Pour un budget participatif

070407-budget_participatif.jpgJe ne suis pas un fan de Mme Royal mais suis quand même effaré par le manque d’imagination de certains « Messieurs je sais tout » pour qui les gens ordinaires n’ont pas à s’occuper des choses sérieuses.

Eric Besson, l’un des principaux contempteurs de « Ségo », retrace (page 140 du livre « Qui connaît Madame Royal ? ») un dialogue qu’il a eu avec Claude Askolovitch, son interviewer :

- Vous allez me raconter une nouvelle bourde de Ségolène Royal ?

Nous sommes en 2006 dans la préparation du projet socialiste. Ce sont des réunions lourdes. On parle de fiscalité, de réforme fiscale, du budget de la France. Autour de la table, tous nos leaders. Strauss Kahn, Hollande, Lang, Aubry, Fabius, Emmanuelli et Royal. Chacun s’exprime. A un moment, on se tourne vers elle...

- Et elle dit une bêtise ?

Elle dit : « Ce qui m’importe c’est que le budget de la Nation soit participatif ».

- Ce qui signifie ?

Comment voulez-vous que je le sache ? Dans un quartier, un budget participatif, j’arrive à concevoir même si je n’aime pas trop… Mais au niveau de l’état du budget de la cinquième puissance, je ne sais pas.

- Quelqu’un la relance, l’interroge ?

Non. Tout le monde est atterré. Personne ne réplique. Un ange passe, tout le monde se regarde. François fait une boutade. Il fait rire et ça met fin au flottement… Plus tard, quand je résume les différentes interventions … je saute celle de Ségolène Royal. Délibérément. Je ne vois pas ce que je pourrais dire sur un non sens pareil.

Sorry, M. Besson, je ne vois pas où est le non sens. Il serait certes plus facile de commencer par les budgets locaux mais Mme Royal n’a pas dit que l’ensemble du budget de la Nation devait être voté par l’ensemble du peuple. Ces Messieurs auraient pu lui demander de préciser sa pensée. Je ne sais pas ce qu’elle aurait répondu mais voici, à titre d’exemple, une réponse possible :

D’abord, l’orientation du budget pourrait, dans ses grandes lignes, faire l’objet de débats indicatifs préalables à l’élaboration gouvernementale.

Ensuite et surtout, les citoyens pourraient être associés à l’affectation d’une petite partie de leurs contributions fiscales. On pourrait imaginer que ce mécanisme ne concerne, pour commencer, que 5 % du produit de l’impôt sur le revenu. Soit à peine plus de 1 % des recettes de l’Etat. Concrètement, le gouvernement proposerait et le parlement voterait, comme d’habitude, les dépenses correspondant à 99 % du budget mais, pour le 1 % restant, il se contenterait de dresser la liste de certains investissements publics considérés comme souhaitables pour améliorer la vie quotidienne des Français. Les contribuables choisiraient sur cette liste en décidant eux-mêmes l’affectation de l’équivalent de 5 % de l’impôt sur le revenu. Ainsi, auraient-ils la satisfaction de savoir que cet argent sera utilisé à quelque chose qu’ils jugent nécessaire. De plus, les administrations pourraient être mises en concurrence et autorisées à faire de leur mieux pour séduire les assujettis transformés en donateurs.

Est-ce utopique, irréalisable ? Plaçons-nous du point de vue du citoyen-contribuable. Aucun n’accepterait que l’Etat lui ordonne d’acheter une voiture, plutôt qu’un téléviseur. Or, pour ces autres produits de consommation courante que sont les autoroutes, les crèches ou les adductions d’eau, tout se passe comme si rien n’avait changé depuis que les Anglais, au XVIIème siècle, ont inventé la démocratie parlementaire. Aujourd’hui, pourtant, les dépenses de l’Etat ne couvrent plus seulement le fonctionnement de l’armée, de la police et de quelques administrations : elle touche à tous les besoins collectifs lesquels, dès lors, souffrent d’un handicap grave par rapport à la consommation privée.

Tous les jours, la publicité nous pousse à acheter ceci ou cela. A l’inverse, les services publics ne se donnent pas la peine de faire savoir précisément comment ils comptent utiliser notre argent. C’est là un vice profond de nos sociétés occidentales : elles n’ont pas encore réussi à mettre les mécanismes du Marché au service des besoins collectifs. Il faudrait – comme le disait Pierre Massé, un ancien commissaire au Plan – trouver une idée neuve qui permette au contribuable d’exercer des choix, une idée qui les mobilise au lieu de les faire râler. Hélas, Eric Besson n’est pas Pierre Massé. Ce n’est pas sur lui qu’il faudra compter pour trouver une idée neuve.

Marc Ullmann est membre fondateur du club des vigilants

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Commentaires

Consulter les citoyens (et pas seulement sur les contribuables) me semble en effet une mesure à adopter, d'autant plus qu'elle est parfaitement en accord avec la décentralisation. En effet, cette dernière n'a-t-elle pas pour but de permettre des services publics plus adaptés aux besoins des citoyens ?

La question reste le mode de consultation : j'avoue que je ne crois pas trop aux débats participatifs tels qu'ils ont été pratiqués jusqu'ici, mais cela veut juste dire qu'il faut continuer à chercher...

Faire participer chaque citoyen d'un pays de plus de 60 millions d'habitants à l'utilisation du budget de l'Etat !!!

Chaque commune va penser à son propre intérêt d'avoir une voie rapide la desservant (mais ne passant pas trop près de chez lui !!) ou une école, ou le TGV...

C'est pour cela que nos anciens ont inventé la démocratie représentative... Mme Royal semble rétrograder vers un régime qui pourrait ressembler à l'anarchie ! Chacun décide pour lui ! Belle avancée politique !

L’élection présidentielle 2007 a le mérite de poser avec inquiétude une question ancienne : comment les citoyens doivent-ils participer à la vie de l’Etat, comment peuvent-ils le faire efficacement ? Mais cette question pourrait être posée d’une manière plus utile et plus participative pour le coup : sous quelles modalités, la participation citoyenne peut-elle accompagner ou influencer les décisions budgétaires de l’Etat ?

Traditionnellement, l’implication de chacun commence par le vote pour un candidat qui promet de représenter une « liste d’attentes citoyennes ». Cette liste est portée, défendue et se traduit souvent par des actions plus ou moins en phase avec nos attentes à court et long terme.
Aujourd’hui le cycle de la démocratie représentative apparaît soit trop long, soit trop indirect pour répondre avec pertinence à des enjeux que tous nous sentons plus pressants et complexes.

Agir en décidant, par exemple d’orienter une part de ses impôts, n’est pas forcément s’impliquer. Cela peut même apparaître dans certains cas comme une manière plus directe et moins égalitaire de donner voix à ses revendications et préoccupations personnelles.
Cependant, il me paraît dangereux de se défier en permanence de la capacité des citoyens à dire, demander et faire ce qui leur semble important pour la collectivité. Il faut avant tout s’interroger sur les modalités de la participation citoyenne.

A ce titre, la Norvège a voté une loi en 1990 qui créait le Conseil Ethique Indépendant sur l’utilisation de l’argent du pétrole. Pour faire court, ce Conseil assiste le Fonds du Pétrole Norvégien dans l’orientation de la manne pétrolière. Il s’assure que celle-ci répond à des critères éthiques progressivement établis.
Cette action norvégienne est en train de redéfinir le fonctionnement d’autres Fonds Pétroliers étrangers. Cette modalité de participation citoyenne reste indirecte, mais n’est déjà plus entièrement liée au dogme de la représentativité. Le citoyen trouve dans le directeur du Conseil Ethique son représentant éthique qui transforme ses attentes en contrôle des investisseurs et du Gouvernement.

Nous serions bien inspirés de réfléchir à la manière dont nous voulons participer au Budget. Participation représentative de ses attentes ou participation transformative à court et long terme ? Plus d’argent pour les routes ou plus de justesse dans le financement des infrastructures de mobilité ?

Toute dépense d'argent public devrait répondre à une perception incontestable de l'intérêt général.
A ce moment, l'accord du citoyen est tacite, il n'y a pas lieu de débattre, mais juste de gérer avec probité.
Quand il y a doute sur l'intérêt général, quand des projets très couteux sont controversés, là oui, il faut éclairer le débat, le rendre participatif jusque dans la décision. Les erreurs d'investissement de grande ampleur obèrent l'avenir.
Ainsi les projets d'équipement scientifiques à visée de recherche pure devraient suivre un tel processus : quelques exemples :
1.le LHC, mise en service prévue en 2008 (grand collisioneur d'hadrons dans un tunnel torique garni de supra-aimants) devrait permettre de mieux explorer l'infiniment petit estimé d'avant le big bang) Franchement... 8 mds € pour des supputations éthérées sur l'origine de l'univers...
2. ITER, démarrage en 2007, idée de 1985, le réacteur expérimental de fusion nucléaire dont les conclusions ne seront pas connues avant 40 ans, avec des obstacles technologiques énormes et un risque d'échec important, voire d'accident. ITER va coûter entre 10 et 15 mds € sur 10 ans. Les avis scientifiques critiques, dont le prix nobel de physique 2002, le Pr Koshiba ou Pierre-Gilles de Gennes, prix nobel de physique 1991, ou encore Claude Allègre
ne sont pas entendus. La décision "internationale" vient on ne sait d'où (le conseil ITER) et s'impose aux premiers concernés : les contributeurs.
Or il y a une telle urgence à faire muter nos sociétés dans le sens de l'environnement et du co-développement pacifique que ce projet ITER qui poursuit le rêve de la fusion nucléaire apprivoisée est bien trop incertain en regard de son coût.
3. Les missions spatiales vers la lune ou mars. Atterrissez ! Pour nous, la vie c'est ici sur Terre, et il faut d'urgence s'employer à la partager paisiblement plutôt que d'imaginer un ailleurs improbable aux confins du cosmos. Là aussi, l'information la participation des citoyens éclairés (il y en a, si) est impératif pour ne pas avaliser une pseudo-démocratie néfaste et sans avenir.
4.D'une façon générale, l'entretien, la modernisation et le développement des armes de destruction massives, financées par des fonds publics sans consultation dudit public. Cela ressemble fort à un mépris du "peuple" jugé incapable d'intégrer les tenants et aboutissants des problématiques géostratégiques et n'ayant donc comme unique fonction celle de "payer".
Il ne s'agit pas de renoncer à toute recherche, non. Les trouvailles des grands de la physique dans le passé n'ont jamais asséché les finances publiques, y compris celle de la recherche continue : il faut mettre les choses en perspective, entrevoir -et dénoncer- les prises d'intérêts de certains lobbies égoïstes dans la validation de méga-projets.

@mariam : Après-tout, cela fonctionne pourtant bien dans certains pays tels que la Suisse. Certes, certains paramètres sont différents mais il y a sans aucun doute des éléments intéressants à y puiser.

A Mariam,
Je comprends votre souci de consulter les citoyens plutôt que les contribuables dans la mesure où cela pourrait aboutir à une sorte de suffrage censitaire. On pourrait, cependant, imaginer que chaque électeur ait son mot à dire sur le choix des investissements publics, exactement comme s’il était un contribuable. Imaginons, par exemple, que chaque électeur puisse affecter X euros, il lui suffirait de cocher sur la liste. Le Ministère des Finances se chargerait de l’addition. Je précise que je ne recommande pas ce système particulier. Si l’on est d’accord sur le but à atteindre, on finira par trouver le bon système.

A Lebretton
Ce n’est pas faire injure à la démocratie représentative que d’impliquer les citoyens. Que diriez-vous si le gouvernement et le parlement décidaient à votre place l’achat d’une voiture plutôt que d’un ordinateur ou le contraire. Les mécanismes du Marché ont du bon. Pourquoi ne pas les mettre au service des besoins collectifs ? Chaque contribuable ou chaque électeur (cela se discute) affecterait une somme donnée en choisissant sur une liste préétablie d’investissements souhaitables. Techniquement, ce serait facile : il n’y aurait qu’à mettre des croix dans des cases, le Ministère des Finances se chargerait de faire les additions. Le parlement, pour sa part, resterait seul maître de l’affectation des dépenses « régaliennes ».

A Guillaume
Faut-il vraiment choisir entre les deux méthodes ? A condition de doser, ne peut-on pas penser en termes de « fromage et dessert » plutôt que « fromage ou dessert » ?

A Thierry LEITZ
Je crains fort que vous ayez raison à propos d’Iter. Des sommes colossales risquent d’être perdues. Il n’empêche que tous les projets conformes à l’intérêt général ne sont pas forcément finançables en même temps ou dans la même proportion. Il faut faire des choix. La question est de savoir qui les fait, quelle est la part de démocratie directe que l’on peut introduire dans les interstices de la démocratie représentative afin de mieux impliquer les citoyens.

Pour ma part, l'information à circulé la veille (IUT SRC Saint Raphaël). Je ne pense pas être assez calé sur le sujet pour en débattre convenablement (même si cet article est très intéressant) mais ma chef de dept a dit quelques choses que j'ai apprécié : " Ce n'est pas une journée de grève au sens propre mais surtout une volonté des IUT de montrer leur capacité à débattre en organisant des conférences/manifestations en amphi. Ça change des grèves dans la rue ou des blocages ; qui ont tendance à m'agacer.

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