Enseignements tunisiens

La situation en Tunisie évolue de jour en jour. On peut toutefois, d’ores et déjà, noter que l’événement est historique et que l’Europe a un intérêt vital à ce que les choses se passent bien. On peut aussi  tirer quelques enseignements :

-       La chute de Ben Ali devrait interpeller tous ceux qui, sous couvert de lutte contre l’islamisme, ont fermé les yeux sur l’étouffement de toute forme de contestation, y compris celle venant des forces progressistes. Le sentiment de face à face entre l'autocrate érigé en rempart et les islamistes est ainsi conforté. Ou dit autrement : le système lui-même, en rétrécissant le champ de l'opposition, élargit celui de ceux qu'il est censé combattre ;

-       Elle montre que les peuples arabes ne sont pas voués, par une forme de prétendu déterminisme, à choisir entre la peste islamiste et le choléra autoritariste ;

-       D’autant que les sociétés arabes bougent, comme l’écrit Hakim El Karoui dans "Réinventer l’Occident " (Editions Flammarion). Ce sont des sociétés jeunes : près de 70 % de la population a moins de 30 ans. L’alphabétisation et l’intrusion des filles – 60 % des étudiants sont des étudiantes en Tunisie et en Algérie par exemple  – rend d’autant plus insupportable la prédation des clans au pouvoir alors que le chômage des jeunes dans le chômage total flirte avec les 75 %.

-       N’oublions pas qu’aux quatre coins du monde arabe, ces jeunes ne sont plus les enfants de la télé de papa. Internet et les réseaux sociaux sont devenus leurs yeux sur le monde.

Prenons Facebook. Il est utilisé par 1,5 à 2 millions de Tunisiens – un habitant sur cinq ! Le régime a bien tenté de le pirater. En vain. En ce sens, on peut avancer que la force de la mobilisation de la jeunesse tunisienne, mais aussi de toute la société civile, lui doit beaucoup.

Et demain peut-être - qui sait ? - on en viendra à parler de la démocratie tunisienne comme de la première démocratie de l’ère de l’Internet et des réseaux sociaux… loin de la démocratie imposée par les armes avec le résultat que l’on sait en Irak par exemple.

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Commentaires

Très très bon papier.

Ma lecture de la "Révolution de Jasmin" ( Sémantique déjà employée par le passée..) est légèrement différente sur la forme mais pas sur le fond.

J'ai anticipé l'embrasement de la ceinture méditerranéenne depuis 2008, il y avait quand même des signes annonciateurs indéniables... rappelez vous le Colonel..., Bachar et autres forceps, courbettes pour faire signer ces malheureux accords...
Puis cela aussi:
http://fr.rian.ru/defense/20091110/185478015.html
La Russie a vendu à un pays du Maghreb 500.000 kalachnikov en version spéciale. Il est intéressant de voir l'historique de cet "achat". Au début, c’était en douce par la Libye via des intermédiaires italiens pour des contrefaçons chinoise... alors autant vous dire de suite que je n'ai pas été surpris de la réaction de MAM...

Je savoure d'autant plus, maintenant, les réponses des affaires stratégiques quand je les questionnais publiquement, au CID (pardon, école de guerre, respect au Général Desportes) : Les accords méditerranéens sont-ils les prémices d'une garde prétorienne européenne contre les flux migratoires, dus à la crise, non pas climatique, mais financière ? ( j'en profite pour passer un Poke amicale à la FRS http://www.frstrategie.org/, c'est bibi qui avait raison...).
http://www.college.interarmees.defense.gouv.fr/spip.php?article983

(Si un vigilant pouvait me trouver les bandes vidéo, c'est pour ma collection perso... car j'ai trouvé les cahiers de Mars profondément accommodants face aux réponses données... )

D'ailleurs les affaires stratégiques étaient "gênées" de répondre, mais honnêtes... Là où j'ai jubilé c’était quand j'ai posé ma question sur la sécurisation des bassins énergétique par les troupes US...

Il me semble nécessaire d'apporter un regard nouveau sur les prospectives géostratégiques mondiales trop souvent polluées par de fausses informations, analysées par des Think Tank consanguins qui manquent de terrain, d'open source.

Sky.

Au plaisir de vous lire

Ps: Merci pour l'invitation de Jeudi.
http://www.youtube.com/watch?v=EDlfC19_58Y

Il est vrai que l'incroyable longévité du clan Ben Ali ne s'explique que par la peur de l'islamisme. Partant de là, je n'arrive pas à croire que la France,- pour ne citer qu'elle-, ait découvert trop tard la véritable nature du régime et le niveau de souffrance de la population, ou alors les services de renseignements et les ambassades à l'étranger ne servent pas à grand chose. La peur de l'islam radical peut faire aujourd'hui le lit des pouvoirs corrompus et totalitaires comme la peur de la révolution bolchevique a fait celui du fascisme. Il faut d'avantage "s'indigner", comme dit Stephane Hessel, et comme le démontrent les tunisiens.

@ Francine Milon-Buchi : La peur de l'islamisme ne doit en aucun cas nous aveugler au point d'accepter l'étouffement de toute forme de contestation et d'accepter l'accaparement des richesses d'un pays dit "ami" par un clan donné.

Les conditions pour museler l'islamisme dans les pays arabes sont, à mon sens, connus de tous :

- Ouvrir le champ politique afin d'introduire de la diversité idéologique. C'est la diversité politique qui, en élargissant le champ des possibles, réduit mécaniquement la place des islamistes. On en est loin dans tous les pays arabes. Les potentats locaux, tout en donnant des gages aux islamistes par l'acceptation d'une islamisation rampante des sociétés, s'érigent, face aux Occidentaux en particulier, en ultimes remparts contre l'islamisme. Question : qu'arrivera-t-il le jour où, complètement "décérébrées", ces mêmes masses exigeront l'original à la copie ?

- Cesser de rapiner leur pays et leur peuple à leur profit exclusif ;

- S'occuper sérieusement de la pauvreté, de l'emploi et de l'éducation. La fin des rapines y aiderait sans aucun doute.

Je suis enfin tout à fait d'accord avec vous sur le fait que la lutte contre l'islam radical ne doit pas être synonyme de soutien sans faille à des régimes corrompus. L'exemple tunisien est à méditer.

@MSD

"Je suis enfin tout à fait d’accord avec vous sur le fait que la lutte contre l’islam radical ne doit pas être synonyme de soutien sans faille à des régimes corrompus. L’exemple tunisien est à méditer."

J'aime vraiment votre plume.

A savourer ...en y incluant le pic énergétique :
http://videos.senat.fr/video/videos/2010/video3893.html

Sky

@ Sky : Merci infiniment pour ces informations et, en particulier, l'intervention d'Alain Chouet. Il rejoint ce que je disais depuis des années.

J'ajouterai que si un responsable de nos services sait cela, cela veut dire que nos politiques le savent aussi. C'est dire que l'instrumentalisation d'El Quaïda a de beaux jours devant elle. Instrumentalisation par les régimes corrompus d'une part et par les Occidentaux d'autre part.
Au plaisir de vous lire

L'analyse est pertinente et nous rappelle le dangereux manichéisme qui est proposé voire imposé par une vision néoconservatrice du monde.

Car si j'agrée totalement à la phrase : "Elle montre que les peuples arabes ne sont pas voués, par une forme de prétendu déterminisme, à choisir entre la peste islamiste et le choléra autoritariste "

Je dois vous rappeler que ce sont précisément les pouvoirs occidentaux qui, en soutenant les dictateurs (soit disant pour combattre l'islamisme, mais en fait pour des intérêts géostratégiques), accentuent les exactions et l'appauvrissement des pays.

Par exemple, la France qui soutient les Généraux (dictateurs) en Algérie, attise grandement le désarroi et l'abandon du peuple laissant ainsi la voie grande ouverte aux seuls présents sur le terrain : les écoles coraniques et autres frères musulmans.

Bref encore une fois la menace islamiste est bien pratique pour masquer les jeux troubles des empires dans leurs colonies !

Aux dépends de la population comme toujours!

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