
J’ai relu Ubu Roi, très lointain souvenir de théâtre universitaire. Poutine, Erdogan, Orban, Bolsonaro… aucun de ces dirigeants populistes autoritaires ne m’avait donné envie de le faire. Qu’est-ce qu’il y a de nouveau avec Trump 2 ? Je crois que nous n’avons pas fini d’en faire le tour.
Laissons de côté l’intrigue de la pièce d’Alfred Jarry. Dès les premières représentations, en 1896, les meilleurs critiques avaient décelé que l’important c’est le personnage. Le coup de génie c’est l’invention de Ubu.
Laissons aussi de côté la mère Ubu qui pousse son mari (avant de le trahir). De nos jours les femmes de pouvoir n’ont plus besoin de pousser en avant un mari. Elles y vont-elles-mêmes.
Ubu, esquissé par une bande de lycéens moquant un professeur, sublimé par Alfred Jarry, était pour moi un personnage intriguant et mystérieux il y a quelques décennies. Donald Trump l’éclaire autant qu’il éclaire Donald Trump.
Les deux ont l’instinct de l’invention langagière comme arme de pouvoir, Ubu ayant plus de talent. Trump aurait qualifié dès son premier mandat de « pays de merde » (« shithole countries») certains de ceux qui envoient trop d’immigrés aux Etats-Unis. Le premier mot de Ubu lançant la première réplique de Ubu roi est : « Merdre ! ». Voilà qui a une autre allure. Notez bien la consonne qui change tout et la grossièreté introductive qui pose d’emblée le personnage en majesté, sans être une réponse à qui que ce soit. Côté finances publiques, le président américain donne un titre pompeux au désastreux budget qu’il a récemment réussi, non sans peine, à faire voter : « une grande et belle loi ». Bien tenté, mais bien niais. Nettement moins inspirant que « le voiturin à phynances » que le père Ubu fait remplir par les « salopins de finances » de tout l’argent extorqué à ses concitoyens en commençant par les nobles.
Ubu ne cherche pas un instant à masquer son avidité, sa grossièreté, sa brutalité son total mépris de ses sujets derrière quelques-unes de ces grandes phrases dont les politiciens savaient déjà envelopper leurs plus noirs desseins sous la Troisième République. Trump me semble également se démarquer de ses collègues populistes nationalistes autoritaires antidémocratiques par une même forme d’indécence satisfaite. Et je crois que c’est important. Il y a chez lui une impudence que n’osent pas ses « collègues ». C’est toute l’histoire de la complicité et de la brouille à ciel ouvert entre Trump et Musk, grand donateur de sa campagne, avec ses relents de cour d’école. Le Hongrois Victor Orban qui est peut-être le plus tenté par le « coming out » enveloppe quand même un peu ses concepts. « Démocratie illibérale » est moins direct que « je ne garde de la démocratie que les élections pour me faire réélire ».
Pourquoi Trump prend-il le risque d’être aussi clair ? Peut-être en tire-t-il une jouissance personnelle. À moins qu’il ne cherche à partager ainsi sa jouissance avec son électorat ou tout au moins avec cette partie de son électorat qui a voté pour emmerder toute cette élite de démocrates insupportables bien élevés de la côte Est et de Californie. Et là Trump se différencierait de Ubu. Car Ubu, lui, n’avait pas d’électeurs.
- Ubu Roi est régulièrement mais pas souvent monté au théâtre. Comme par hasard une compagnie, la Compagnie le commun des mortels, en propose une interprétation en juillet dans le Off du festival d’Avignon. Belle intuition. Vous me direz si c’est bien ?
Commentaires
Sans objet
À quand une lettre consacrée au Bilderberg, ce cénacle discret où se dessinent, loin des regards, les lignes de force du monde occidentale ?
Une vigilance lucide s’impose face à ce pouvoir feutré que trop peu questionnent..
Bien à vous
Groupe Bilderberg
Ce fameux "groupe Bilderberg" a alimenté pas mal de théories du complot depuis sa création en 1954.
Cette espèce de forum annuel où, pendant deux jours, des gens effectivement influents "travaillent" ensemble sur des sujets de fond et plutôt à orientation géopolitique pourrait peut-être être comparé à un "G20 parallèle ?" et beaucoup moins protocolaire.
En tout cas le manque de transparence qui lui était reproché a eu pour effet qu'aujourd'hui on connaît la liste des participants et qu'effectivement, il est difficile de témoigner des échanges qui y ont lieu sans en être soi-même un. Ce que, bien sûr, nous sommes nombreux à regretter 😉.
Mais on peut tout de même douter que s'y "dessinent, loin des regards, les lignes de force du monde occidental". Aucune "décision" de ressort des échanges. Et cela a peut-être pour effet d'accroître l'intelligence (au sens anglais du terme) de ceux qui y participent ?
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