Avons-nous encore raison d’être natalistes ?

Marc Ullmann nous a proposé d’organiser une partie des travaux 2012 du Club des Vigilants autour d’un thème sur la jeunesse : quel monde leur laissons-nous ? Vaste programme qui soulève de multiples questions. Sans fermer d’autres portes je voudrais vous proposer de tirer le fil démographique, d’autant que le Club reçoit Hervé Le Bras le  21 février.

Ce fil courrait déjà à travers les propos de nos deux derniers petits-déjeuners. Avec Jean-François Di Meglio nous nous sommes apitoyés, le 14 décembre, sur le vieillissement annoncé de la société chinoise (contrecoup de la politique de l’enfant unique). Avec Jacques Attali, nous nous sommes félicités le 5 janvier que la France fasse encore plus d’enfants que les autres pays développés.

Je m’interroge. Nous ne laissons pas aux jeunes que des actifs et des passifs, des autoroutes et des dettes. Nous leur laissons des idées qui sont même parfois des injonctions. En France la croissance démographique reste aujourd’hui une exigence quasi indiscutable. Il faut au moins 100 000 immigrés par an pour la maintenir, nous a rappelé Jacques Attali, et quand François Hollande envisage de limiter drastiquement l’avantage du quotient familial pour les Français les plus aisés le consensus nataliste français l’oblige à battre en retraite. Face à un monde qui vieillit ou va vieillir, du Japon à l’Allemagne en passant par la Chine et la Russie, nous considérons notre démographie comme un de nos derniers atouts. La dernière exception française. Et si cette idée était dépassée ? C’est une interrogation que je voudrais vous faire partager. Pas une conviction.

Notre natalisme, hérité d’une longue lignée politique qui court de  Daladier à de Gaulle en passant par Pétain, alimenté par les fortes convictions de l’historien Pierre Chaunu ou du démographe Alfred Sauvy est daté historiquement : sa phase la plus intense s’explique par la réaction d’un pays qui eut à se remettre - non sans peine - de la saignée démographique de la grande guerre. Est-il encore d’actualité ?

Trois raisons au moins incitent à se poser la question.

Première raison, la science nous annonce sinon l’immortalité tout au moins de nouveaux accroissements spectaculaires de la durée de vie. Les promesses de la nano médecine, des organes artificiels et autre ingénierie génétique sont impressionnantes (voir par exemple parmi les livres récents le premier chapitre de « Humain », de Monique Atlan et Roger-Pol Droit, chez Flammarion ou « Vivre un siècle », le petit livre de Hélène Xuan, économiste, directrice scientifique de la chaire transitions démographiques, chez Descartes et cie). Les vieux - éventuellement en pleine forme - ne vont pas faire place aux jeunes au même rythme. Le vieillissement de la société que nous amorçons avec le papy boom n’est peut-être pas une affaire de trente ans et n’est peut-être rien à côté de celui qui s’annonce derrière.

Deuxième raison, banalement malthusianoécologique, les ressources de la planète en espace, en eau, en matières première et en énergie sont peut-être finies.

Troisième raison enfin, la situation démographique de la France est peut-être une exception temporaire dans une vaste transition démographique mondiale vers le vieillissement qui touchera peut-être même l’Afrique un jour.

La croissance démographique et la jeunesse sont des ingrédients essentiels de la croissance économique. Je sais. Enfin… est-ce que je sais vraiment ? Ces théorèmes économiques ne méritent-ils pas d’être revisités ? D’autant que nous entrons de gré ou de force dans une période de vieillissement à croissance plus ou moins stationnaire. Au lieu de nous féliciter de notre singularité ne devrions-nous pas nous interroger sur la manière dont se débrouillent les autres avec leur vieillissement, par exemple les Japonais qui vieillissent avec une croissance du PIB par tête supérieure à la nôtre ?

En somme, faut-il continuer à encourager nos enfants et petits-enfants à faire le plus d’enfants possible ou faut-il commencer à les habituer à l’idée qu’en faire moins et organiser le vieillissement de la société est peut-être un drame surmontable. Une fois de plus c’est une interrogation et pas une conviction que je voudrais vous faire partager. Je suis conscient de tous les problèmes qu’elle soulève. La meilleure manière de les résoudre est-elle de ne pas poser  la question?

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Commentaires

Réflechir à un autre modèle (éventuel) pose de multiples problèmes dont celui là: comment un pays où la proportion de personnes âgées est durablement importante préserve sa capacité de renouvellement, de créativité etc...

J'aime les idées "poil à gratter". Cela nous oblige à nous remettre en question.

Je n'ai aucune expertise en terme de démographie et j'adhère à l'idée qu'il faut réfléchir avant de s'esbaudir devant notre taux de natalité. Il y a des limites et vous le rappelez fort bien.

En revanche, il me semble clair qu'une population qui vieillit et donc ne se renouvelle pas est amenée à disparaître à plus ou moins longue échéance.

Alors, entre surpopulation ou extinction de nos civilisations, y a t-il une 3ème voie?

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