L’aventure incertaine de la Planification écologique

Le Président a fini par trancher. Après quelques retards, la « planification écologique à la française » est sur les rails. On peut à la fois s’en féliciter et s’interroger sur la suite. Une étape a été franchie mais le chemin est long et incertain.

Une étape a été franchie

Une mutation intellectuelle et politique

Premier mérite, et ce n’est pas le moindre : le concept de planification est reconnu. L’on assiste à une prise de conscience partagée par les principaux acteurs économiques (dont les grandes entreprises)  que la transition écologique ne peut être confiée au seul jeu du marché et que l’Etat doit déterminer des règles, fixer des objectifs et des délais et assurer la cohérence de la démarche.
Cette prise de conscience n’est pas limitée à la France, même si le mot »plan » n’est pas toujours utilisé. Aux Etats-Unis, c’est le Green New Deal (soit une référence au New Deal de Roosevelt) avec un plan de relance sur dix ans (American Recovery Investment Act) et surtout l’Inflation Reduction Act (2022), IRA, qui apporte un soutien massif (360 Mds USD) au développement des industries vertes et aux régions dépendantes des énergies fossiles.
En Chine, le concept de civilisation écologique est mis en avant et se traduit en mesures concrètes dans le 14e plan quinquennal de 2021.
En Union Européenne, temple du libéralisme, des plans ambitieux ont été adoptés (fonds d’investissements, politique industrielle).
Le capitalisme montre une nouvelle fois sa capacité d’adaptation.

Une création originale : le SGPE

Second mérite  : une méthode et une organisation  originale. A la base une cellule restreinte placée auprès de la Première ministre, le secrétariat général à la planification écologique. Depuis Jean Monnet, l’expérience française montre l’efficacité d’un dispositif interministériel léger ayant l’appui direct de l’autorité politique qui a le pouvoir d’arbitrer. Le secrétaire général, un ancien conseiller d’Emmanuel Macron, a accompli un travail considérable dans la discrétion depuis juillet 2022, la Première ministre s’est impliquée personnellement dans le processus et le Président dans le cadre  d’un Conseil national de la planification a officialisé et solennisé la démarche. Remarquons que le Haut-Commissaire au Plan a été laissé de côté.

Des objectifs chiffrés avec le concours des entreprises
Un dialogue s’est noué avec les entreprises et a abouti à des objectifs de réductions sectorielles d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 avec un point de passage en 2030.
Six thématiques ont été déclinées (se déplacer, se loger, mieux produire, mieux consommer, préserver l’écosystème…) de même que vingt-deux chantiers d’action. Les leviers du changement sont l’innovation technologique (modifier  la façon de produire)  et le changement de comportement,  imposé (les normes) ou spontané (la sobriété)

Une dimension contractuelle et territoriale
Dans la logique d’une économie de marché, cette planification sera contractuelle : des contrats seront signés avec les 50 sites industriels les plus émetteurs de gaz à effets de serre (soit 60% des émissions industrielles). Déjà des résultats significatifs ont été obtenus.
Elle devrait être aussi décentralisée, la décarbonation impliquant des initiatives de taille très variables émanant d’acteurs très diversifiés. Des conférences des Partie Régionales (COP) coprésidées par le préfet et les présidents de Région doivent élaborer un plan sectorialisé d’ici l’été 2024 « aligné avec les objectifs nationaux, fondé sur un diagnostic régional et proposant des leviers d’action. Des contrats sont prévus en vue de la réussite de la transition écologique. Délai bien court pour mettre en place une planification stratégique, même s’il existe déjà des matériaux, variables selon les régions.

Des premiers financements assurés

Troisième mérite :  l’existence de chiffrage et de premiers  financements. La planification écologique sera coûteuse : 66 Mds par an selon le rapport de Jean Pisani, dont 33Mds de crédits publics. Ce « surinvestissement vert » représente plusieurs points de PIB, au moins 2%. Une répartition de l’effort est prévue : entreprises (50%) , État (25%) , particuliers (25%) Sept milliards d’euros supplémentaires sont inscrits dans le projet de loi de finances 2024. L’effort est sans précédent.

Mais il reste beaucoup de points d’interrogation

Symétriquement on doit s’inquiéter.  Les lacunes et incohérences sont nombreuses au stade actuel.

Certaines sont inévitables pour une « première », alors que tout -ou presque– est à inventer. L’objectif à atteindre est précis, la décarbonation, mais les moyens à mettre en œuvre ne sont que partiellement connus. Ainsi :  la part des innovations techniques qui devrait croitre avec le temps, le degré de participation des territoires,  l’inflexion indispensable des comportements individuels et collectifs, voire l’apport de la planification européenne. La planification écologique doit être en mesure de s’adapter, de corriger d’inévitables erreurs et de compléter. Elle sera aussi influencée par les aléas de la conjoncture.

Mais d’autres lacunes auraient pu être évitées et sont de nature à faire échouer le processus.

Complexité administrative et fragilité juridique

Première faiblesse : un dispositif complexe, voire confus et juridiquement incomplet.
A côté d’un indispensable secrétariat général à la planification, coexistent deux ministères chargés de la planification : le ministère de la Transition écologique (avec un Commissariat au développement durable) et de la Cohésion des territoires  et le ministère de la Transition énergétique, un Haut-commissariat au plan, de nombreux organismes d’études ou des conseils à l’échelle nationale ou régionale (France Stratégie). Bien sûr, Bercy n’a pas disparu.

Le document stratégique n’est pas directement opérationnel. Ce n’est ni un projet de loi ou de décret et il ne comporte pas d’engagement financier. Il est dépendant des lois de programmation (certaines ont déjà été adoptées comme pour l’énergie) et des lois de finances, parfois incomplètes ou contradictoires.

Lacunes financières

Deuxième faiblesse : le financement sur la durée du Plan n’est pas assuré.
Au-delà de 2024 (pour autant que la loi de finances votée soit conforme au projet), l’incertitude est forte. La France ne dispose pas de marge budgétaire, elle est lourdement endettée et soumise à la surveillance de Bruxelles. En cas de crise, des économies s’imposeront et les crédits d’investissements sont les plus faciles à annuler.                                                                              
Le financement des entreprises (la moitié de l’effort total) est également fragile, même si le plan prévoit des incitations financières (exonération de charges, subventions) et cela suppose que les banques s’engagent, alors qu’une baisse sensible des taux d’intérêt est peu probable. Une difficulté majeure est qu’en termes strictement financiers beaucoup d’investissements « bruns » continuent d’être plus rentables que les investissements de décarbonation. Un mécanisme est à inventer : celui du prix de la tonne de CO2 économisée, afin d’accélérer la réorientation des investissements. Les entreprises recevraient un financement pour chaque tonne de CO2 économisée. Un tel financement n’est concevable qu’à l’échelle européenne, avec une contribution exceptionnelle de la BCE.

De manière plus générale aucune projection macroéconomique de moyen terme (croissance, prix, échanges extérieurs, taux d’intérêt) n’est associée à la planification écologique. Il est vrai que de telles projections sont difficiles à établir et  qu’elles susciteraient des débats.
Le gouvernement a fait des paris : la planification écologique est compatible avec le retour à une hausse des prix annuelle de 2,5%, ce dont on peut douter ((l’effort exceptionnel d’investissement  demandé aux entreprises, la hausse du prix des matières premières et de l’énergie auront des effets inflationnistes).
De même, le gouvernement affirme que cette planification  est compatible avec une reprise de la croissance, alors que les incertitudes sont fortes. Le supplément de croissance lié au « boom des investissements verts » compensera-t-il le recul des autres investissements et surtout celui de la consommation des ménages, qui pour une part supporteront le coût de la transition ?
D’une certaine manière, la planification écologique est en surplomb des autres politiques, ce qui peut se justifier, s’agissant de la priorité des priorités, l’habitabilité par les hommes de notre planète.

Restent les derniers financeurs, les particuliers (25%). Les hausses inévitables de prix (énergie) seront difficilement supportables par la partie des Français de condition modeste, comme le montrent les cas de la voiture électrique ou de la rénovation des logements. Elles seront limitées par les compensations prévues par le Plan. Mais la variété et la complexité des situations risquent de rendre inefficaces les dispositifs publics, en supposant que les financements soient suffisants. De nouvelles inégalités risquent d’engendrer de nouveaux « gilets jaunes ».

Refus de mobiliser les Français

Troisième Faiblesse : le refus de mobiliser les Français. Le souci d’ Emmanuel Macron d’inquiéter le moins possible les Français, qui ont peur de l’avenir et de différer le plus longtemps possible l’annonce des « sacrifices » inévitables est constant. Il n’a pas prévenu ses compatriotes que la hausse des prix du pétrole et du gaz, suite à la guerre d’Ukraine entraine automatiquement leur appauvrissement, puisqu’ils paieront plus cher leur énergie. Il a cherché à en atténuer l’effet par des subventions publiques distribuées sans grande sélectivité. Une telle politique n’a qu’un temps en l’état actuel de nos finances publiques. Les consommateurs finiront par payer sous la forme directe (prix) ou indirecte (impôts) sans avoir été préparés.

Dans un contexte aussi maussade, le Président ne veut pas « enmerder « plus les Français. La planification écologique doit peser le moins possible sur la vie quotidienne. Son importance est minorée. Il s’agit d’une adaptation, non d’une révolution. Foin d’un grand discours sur une France heureuse, débarrassée des pollutions et dont la qualité de vie aura été substantiellement améliorée. Foin d’un appel à une sobriété généralisée et à une mobilisation suscitant débats, initiatives individuelles et collectives. Les désordres internationaux ne peuvent que renforcer le Président dans sa prudence et dans son éloge de la voiture.

Cette prudence, objectivement fondée, est difficilement conciliable avec la « révolution écologique ». Elle ne se fera pas par de simples mesures techniques  prises au sommet mais par une transformation de nos comportements et de nos modes de vie, en moins de vingt ans, si l’on respecte les évaluations des experts. Jean Monnet, en son temps, écrivait qu’un récit mobilisateur est nécessaire : « On ne pourra pas transformer l’économie française sans que le peuple français participe à cette transformation ».

Planification écologique et démocratie

On peut même se demander si une planification écologique est possible dans le cadre d’une démocratie. Nous sommes dans le cas classique d’un « conflit des horizons ». Les avantages décisifs sont à moyen terme et les inconvénients à court-terme. Y a-t-il beaucoup de gouvernements qui soient prêts à accepter les désordres et les troubles émanant des « perdants » de l’écologie puis le rejet par les électeurs ? Pour éviter ce rejet, une augmentation massive des transferts sociaux est nécessaire, soit une économie de guerre adaptée au contexte. Il est improbable qu’un gouvernement, dont la priorité est d’élargir sa majorité vers la droite aille dans ce sens, donnant la priorité au statu quo social.

Cela ne veut pas dire que les gouvernements non démocratiques adoptent des politiques vertueuses.

Une échappatoire avec « l’adaptation » ?

Il est probable qu’une bonne partie de nos dirigeants réfléchisse à une « politique d’adaptation » qui se substituerait partiellement à une planification écologique jugée irréaliste. S’adapter c’est trouver un mode d’organisation et de fonctionnement compatible avec une augmentation de la température moyenne de 5 à 10 degrés. Cela a aussi un coût mais est moins « révolutionnaire ».

Les arguments pour aller dans ce sens ne manquent pas, en plus de nos difficultés de financement. A l’échelle européenne, de nombreux pays ne tiendront pas leurs engagements et la planification de  l’Union Européenne sera en panne faute de consensus. A l’échelle du monde, de grands pays comme l’Inde continueront à augmenter rapidement le volume de leurs émissions de gaz à effet de serre.
Or le problème du réchauffement et de la biodiversité est mondial. Pourquoi la France et l’Europe seraient-elles « en avance » si le reste du  monde « est en retard « ? Pourquoi compromettaient-elles la compétitivité de leurs produits en l’absence de toute cohérence à l’échelle mondiale ?

Le débat ne fait que commencer.

L’habitabilité de notre planète reste un problème devant nous, ses habitants et leurs dirigeants sont à convaincre de l’urgence d’une révolution. La planification écologique est l’approche la plus rationnelle, à condition que progressivement elle devienne mondiale, ce qui n’est nullement acquis.

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