Invité
Pierre-Antoine Donnet
En quelques mois, l'arrivée de Trump au pouvoir a profondément bouleversé « l'équilibre » géopolitique mondial, et particulièrement en Asie.
Trump favorise les ambitions de XI Jinping dans la région. Notamment en rapprochant l'Inde de la Chine. A l'issue de la tenue en Chine, les 31 août et 1er septembre, de la 25e réunion de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), les relations entre Narendra Modi et Xi Jinping se sont considérablement réchauffées, faisant dire au ministre des Affaires étrangères indien, Vikram Misri, que l'Inde et la Chine doivent « collaborer si l'on veut que le XXI e siècle soit celui de l'Asie ».
Fin connaisseur de l'Asie***, Pierre-Antoine Donnet nous a fait le plaisir de venir partager ses analyses de l'état actuel de la situation lors de la dernière Matinale du Club.
Il revient aujourd’hui de son énième séjour à Taïwan (où par le passé il a appris une des langues chinoises, le Mandarin) et dit avoir été encore surpris, comme lors de chacun de ses séjours dans ce petit Etat de la taille de la Belgique ou de la Suisse de 24 millions d’habitants, par le calme qui y règne. Il y perçoit même une certaine sérénité face à son imposant et déterminé voisin, situé à 150 kilomètres de l’autre côté du détroit de Taïwan, où résident 1,4 Milliard d’habitants. Donc un Titan face à un petit confetti sur une carte du monde. Une situation existant depuis quasiment 70 ans.
Le thème annoncé de cette Matinale, encadré de guillemets, se justifie par l’imprévisibilité du comportement du Président Trump. Il rappelle que le 47e président des États-Unis, élu démocratiquement le 5 novembre 2024, n’a cessé d’offrir depuis des cadeaux à la Chine Populaire.
La fin du « soft power » américain ?
Pour Pierre-Antoine Donnet, on assiste aujourd’hui à une « incroyable bascule du soft power mondial ».
Tout cela a commencé avec la suppression des aides de l’USAID (U.S. Agency for International Development, créé en 1961). Celles-ci ont représenté en 2024 l’équivalent de 45 Milliards de $ du programme versées à 120 pays du monde. Destinées à des populations déshéritées, leur suppression est un drame et une très grande maladresse. Cette triste décision traduit dans la réalité une défaite totale pour le Soft Power américain.
Il en va de même pour la VOA (Vox of America) avec la fin des crédits de Radio Free Asia (station de radio privée) financée par le Congrès Américain et qui émet en 9 langues asiatiques, tout comme Radio Free Europe/ Radio Liberty écoutée par des millions de personnes dans des pays totalitaires. Cela a été là aussi une grande défaite pour le Soft Power Américain face à la désinformation servie quotidiennement. Autre décision regrettable, la suppression des crédits pour les deux Agences Américaines pour la lutte contre la désinformation.
L’alignement du Président Trump avec les exigences du Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine.
Le Président Trump est allé jusqu’à dire à son homologue le Président de l’Ukraine Volodymyr Zemlinsky que qu’il était, lui, la cause de cette guerre avec la Russie. Les crédits militaires à l’Ukraine ont été coupé.
Ce qui se passe depuis quelques moins pourrait faire se demander s’il n’y aurait pas une sorte de complicité avec le Président Poutine.
Alors, complicité ou admiration face à ces gens de pouvoir extrême que sont Vladimir Poutine et le Secrétaire général du Parti communiste chinois, XI Jinping ?
Une Chine qui « profite » de la situation
Dans les faits, avec tous ces cadeaux jamais le parti communiste Chinois n’aurait espéré une telle aubaine.
En matière de tarifs douaniers américains, la Chine dispose aujourd’hui d’un moratoire de 90 jours tandis que c’est 20% ou plus pour des pays comme Taiwan ou le Japon ou l’Inde…
Il est clair au vu de ces agissements que pour Xi Jinping, homme d’objectif et qui se tient résolument dans le calme, le mieux est d’attendre.
S’agissant de l’alliance entre la Russie et la Chine il convient de comprendre qu’il s’agit d’une réelle alliance stratégique, conclue pour durer. Cette coopération est affichée comme sans limite. La Chine n’a d’ailleurs jamais critiqué/dénoncé l’agression de la Russie envers l’Ukraine. Et elle dissimule au demeurant assez bien l’aide apportée à la Russie, y compris en matière d’hydrocarbures et exportation des semi-conducteurs si utiles à la Russie pour poursuivre sa guerre.
Les conséquences de l’attitude de Trump ?
Pour les alliés comme l’Australie ou la Nouvelle Zélande, c’est la perte totale de confiance, maître mot dans les relations internationales. Les Etats asiatiques comme le Japon, la Corée du Sud, les Philippines ne font que s’interroger et se préparent au pire.
A l’égard de la coopération américaine, c’est une cassure.
Dans le monde d’aujourd’hui le fait est que le temps travaille pour la Chine.
A propos de Taïwan, Pierre-Antoine Donnet pense que le Président chinois va attendre patiemment l’échéance, tout en diffusant à grande échelle de la désinformation pour semer le doute dans la population (le message : « non, les Américains ne vont pas vous aider en cas d’attaque »). Le Président de Taïwan, Lai Chin-te, est par exemple très souvent brocardé et présenté de manière ridicule dans de mini clips généras par l’IA. Dans cette atmosphère le leader taiwanais des semi-conducteurs, TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) a délocalisé une part de sa production aux Etats-Unis et au Japon et bientôt dans l’ex Allemagne de l’Est…
Que penser de l’Europe dans ce contexte ?
Pour Pierre-Antoine Donnet, « à quelque chose malheur est bon »… Pour lui il est incontestable que le moment de vérité est venu et que l’Europe doit avancer à grands pas ! Cette situation, révélatrice de nos faiblesse, constitue en même temps un grand appel à réagir et à dépasser en Europe nos divisions habituelles, notamment en matière d’armement, pour affronter ce monde particulièrement troublé.
Mais bien malin qui peut prédire l’avenir (même à un an) en ces domaines, en gardant à l’esprit que la peur c’est également la soumission.
Sur le plan international certaines grandes institutions, à l’instar de l’Organisation des Nations-Unies (regroupant quelques 193 Etats membres), voire de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), doivent reconsidérer leur fonctionnement. Car il est plus que jamais nécessaire de réglementer l’ordre international ; sans règles mondiales notre planète s’en va à vau-l’eau.
Nos démocraties sont par trop chancelantes et appellent un renforcement de notre vigilance !
Comme d’habitude, la vidéo intégrale de la Matinale est disponible sur la chaîne YouTube du Club des vigilants.
*** Pierre-Antoine Donnet, rédacteur en chef central de l'AFP jusqu'en 2018, a été correspondant de l'AFP en Chine et au Japon (dont il parle couramment les langues), il est aujourd'hui rédacteur en chef de la revue trimestrielle "Asia Magazine" et du site d'informations sur l'Asie asialyst.com
Auteur de plusieurs livres sur la Chine il a publié en 2024 « Chine, l'Empire des illusions », traduit en chinois ces jours-ci.
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