Souveraineté et pouvoir d’achat : l’enjeu de la réindustrialisation

Date de la venue de l'invité: 
Lundi, 18 septembre, 2023

L’épidémie de Covid puis la guerre en Ukraine ont sans doute servi de révélateurs : la France et plus globalement l’Europe sont devenues très dépendantes des importations dans de nombreux secteurs. Après une période de 40 années marquée par une vraie désindustrialisation de notre pays, le vent semble tourner…
Pour Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste au BDO (ex BIPE), enseignante d’économie à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, autrice de nombreuses publications sur le protectionnisme économiste et spécialiste de la souveraineté économique, la réindustrialisation devient un véritable enjeu. A la fois si l’on veut regagner en souveraineté dans le cadre d’une mondialisation qui se « régionalise », mais aussi pour préserver un pouvoir d’achat fortement menacé en cette période d’inflation et de nécessité d’investir dans la transition environnementale (et sociale…).

Après plusieurs dizaines d’années à désindustrialiser massivement, la France essaye désormais de prendre un virage différent… Réindustrialiser une partie de notre économie est devenu l’une des priorités affichées d’Emmanuel Macron.
Le problème : la France et l’Europe ont beaucoup de retard par rapport aux deux mastodontes que sont la Chine et les Etats-Unis, et il faudra de l’argent, et des politiques de (très) long terme, pour inverser la tendance. 

La réindustrialisation, un vrai enjeu pour le pouvoir d’achat

Réindustrialiser une partie de notre économie apparaît comme étant une évidence aujourd’hui, alors que depuis les années 1980-1990 la France a choisi de tout miser sur les services et a délocalisé une partie de son industrie (le textile notamment) dans des pays où les coûts de la main d’œuvre étaient nettement plus bas. « On parlait même d’une France sans usines ! », note Anne-Sophie Alsif.
Or, souligne l’économiste, « Le problème est que les services créent beaucoup moins de valeur ajoutée que l’industrie. De plus, ils sont concentrés dans les grandes villes, tout le territoire n’en bénéficie pas ». 
Construire de nouvelles usines, recréer de la richesse dans certains secteurs, cela veut dire générer de la valeur ajoutée. « Ces nouvelles richesses pourraient financer des secteurs comme la santé, ou les retraites par exemple », explique Anne-Sophie Alsif. La période d’inflation que nous connaissons depuis un an et demi, et les débats autour du pouvoir d’achat nous montrent que l’industrie, longtemps mise de côté, est et sera essentielle à l’avenir. 
Et puis ces dernières années, l’épisode du Covid et notre manque criant de masques et de respirateurs artificiels ont mis en lumière les problèmes liés à la dépendance de notre pays dans certains secteurs… Et l’apparition des énergies vertes et de l’intelligence artificielle ont changé la donne. La France s’est rendu compte de l’importance de miser sur ces domaines, car ces nouvelles chaînes de valeur représentent l’avenir : nous ne pourrons pas faire sans elles.

La régionalisation de l’économie, et le retard de la France et l’Europe par rapport aux Etats-Unis et à la Chine

Il semble urgent d’agir, car nos grands concurrents se tournent de plus en plus vers leurs voisins proches, dans une logique de régionalisation de l’économie qui les rend de plus indépendants du marché européen.

Les Etats-Unis par exemple, renforcent clairement leurs partenariats avec leur voisin canadien, notamment pour l’importation de pétrole.
Et ils adoptent des lois protectionnistes, afin de développer et favoriser leur industrie.
En août 2022, l’Inflation Reduction Act a été lancé : il s’agit d’un plan gigantesque de plus de 350 milliards de dollars destiné à relancer l’industrie. Les entreprises bénéficient de subventions, d’un accès aux laboratoires de recherche des plus importantes universités du pays, et payent leur énergie moins chère. Les investissements sont énormes mais les résultats sont là. 

La Chine quant à elle, via l’accord RCEP entré en vigueur en janvier 2022 (Partenariat économique régional global en français), commerce de plus en plus avec ses voisins asiatiques que sont le Japon, la Corée du Sud ou le Vietnam. En clair : les marchés proposés par l’Europe à ces deux pays pourraient bien demain être substituables. La Chine et les Etats-Unis pourraient très bien se passer de nous, et nous perdrions encore du terrain.

La solution ? Sélectionner les industries d’avenir et …planifier

Depuis plusieurs années, le constat est clair : la France et l’Europe accusent un énorme retard par rapport à la Chine et aux Etats-Unis. Ces deux pays ont commencé à réindustrialiser bien plus tôt, et ont désormais une large longueur d’avance.
Pour tenter de contrer ces mastodontes, Anne-Sophie Alsif préconise une politique de réindustrialisation européenne commune. Mais elle semble difficile à mettre en place à court terme car « Actuellement, l’Europe souffre d’un manque de cohérence », lié notamment à des modèles de croissance très différents selon les pays de l’UE.

En France, pour Anne-Sophie Alsif, la solution réside en deux points : miser clairement sur certaines industries et …planifier.
A l’instar de la Chine, qui a engagé une vraie politique de planification depuis longtemps et manifeste la volonté claire d’être hégémonique dans plusieurs domaines dès 2049. « Aujourd’hui, le pays est déjà leader dans les secteurs de l’automobile, des panneaux solaires ou de l’hydrogène par exemple ». Pour Anne-Sophie Alsif, « les gouvernements devraient se poser ces questions essentielles » :

  • Dans 20 ans, dans quels secteurs la France souhaite-t-elle être leader ?
  • Sur quelles industries souhaitons-nous miser (énergies vertes, industries d’avenir par exemple) et lesquelles devons-nous abandonner ?

Car il serait impossible bien sûr de prétendre réindustrialiser tous les secteurs de l’économie française. Pas question par exemple, du moins pour le moment, de relocaliser les entreprises textiles, car les coûts de main d’œuvre seront toujours beaucoup plus élevés en France que dans d’autres pays. 
Idéalement, il faudrait choisir trois secteurs dans lesquels notre pays souhaite être leader dans le futur. « La santé, l’aéronautique et le luxe pourraient être des pistes, la France étant réputée dans ces domaines-là », selon l’économiste.  

Faire des choix implique également de planifier. Le problème actuellement selon Anne-Sophie Alsif, est que réindustrialiser suppose des politiques de long terme, incompatibles avec le temps politique.
Mais prenons exemple sur nos voisins ! Aux Etats-Unis, après son élection Joe Biden a repris les politiques lancées par son prédécesseur Donald Trump, pourtant très éloigné de lui politiquement.

En matière de politique de réindustrialisation, les résultats seront là dans 10 ou 15 ans, mais si la France et l’Europe n’agissent pas dès maintenant, leur retard pourrait être définitivement entériné.

 

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Lors de cette matinale, la séance de questions-réponses a permis d’approfondir tous ces sujets...et d’en aborder d’autres, comme le manque criant de politique européenne de financement de l’innovation face à la toute puissance des fonds américains, ou encore la faiblesse de la culture financière des Français

Si vous suivez la page LinkedIn du Club, plusieurs extraits vidéos de cette matinale seront publiés.

Quant à la vidéo intégrale de son intervention et des échanges vous la trouverez ICI

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