Schizo-époque… !

100113-Schizophrenie.jpgPar la prime à la casse, dit l’un, le Gouvernement cherche à relancer les achats de voitures. C’est bizarre, dit l’autre, car je les entends dire que nous devons aussi tous nous préparer à nous déplacer autrement avec la fin des ressources pétrolières.

Mais non, cela n’a rien de bizarre, vous êtes trop candides, dit le troisième, psychanalyste de son état, dans mon métier, c’est un mécanisme pathologique très clair et bien identifié, qui s’appelle la schizophrénie. 

Le rallye automobile Paris-Dakar en tout cas, reprit le premier, en attendant cette ère nouvelle de l’après-pétrole, poursuit sa route chaque année, et vient de faire une victime par accident peu après son départ de Buenos Aires. C’est bizarre, dit le candide, pourquoi parlez-vous là du Paris-Dakar, alors que Buenos Aires est en Amérique Latine, ce que ne sont, me semble-t-il, ni Paris ni Dakar. Ce n’est pas bizarre du tout, dit le psychanalyste, pour moi cela s’explique très bien au contraire, car ce rallye a gagné sa célébrité lorsqu’il sillonnait l’Afrique en partant de Paris, ce qui lui est désormais impossible, il a donc gardé son nom pour faire comme si, dédoublant ainsi sa nature, et dans mon métier, cela est très bien identifié et s’appelle la schizophrénie. 

Beaucoup de Gouvernements qui se voulaient libéraux jusqu’alors ont, face à la crise, prôné et pratiqué le retour de l’Etat et beaucoup d’interventionnisme, dit l’un. Mais qu’en ont donc pensé leurs électeurs, interrogea le candide ? Eh bien, reprit le premier, ils les ont presque tous réélus, pour ceux qui entretemps sont repassés par les urnes. C’est bizarre, observa le candide. Pas du tout, interrompit le psychanalyste, là encore, par analogie avec mon métier, cela s’explique très bien, cela s’appelle la schizophrénie. 

Face à la crise, continua le premier, je note aussi que les Gouvernements ont poussé au mariage des banques faibles, pour les sauver, et des banques plus résistantes, par exemple le Gouvernement britannique a adossé la fragile Halifax Bank of Scotland à la puissante et riche Lloyds-TSB, l’un des derniers établissements encore notés AAA, la meilleure notation financière, et de son côté l’Administration américaine a permis le rachat de la grande banque de courtage Merrill Lynch par l’énorme banque de dépôts Bank of America. Oui, fit le second, en effet, j’ai noté cela et ce qui est bizarre est que les mêmes dirigeants mettent en garde contre, disent-ils, un risque systémique majeur résultant tôt ou tard de la formation de géants bancaires qui, en cas de problèmes financiers, sont trop gros pour être abandonnés à la faillite et doivent être sauvés à tout prix par l’argent public, nous explique-t-on, c’est-à-dire votre argent et le mien ; je ne vois donc pas la logique qu’il y a à regrouper de grands établissements affaiblis dans des ensembles bancaires plus gigantesques encore, comme être de raison, je trouve cela bizarre, et comme contribuable, je suis contre. Vous avez tort d’en être surpris, intervint le psychanalyste, c’est là encore l’effet tout naturel de la schizophrénie, vous dis-je.          

Assez parler de la crise financière, reprit le premier, il y a bien d’autres sujets de préoccupations ; malgré des progrès démocratiques nombreux à travers le monde ces dernières années, je trouve qu’il y a encore trop de dictatures sur terre. Et que fait donc l’Europe face à cette situation, dit le candide ? Elle critique et condamne sévèrement tous ces régimes pour leur manque de démocratie, précisa le premier, et elle a raison, elle qui parle aujourd’hui d’expérience pour s’être beaucoup trop écartée de la démocratie chez nombre de nos pays européens dans les sombres années 1930 et 1940. C’est tout de même bizarre, reprit le candide, qu’elle donne ainsi des leçons de démocratie à la terre entière, alors que j’ai observé que chaque fois ou presque qu’un de ses peuples a voté non sur un enjeu européen, on lui a demandé de revoter jusqu’à ce qu’il dise oui, ou alors on a demandé au parlement de voter oui à la place du peuple qui n’aurait pas dû voter non. De même, l’Europe démocratique n’aime guère les votations populaires pratiquées en Suisse car elle trouve en général que soit la question posée aux électeurs, soit leur réponse, n’est pas la bonne, et, autre exemple bizarre, elle désapprouve le fait que le président islandais vienne d’appeler son peuple à se prononcer par référendum sur le paiement ou non par les contribuables des dettes extérieures contractées par leurs banquiers en faillite. C’est vraiment bizarre, je trouve, cette méfiance de l’Europe démocratique envers ses peuples. Mais non cela n’a rien de bizarre du tout, intervint à nouveau le psychanalyste, vous êtes trop candide, et vous ne voyez pas la logique, qui est pourtant bien simple là encore, elle s’appelle la schizophrénie. 

Cela tombe bien que nous parlions d’Europe, reprit le premier, car je voulais souligner que face à la crise mondiale – pour y revenir –  et à la compétition internationale, nos Gouvernements européens parlent de constituer ou reconstituer de grands champions nationaux dans les principales filières industrielles. Mais alors je ne comprends pas bien, dit le candide, c’est bizarre puisque d’un autre côté la construction européenne prône la libéralisation des marchés nationaux, et l’arrivée de nouveaux entrants pour stimuler la concurrence dans tous l
es domaines, par exemple dans l’électricité, le rail, la poste, pour ne citer que les exemples les plus récents, ce qui signifie mécaniquement, si je ne m’abuse, poursuivit le candide, un amoindrissement voire un démantèlement des géants nationaux, notamment français, déjà en place dans ces domaines. C’est pourtant bien compréhensible, lui répondit le psychanalyste, car c’est, là encore, la schizophrénie, tout simplement.
 

Assez parler d’Europe, fit le premier, regardons un peu les Etats-Unis, vous avez vu que leur Président qui mène au moins deux guerres, a reçu récemment le Prix Nobel de la Paix. Oui, dit le candide, et ce qui est plus bizarre encore est que depuis, il a annoncé qu’il envoyait encore des dizaines de milliers de renforts sur l’un des fronts. Rien d’incompréhensible pour moi, objecta le psychanalyste, la schizophrénie là aussi, tout simplement, la schizophrénie, vous dis-je.       

Face à la crise, j’y reviens encore finalement, causée, nous dit-on, par trop d’endettement et trop d’argent facile à faible prix, que font d’autre nos gouvernants de par le monde, interrogea le premier ? Justement, dit le candide, leur action m’étonne car ils ont partout considérablement accru les dettes publiques et les liquidités à taux d’intérêts proches de zéro, comme si l’on pouvait soigner le mal par le mal, mais ils disent que c’est bien, et je ne comprends pas. Mais si, rétorqua le psychanalyste, encore la schizophrénie, vous dis-je, c’est un trait fort répandu, chez les grands comme chez les humbles. 

Revenons en France, dit le premier, avez-vous noté qu’un ancien Premier Ministre, Lionel Jospin, dans un livre qu’il vient de publier, revisite les raisons pour lesquelles il avait été amené à quitter la politique du jour au lendemain lorsqu’il avait échoué dès le premier tour dans sa campagne présidentielle. Oui, répondit le candide, et j’observe aussi que beaucoup lui reprochent précisément cette décision en la qualifiant d’abandon, alors que bizarrement les mêmes se plaignent en général du système français où, contrairement aux autres pays comparables, le personnel politique s’accroche à ses fonctions et à ses mandats dont il ne démissionne jamais, et où il fait souvent carrière pendant des dizaines d’années. Rien de bizarre ici non plus, fit le psychanalyste, les hommes politiques sont, à l’exception des plus grands bien sûr, comme les autres hommes, atteints d’un travers tout simple, la schizophrénie, vous dis-je, la schizophrénie.       

Restons encore en France, dit le premier, pour parler d’un autre homme politique marquant, Philippe Séguin, puisqu’il vient de nous quitter. Oui, je l’ai appris en effet, dit le candide, c’est triste, et ce qui m’étonne est qu’il est unanimement salué par la classe politique pour son indépendance d’esprit et sa liberté de ton, son sens de l’Etat et de la République, sa hauteur de vue, son désintéressement, et ses valeurs, alors que de son vivant bien peu l’ont suivi dans ses positions. C’est bien pour cela que dans l’une de ses pièces, reprit le premier, Montherlant faisait dire à l’un de ses personnages, un roi, que c’est justement lorsque la chose n’y est pas qu’il faut y mettre le nom, et que cela peut être d’un magnifique rapport, mais attention, précisait-il : une fois seulement le nom, surtout, car s’en servir deux fois serait trop insistant, et personne n’y croirait plus. Mais vous vous compliquez beaucoup trop la vie, interrompit le psychanalyste, c’est tout simplement là encore l’effet de la schizophrénie, vous dis-je, la schizophrénie. 

Mais, puisque vous citiez un écrivain, reprit le candide, laissez-moi en citer un autre, Camus, dont on commémore en ce moment le cinquantenaire de la disparition, et il disait que mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, or avec tout ce que nous venons de nous dire, il me semble que c’est très souvent le cas, y compris chez nos élites et nos dirigeants ; comment ce fait-ce, interrogea-t-il en se tournant vers le psychanalyste?  C’est bien simple, répondit ce dernier, la schizophrénie, vous dis-je, la schi-zo-phré-nie, répétez donc ce mot après moi : la schi-zo-prhé-nie, reprirent en chœur les deux autres.  

Mais alors, dirent-ils au psychanalyste, comment les gens ressentent-ils tout cela dans nos contrées ? C’est très simple, répondit-il, soit ils n’en ressentent rien ou bien même ils y adhèrent car ils sont eux-mêmes schizophrènes, soit ils en perdent leurs repères et se détournent du politique et des élections, car ils n’y croient plus, et n’y voient plus qu’un théâtre d’ombres.   

Mais alors, mais alors, Monsieur le psychanalyste, interrogèrent les deux autres, en passant de l’individu qui est votre champ d’étude, à notre société toute entière, comment qualifieriez-vous donc notre époque : Oh mais là encore, pour moi c’est tout simple, répondit-il,
je l’appelle…: schizo-époque !

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Commentaires

Les schizophrénies sont des maladies douloureuses et redoutables. L'esprit est "fracturé". Il comprend comme 2 parties qui coexistent sans s'identifier l'une l'autre. Par moment c'est l'une des parties qui "prend la main" du comportement de la personne et cela de manière aléatoire, donc non prévisible.

Je suis en phase avec l'auteur. Notre société est bien atteinte de cette maladie. Elle est "fracturée".

L'une des forces en présence nous incite à aller dans un sens et l'autre dans un sens opposé. Nous sommes à bord d'un gigantesque canoé qui part à droite puis part à gauche et tente, en moyenne, d'avancer...

Sans doute devons nous faire comme nos ancêtres et "inventer le gouvernail" pour gouverner, enfin, et donc nous diriger ensemble dans la direction souhaitée. Souhaitée, oui, mais par qui ? Par des élites éclairées, mais non despotes, ou bien par par un consensus dont la mesure serait "au minimum" de 51 % de tous les citoyens ?

Vaste question....

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