! Respecter cette valeur nécessite donc de faire l’effort de créativité nécessaire pour imaginer des actions à mener et, quand on fonctionne en BtoBtoC, pour identifier les personnes en difficultés à aider (chez Mutlog, des aides au déménagement ont ainsi été fournies par l’intermédiaire des bailleurs). Mais cela ouvre aussi énormément les possibilités d’intervention de chaque mutuelle. Et répondre à l'exigence « d'être utile au-delà des prestations contractuelles n'est pas qu'une question de moyens » explique Christian Oyarbide.
La démocratie quant à elle est inscrite dans le code de la Mutualité... C’est sur elle que repose la gouvernance des mutuelles (principe démocratique d’égalité entre les adhérents, « un adhérent, une voix ») dont les conseils d'administration sont composés d'administrateurs élus par les adhérents réunis en assemblée générale.
Les Mutuelles doivent rendre compte à leur adhérents de l’utilisation de leurs cotisations en toute transparence, ce qui implique qu’elles fonctionnent démocratiquement et qu’ils aient un véritable pouvoir d’interpellation (pour faire vivre le débat sur l’utilisation des cotisations, Mutlog a choisi d’avoir un Conseil d’administration élargi à trente membres dont dix désignés statutairement).
Mais là aussi, respecter et faire vivre la démocratie n’est pas tâche aisée, encore faut-il que ce débat prenne toute sa place et que le Conseil d’administration ne se consacre pas exclusivement aux problématiques techniques et réglementaires qui s’imposent à tous les acteurs du marché.  « On a imposé tellement de réglementations, de règles de concurrence, d’obligation de performance que finalement on n’a plus d’espace pour faire de la démocratie car tout est donné par les textes et cela devient tellement compliqué que nos élus mutualistes n’ont plus les armes pour gérer ça, (…) dans les conseils d’administration on va voter des rapports réglementaires, très compliqués dont en fait seuls se soucient les actuaires et les commissaires aux comptes ». Dans le domaine de la santé, typiquement, c’est l’Etat qui définit le panier des garanties et in fine « les outils de pilotage économique sont donnés par l’extérieur ».

Finalement, Christian Oyarbide évoque sa surprise, en arrivant dans l’univers des mutuelles, d’avoir constaté qu’il n’existe pas vraiment de normes de management spécifiques qui permettraient d’apprécier dans quelle mesure elles s’inspirent de ces valeurs. Elles définissent leurs règles de fonctionnement interne en fonction des contraintes extérieures (réglementation, solvabilité, pérennité) qui s’imposent à tous les acteurs, qu’ils soient mutualistes ou capitalistes.

Les échanges avec les participants ont permis d’approfondir cette notion « d’utilité spécifique » des Mutuelles qui justifient leur existence en tant que telles.

Mutuelles et développement des « sociétés à mission » : le risque de la banalisation ?
Certaines mutuelles ont décidé de devenir des sociétés à mission, mais pour Christian Oyarbide ce n’est pas une voie à privilégier. Car ce faisant, elles adoptent un référentiel extérieur qui les banalisent par rapport aux sociétés capitalistes qui peuvent faire le même choix.
« Nous mutualistes devrions plutôt faire l’effort de travailler collectivement nos référentiels, qui seraient de fait bien plus exigeants et ambitieux que les référentiels RSE (…) Car après tout si on n’est pas capables de faire la démonstration qu’on fait plus ou différemment des autres il n’y a pas de raison que le mutualisme continue d’exister ». Et avec la CSRD européenne, « beaucoup nous rattrapent »…

Les mutuelles ont mis en place exactement les mêmes outils de contrôle de gestion, centrés sur le très court terme, que leurs concurrents capitalistes. Peut-on se libérer de ce conformisme managérial ? Mutlog y est-elle parvenue ?
En effet, les outils de management et de contrôle des mutuelles ne sont pas différents de ceux des autres entreprises. Ils privilégient la même vision court termiste de l’activité et des choix financiers.  Pour acquérir une véritable légitimité mutualiste, elles devraient faire l’effort de construire leur propre référentiel, intégrant les contraintes imposées par les régulateurs, mais allant bien au-delà des chiffres pour orienter le pilotage des opérations. Il y a un effort collectif à fournir pour construire des outils de pilotage de la performance différents de ceux des sociétés de capitaux.

Et la « non lucrativité » des mutuelles devrait être une valeur qui guide dans l’élaboration d’outils spécifiques différenciateurs. Car in fine, quand une mutuelle, qui travaille avec l’argent de ses adhérents (les cotisations), dégage un bénéfice, économiquement cela veut simplement dire qu’elle a demandé à ses adhérents plus d’argent qu’il ne lui en fallait pour remplir ses obligations… Le résultat annuel n’est pas un critère de performance.
Mutlog par exemple, respectant largement les critères de capitaux propres imposés par la réglemention Solvabilité 2, commence à présenter ses résultats comptables en fonction de leur utilité pour ses différentes parties prenantes. Mais elle n’est qu’au début de ce processus.

Les adhérents des Mutuelles exerçant en général une vigilance plus souple que les actionnaires des sociétés de capitaux (qui veulent un « retour de leur argent »), le respect des valeurs mutualistes repose essentiellement sur les dirigeants. Quels en sont les risques ?
Aujourd’hui, la conformité de l’action des mutuelles à leurs valeurs d’origine dépend effectivement largement de la bonne volonté des dirigeants. C’est au niveau collectif que les mutuelles doivent se mettre d’accord sur un socle d’exigences mutualistes qu’elles s’engageront à respecter.

Finalement, aujourd’hui il est essentiel (et opportun) de  « donner un coup de jeune au modèle mutualiste ». Pour Christian Oyarbide c’est en réfléchissant collectivement aux formes d’engagement nouvelles qu’on peut solliciter. En faisant vivre la spécificité des mutuelles : « il ne s’agit pas de « servir une marque » mais de s’engager auprès des gens qu’on doit servir, c’est cela l’engagement mutualiste ! »

La vidéo intégrale des interventions et échanges est disponible ci-dessous pour tous ceux qui n’ont pu y assister et souhaitent en savoir plus !

[i] Aujourd’hui président des mutuelles Mutlog et Mutlog Garanties après avoir dirigé La France mutualiste puis l’Union mutualiste retraite, Christian Oyabide a également cocréé et présidé le Cercle Vivienne, think tank des acteurs de la protection sociale.

[ii] Christian Oyarbide le dit à plusieurs reprises quand il « critique » le fait que ces valeurs ne se traduisent pas toujours dans la réalité des modes de fonctionnement et des actions des mutuelles : «  cela ne veut pas dire que personne ne fait rien mais que, collectivement, on a du mal à les incarner ».

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