La France souffre, la France est fragile

La France vient de se donner un nouveau Président de la République. Il va avoir fort à faire. Car la France souffre, la France est fragile. Certes, nous autres français, sommes réputés pour être particulièrement pessimistes. Diverses études montrent que nous sommes plus inquiets que la plupart des citoyens des autres pays vis-à-vis de l’avenir de notre pays.

C’est un fait que de nombreux problèmes se sont fait jour ou fortement aggravés depuis une dizaine d’années : le chômage et la précarité, des jeunes notamment, le montant – abyssal - de la dette souveraine, le déséquilibre récurrent de nos finances publiques, la désindustrialisation, la perte de confiance des citoyens vis-à-vis de leur classe politique dans son ensemble, la perte d’influence de la France dans le Monde, …

Pourtant il est un mal qui, plus pernicieux, mine notre société. Il s’agit du délitement de notre tissu social. J’en parle car, précisément, s’il est une mission particulièrement régalienne du chef de l’Etat, c’est bien d’assurer la cohésion sociale. Président de tous les Français, il est celui qui doit réconcilier la communauté nationale avec elle-même.

On peut avoir des avis partagés sur le bilan du Président sortant. Estimer que la réforme des retraites, la réforme de la justice, du système de santé, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, l’autonomie des universités, etc. sont ou ne sont pas des succès.

Mais il est incontestable que la société française sort abimée de ces cinq années : plus intolérante, plus craintive, avec une tentation toujours plus forte d’ériger des barrières, voire de se replier sur elle-même.

Pendant ces cinq ans, le pouvoir en place nous a régulièrement désignés les boucs émissaires de nos maux : les immigrés, les chômeurs, les Roms (vous vous souvenez du discours de Grenoble en 2010 ou le chef de l’Etat associait clairement immigration et délinquance ?), les musulmans, etc.

A force d’opposer les travailleurs « qui se lèvent tôt » aux chômeurs, ces fainéants qui ne rechercheraient pas vraiment du travail, les « Français de souche » aux immigrés , ces « Français de papier » (vous vous souvenez de la saillie de Brice Hortefeux en 2009, à propos des Arabes : « Quand il y en a un, ça va, c'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes » ?), qui viendraient chez nous « pour toucher des allocations », la communauté judéo-chrétienne (vous vous souvenez du discours de Latran : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur » ?) à l’islam auxquels le laxisme des élus locaux accorderaient des « horaires réservés aux femmes voilées » à la piscine, les titulaires du RSA auxquels il faudrait imposer des travaux en contrepartie de leurs indemnités, les grévistes qui prendraient en « otage » les honnêtes citoyens, etc. nous avons fini par nous persuader que les coupables sont parmi nous et qu’il faut les neutraliser, c'est-à-dire, au final, réduire leurs droits de citoyens.

Notre pacte républicain est gravement menacé.

Qu’est donc devenue la France terre d’accueil, la France de la Fraternité, la France des Droits de l’Homme ?

Notre nouveau Président doit donc s’atteler sans tarder à réconcilier les Français avec eux-mêmes, à faire en sorte que notre communauté nationale retrouve le respect de toutes ses composantes. A rebâtir une nation qui accepte la différence. Une nation ouverte, tolérante et universaliste. Une nation qui réaffirme la légitimité de tous ses citoyens à vivre selon leurs souhaits, pour autant qu’ils respectent nos lois. C’est à cette nation que j’aspire.

Mais voilà. Le fera-t-il ?

Son programme (ses « 60 engagements pour la France ») n’est pas suffisamment ambitieux de mon point de vue.

Certes il s’engage à lutter contre la précarité (par l’augmentation des cotisations pour les entreprises qui abusent des emplois précaires), à lutter contre les délits de faciès et toute forme de discrimination dans l’embauche et le logement (comment ?), à combattre en permanence le racisme et l’antisémitisme (comment ?), à régulariser les sans papier sous condition et lutter contre l’immigration illégale et les filières de travail clandestin (comment ?), à assurer la sécurité de proximité en concentrant davantage de moyens dans des « zones de sécurité prioritaires », en accordant le droit de vote aux élections locales aux immigrés résidant en France (sans doute la mesure la plus « révolutionnaire » car peu populaire).

Une série de mesures allant chacune dans le bon sens, mais donnant l’impression d’un saupoudrage, là où il eut fallu, de mon point de vue, une réelle politique. François Bayrou allait un cran plus loin, parlant de créer un « Ministère de l’Egalité ».

Je suis moins inquiet du montant de notre dette souveraine, de notre désindustrialisation, des chiffres élevés du chômage que de cette perte de cohésion, de cette peur qui gangrène notre société.

Je crois en effet qu’une société soudée, solidaire, peut faire des miracles. Une société sans repères, sans foi en elle-même est condamnée à la régression.

Aussi je crois qu’il faut davantage que quelques mesures. Car c’est tout à la fois la sécurité, l’éducation, l’emploi, la justice, l’intégration des immigrés, le respect des corps intermédiaires qui réconcilieront les Français avec eux-mêmes.

Je suggère donc que cette cause soit incarnée dans un Ministère de la Cohésion nationale (faisant pendant au Ministère de… l’identité nationale du gouvernement sortant). Avec, soyons audacieux, François Bayrou comme Ministre.

Ce Ministère serait chargé de coordonner les actions de tous les autres avec pour objectif de garantir que les décisions aillent dans le sens d’un renforcement du pacte républicain qui nous lie.

Ainsi, la société française aurait-elle davantage de chances de retrouver un peu de sérénité, voire d’harmonie et d’affronter avec détermination les défis extérieurs plutôt que de s’épuiser en luttes fratricides.

Bernard Bougel

Vice-président de Altime Associates

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Commentaires

Merci, cher Bernard, pour cette analyse à la fois lucide - en ce sens qu'elle n'occulte pas les problèmes - et humaniste.

Je souscris particulièrement à votre affirmation concernant les dégâts qui peuvent être suscités par la peur et applaudis lorsque vous affirmez "qu’une société soudée, solidaire, peut faire des miracles" !
Merci pour cette leçon, non pas d'optimisme béat, mais de courage. On en aura besoin pour le redressement de notre pays à condition de ... ne pas se laisser enfermer dans les peurs de toute nature.

Amitié

Cher Bernard,

Je reconnais bien dans ce beau texte ta vision modérée, humaniste et imaginative du monde.

Je dois dire qu'il me fait revenir à l'esprit une belle chanson qui a marquée mes vingt ans,

"Les Loups"> interprétée par Serge Reggiani.

Les "hommes" sont toujours pareils depuis l'aube des temps. Ils ont toujours besoin de trouver un "coupable" à l'état des choses.

A une lointaine époque, certains se servaient de "boucs" qu'il rejetaient dans le désert et qu'ils accablaient de toutes leurs fautes personnelles devenues trop lourdes à porter et trop pénibles à accepter...

A ECOUTER DE NOUVEAU
http://www.youtube.com/watch?v=8v77VIxElwM

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