Loi renseignement : que peut-on craindre ?

La loi renseignement crée un cadre pour l’action des services de renseignement en France. Mais c’est un cadre flou, donc trop permissif pour la police et dangereux pour les libertés. C’est l’idée générale qui se dégage des critiques présentées par les principaux opposants (Ligue des droits de l’homme, Quadrature du net etc…) le 1er juin, à la veille de l’examen du texte au Sénat, au cours d’une conférence de presse où étaient représentées de multiples organisations. 

Sans prétendre trancher ni avoir fait un tour complet de la question, cette alerte vise seulement à essayer de mieux comprendre les arguments de ceux que cette loi inquiète.

Première idée, on a beaucoup entendu le gouvernement employer des arguments du genre « faites-nous confiance ». Or un tel texte doit évidemment être évalué dans la pire des hypothèses : que pourrait en faire un futur gouvernement autoritaire pour légitimer ses actes ?

Perçue par l’opinion comme une loi destinée à lutter contre les terroristes, notamment les terroristes islamistes, c’est un texte nettement plus large, disent ces opposants.

Pour une partie d’entre eux, notamment les syndicalistes, c’est une loi qui peut être utilisée contre les mobilisations citoyennes ou syndicales et les manifestations en tout genre et légitimer la surveillance des syndicalistes. On connaît aussi les craintes des journalistes, notamment sur la protection de leurs sources.

Plusieurs intervenants, notamment les plus techniques, soulignent que ce texte donne aussi un cadre à l’action « offensive » des services pour « défendre et promouvoir » les intérêts français « à l’étranger ». A l’espionnage en somme. Et là, aucun recours ni surveillance des espions prévus. Cela créé à leur avis un vide juridique dangereux. On peut, à ce titre, expliquent-ils espionner impunément des Français à l’étranger. On pourrait même arguer du fait que Tweeter et Facebook sont « à l’étranger » pour refuser tout type de contrôle sur l’interception d’échanges entre deux Français en France utilisant Tweeter ou Facebook. La présidente d’Amnesty international France, par exemple, craint que des informations recueillies à l’étranger sur des personnes que l’organisation cherche à protéger ne puissent devenir par la suite une monnaie d’échange entre les services français et ceux du pays concerné.

Beaucoup d’aspects de la loi restent flous ou renvoyés à de futurs décrets d’application, expliquent d’autre part les opposants qui craignent le pire.

On ne sait pas bien quels sont « les informations et documents » que les services sont autorisés à recueillir ou à exiger des entreprises qui nous fournissent accès et autres services sur le net. S’agit-il des données de connexion sur chaque personne ? Si c’est le cas, elles en disent plus sur chacun d’entre nous que le contenu même des messages, assure Benjamin Bayart, Président de la Fédération France data Network. Les serveurs d’accès sont-ils supposés les conserver ? Pendant combien de temps ? La situation n’est pas claire. Sont-ils seuls à devoir collaborer avec les services ou les demandes de surveillance peuvent-elles s’étendre aux services de messagerie et aux sites eux-mêmes ? Pas clair non plus.

Pour les « traitements de masse » à base d’algorithmes les garanties d’anonymat ne valent rien puisque les données sont forcément communiquées avec l’adresse IP qui donne l’identité de la personne. A l’échelle d’un pays les taux d’erreurs de ces algorithmes menacent de générer une population de « suspects » considérable.

On sait par ailleurs que la future CNCTR (Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement) ne donnera plus que des avis et pas d’autorisations à priori. Dans la mesure où elle ne centralisera plus tous les dossiers les opposants craignent qu’on ne lui montre que ce qu’on voudra bien lui montrer.

Le recours ? Les opposants semblent l’attendre du côté de la cour de justice européenne plus que du conseil constitutionnel ou du conseil d’Etat que les citoyens mécontents de l’application de la loi devraient en principe pouvoir saisir.

Merci pour vos commentaires

Sur les mêmes sujets vous pouvez également regarder l'interview vidéo réalisée par notre ami Bertrand Calinou sur Thinkerview autour de la secrétaire d'Etat au Numérique, Axelle Lemaire, avec d'autres experts. Echanges intéressants, par exemple, sur ce qu'on entend par anonymisation des données dans le cadre des négociations en cours sur une réglementation à l'échelle européenne. Cliquez ici.  

 

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Commentaires

Intéressant ton article, car, sans prendre parti, tu explicites les principales critiques émises par les opposants à la loi.
C'est justement peut-être ce "sans prendre parti" qui est discutable.
En effet cette loi est indiscutablement liberticide dans la mesure où elle attente explicitement à une liberté fondamentale : la confidentialité de nos communications privées, alors même que nous ne contrevenons à aucune loi.
Il me semble que le Club devrait clairement se positionner dans le clan des adversaires d'une telle loi.
Il pourrait justifier cette position en démontant les arguments en sa faveur. Personne n'a, en effet, montré qu'une telle surveillance en amont et potentiellement massive ait diminué la menace.
Curieusement la NSA vient d'annoncer qu'elle mettait fin à ses écoutes. Vrai ? Faux ?
Plus il y aura d'adversaires, plus ils auront une chance de faire amender cette loi.

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