Démocratie : les promesses du numérique

Oui les citoyens peuvent reprendre du pouvoir, de la « puissance », grâce au numérique, grâce à internet et à toutes les possibilités de coopération qu’il offre. C’est le message optimiste qu’on a envie de garder de la rencontre avec Pascale Luciani-Boyer organisée le 9 février par le Club des Vigilants, grâce à notre ami Jean-François Soupizet.

Madame Luciani-Boyer est – entre autres - élue locale à Saint Maur des Fossés depuis plusieurs mandats, vice-présidente de Génération Citoyens (le mouvement de Jean-Marie Cavada) et elle a une expérience professionnelle de conseil dans le domaine de la mutation numérique. Elle a publié (chez Berger-Levrault) un livre intitulé L'élu(e) face au numérique - De la puissance publique à la puissance citoyenne, un défi majeur des territoires.

Les citoyens peuvent s’emparer du pouvoir tous seuls. Madame Luciani-Boyer prend comme exemple une initiative de l’association Regards citoyens (voir https://www.regardscitoyens.org/qui-sommes-nous/). Celle-ci avait constaté, que les déclarations d’intérêts désormais exigées des parlementaires étaient peu accessibles et manipulables, publiées sous forme de scans de déclarations manuscrites faites à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Elle a lancé une initiative de numérisation des documents par les citoyens. En dix jours l’affaire a été bouclée grâce à l’aide de 8000 citoyens.

Les pétitions sont un autre exemple de construction de « pouvoir citoyen » grâce à internet. Les élus au pouvoir peuvent aussi proposer aux citoyens de co-construire certaines décisions. La loi pour une République numérique récemment adoptée en première lecture à l’Assemblée en est un bel exemple puisque la ministre, Axelle Lemaire, secrétaire d’État au numérique, l’a soumise pendant un an à un processus de co construction qui a donné lieu à 4000 contributions, quatre d’entre elles ayant donné lieu à des amendements retenus dans la loi, d’après Madame Luciani-Boyer. On peut retrouver tout cela sur un site très intéressant (https://www.republique-numerique.fr/). Sur le plan local Madame Luciani-Boyer a évoqué l’expérience Oppidum menée à Saint-Maur des Fossés pour optimiser l’introduction du numérique dans les écoles. Elle a fait participer aux débats 1500 personnes dans toutes les écoles, enseignants et parents notamment. Résultat : des solutions qui ne sont pas forcément les mêmes dans toutes les écoles mais qui en général coûtent moins cher que ce qui avait été anticipé. Une condition de réussite de cette co construction : une phase minimale d’information/formation sur les outils et les enjeux en début de concertation. On peut aussi citer les expériences de participation des citoyens à certains choix budgétaires à Paris et Limoges. Ces expériences ne sont pas sans risque pour les élus. Madame Luciani-Boyer évoque ainsi une expérience de référendum sur les rythmes scolaires qui a failli mal finir pour un maire. Celui-ci a fait deux erreurs à son avis. Il n’a pas suffisamment nourri ses concitoyens d’information sur le sujet et il a pris position avant le référendum. Plus généralement les élus peuvent avoir peur que cette montée en puissance des citoyens numériques leur fasse perdre leur rôle et leur pouvoir. Notre invitée ne partage pas cette crainte. La fonction de l’élu va évoluer. Il devient celui qui encadre les débats, celui qui fédère, qui catalyse, qui met en relation. Son rôle est aussi de définir et de rappeler l’existence des objectifs ou des contraintes à long terme alors que les citoyens peuvent être plus court-termistes. « En France les élus parlent trop de moyens et pas assez de vision ». À coté de ces perspectives positives, le développement du numérique comporte aussi quelques menaces pour la démocratie dont il faut avoir conscience. Notre invitée évoque l’usage que les politiques peuvent faire des bigdata pour les campagnes électorales. Encore plus et encore plus finement que par le passé on peut dire à l’électeur ce qu’il a envie d’entendre, ce qui lui fait plaisir et qu’on a pu analyser grâce aux data. Gare à la démagogie numérique, en somme.

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Commentaires

« En France les élus parlent trop de moyens et pas assez de vision »
Le numérique va réenchanter le monde en remettant les échanges au coeur de la dynamique
Le digital ne remplace mais complète pour nous permettre de revenir aux fondamentaux

Moi, j'ai bien aimé quand Pascale Luciani-Boyer a parlé des "fracturés du numérique" en parlant...des politiques ;-)))

Pascale Luciani-Boyer a également pointé du doigt le "retard" à l'allumage des politiques qui voient encore trop le numérique au pire comme un sujet d'infrastructure, au mieux comme un moyen de communiquer "branché" (on voit ainsi les politiques "twitter" comme des fous), beaucoup moins comme un levier pour "muscler" la démocratie.

<b> QUESTIONS D'UN VIGILANT A : </b>

Madame Luciani-Boyer

1/ L’espace du Numérique est-il ou pas, à votre avis, une nouvelle AGORA comme au temps des anciens Grecs ?

2/ Le mode de communication directe rendu possible par le Numérique avec nos responsables, élus pour exercer le pouvoir de leadership de nos démocraties, laissera-t-il encore de la place pour le système actuel de gouvernants représentatifs élus ?

3/ Ne risque-t-il pas, au travers d'un moyen de démocratie directe nouveau et attirant, s'il est incontrôlé, de laisser la
place libre aux purs démagogues faisant ainsi le lit des pires extrémismes ?

Merci Madame pour votre réponse.

Respectueusement,

Henri-Paul Soulodre

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