« L’esprit français et les défis de l’universalisme contemporain » était le thème d’une visio-conférence donnée ce mois-ci par Axel Maugey, docteur ès lettres de la Sorbonne, professeur à l’Université McGill, qui consacre depuis plus de cinquante ans ses travaux au dialogue entre les cultures francophones, à la transmission de la civilisation française et à la compréhension des tensions entre héritage et modernité.
Son dernier ouvrage, "L’esprit français : de Madame de La Fayette à Jean d’Ormesson" (2023), offre une lecture vivante et critique de cette continuité intellectuelle qui relie les grandes figures de la littérature et de la pensée françaises à nos interrogations contemporaines.
Lors de cette conférence, il nous a livré quelques réflexions majeures pour mieux saisir la richesse de l’esprit français et aussi son histoire mouvementée. Face aux menaces d'un monde fragmenté, il a insisté sur la nécessité pour la France de se « ressaisir » en puisant dans sa culture, sa littérature et ses valeurs d'altérité.
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Bien des auteurs se sont intéressés à l’esprit français comme Charles Péguy, Louis Pasteur Vallery-Radot, Stefan Zweig, pour n’en citer que quelques-uns. Il existe un dictionnaire amoureux de l’esprit français rédigé par Metin Arditi dans un style alerte et pétillant. Des esprits aussi différents qu’Alain Bauer ou Sacha Guitry s’y sont frottés.
Ses défenseurs poursuivent un combat sans fin. Face aux bulldozers que constituent la Chine, l’Inde ou les Etats-Unis, nous avons le devoir de nous positionner et montrer notre différence. Faire rayonner pacifiquement l’esprit français est devenu une urgence.
Aujourd’hui, dans une France divisée qui parait ne plus s’aimer et qui a perdu ses repères, l’esprit français n’a plus le même mordant. Ce que les autres pays aiment encore chez nous peut cependant nous rassurer quelque peu.
Au premier rang, la culture. Nos grands auteurs restent des hérauts infatigables de l’esprit français. Montaigne, Voltaire, Victor Hugo, Alexandre Dumas, Proust et tant d’autres et tant d’autres sont plus connus à l’étranger (jusqu’en Russie ou en Chine) que dans le pays qui les a vu naitre. Souvenons-nous aussi des étrangers qui sont venus en France de toute l’Europe, pour y trouver un havre de paix civile et de démocratie.
Personne (encore) ne nous dispute la primauté pour l’art culinaire, le luxe, la haute couture, l’art de vivre. Les touristes du monde entier continuent d’affluer dans notre pays. Ils se prennent de passion pour Notre Dame de Paris, le Louvre, le château de Versailles et participent de toute leur âme à la sauvegarde de notre patrimoine.
Notre image bénéficie encore abondamment de la grandeur passée de la France. Elle a connu des réussites à la fois éclatantes et contestables. Du 18e siècle au 20e siècle, l’esprit français donnait le ton. Les guerres napoléoniennes flattèrent la visée universelle de la France mais furent cruelles et sans lendemain. Sauf qu’elles rénovèrent les institutions de toute l’Europe par la diffusion du Code Napoléon. Le Second Empire apporta un dynamisme nouveau qui renforça son rayonnement dans le monde jusqu’à la piteuse défaite de 1870. La victoire de 1918 effaça cette humiliation mais l’épuisa. Suivirent pourtant plusieurs décennies d’effervescence culturelle (musique, peinture, littérature, philosophie, architecture...). Encore une fois, ces succès se fracassèrent sur la défaite de 1940, ressentie par les Français et par le monde entier comme un effondrement.
Relevée deux fois par le général de Gaulle, esprit français par excellence, elle retrouva une partie de son influence et de son prestige.
Mais la Ve République n’a pas tenu ses promesses. Une vie politique rabougrie et l’immobilisme des élites ont fait perde à la France son allant. Incapable de se réformer et s’adapter aux évolutions du monde, elle s’est recroquevillée sur elle-même Sans boussole, elle a subi une immigration incontrôlée, ne respectant ni la personne des nouveaux arrivants ni celle des Français eux-mêmes.
Comment redonner à la France sa capacité d’influencer le monde ?
D’abord en sollicitant son plus précieux trésor : sa langue, si apte à exprimer l’esprit français, dans sa précision et sa subtilité. La francophonie est un levier puissant, bien mal utilisé. Des auteurs du monde entier écrivent en français, 350 millions de personnes le parlent dans le monde, dont 70% en Afrique, peut-être 700 millions en 2050. Nous nous en soucions bien peu. Pis, nous abâtardissons et enlaidissons notre langue, en l’américanisant continuellement et en brisant, sous les coups du wokisme, sa structure et son élégance.
Plutôt que de nous tirer des balles dans le pied, ouvrons-nous sur le monde. Reconnaissons et révérons nos amis véritables. Ils nous connaissent beaucoup mieux que nous ne les connaissons. Le Québec en est un exemple. Il a été passionnément amoureux de la France, mais nous n’en savons rien. Nous ne connaissons rien des paysages et des personnages de la nouvelle France.
Le chantier de Notre Dame de Paris est une allégorie de ce que pourrait être un nouveau rayonnement de l’esprit français. En passant pour une fois au-dessus des méandres et des petitesses de la bureaucratie, on a fait travailler ensemble deux mille artisans, ingénieurs et ouvrier guidés par l’exigence d’excellence. Ils ont montré au monde que la France était la seule à maitriser des métiers disparus ailleurs et restait admirablement créative pour préserver son patrimoine. Ils portaient chacun une parcelle de l’esprit français et en conçurent une grande fierté.
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L’échange avec les participants qui a suivi son intervention a permis d’aborder de nouveaux points.
- N’oublions pas que beaucoup d’immigrés et de descendants d’immigrés aiment la France. Ils désirent porter l’esprit français sans renier leur origine. Il faut nous apprivoiser les uns les autres, mieux nous connaitre pour nous apprécier.
- Le wokisme non seulement corrompt la langue française, mais véhicule des concepts fumeux, étrangers à l’esprit français et totalement inacceptables pour la plupart des pays du monde, notamment en Afrique où vit la majorité des francophones. Ne mettons pas en avant ce qui est un repoussoir.
- Le rayonnement culturel français est pénalisé par l’effondrement du niveau de l’enseignement. La langue en est la première victime : syntaxe inexistante, vocabulaire indigent, expression rudimentaire. Aujourd’hui, 35% des élèves de 6e sont quasiment illettrés. Si les nouvelles générations ne savent ni écrire, ni lire, ni s’exprimer, qu’auront-elles à apporter au monde de demain ? On a su pourtant pendant des siècles apprendre aux enfants à lire et à écrire parfaitement.
- Dans notre monde où la technologie et la paresse intellectuelle sont omniprésentes, nous risquons de perdre notre capacité à nous émouvoir et à faire part de nos émotions, ce qui est le fondement de l’humanisme. Il faut établir un modus vivendi avec la technologie pour qu’elle ne nous engloutisse dans un monde morne et sans couleur. Nous devons la mettre au service de l’esprit français pour apporter au monde une touche spécifique.
- La culture est ce qui nous relie et nous différencie, entre nous et avec le monde. Les Alliances françaises ont longtemps participé au rayonnement culturel de la France et à l’illustration de sa langue. Mais elles ont perdu beaucoup de leurs moyens.
Commentaires
Confèrence d’Axel Maugey
Magnifique compte rendu d’une très belle conférence d’Axel Maugey.
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