La France face à son histoire

En ces temps de mémoire troublée, un membre du Club des Vigilants, rapelle que l'histoire des nations ne se limite pas à une face noire. Une face lumineuse existe aussi. Il est bon, estime-t-il, de le rappeler. Vous trouverez ci-après son témoignage.

Notre pays a toujours eu beaucoup de difficultés, du moins depuis la Révolution, à se regarder en face. L'évocation de la guerre d'Algérie en est une démonstration flagrante. Récemment la démonstration en fut poussée jusqu'à l'absurde lorsque nous assistâmes à l'écriture de l'Histoire par voie législative. La célébration d'Austerlitz fut pratiquement occultée alors que les Britanniques venaient de célébrer Trafalgar avec faste (avec la participation du Charles de Gaulle…). On nous explique maintenant que nous devons avoir honte de Napoléon, l'esclavagiste, honte de notre politique coloniale, honte de notre passé.

Le politique a en France des relations tendues avec le passé historique même récent. Distorsion, omissions et oublis y sont règle courante.

Une illustration en fut donnée lors des cérémonies, grandioses, de commémoration du 60eme anniversaire du Débarquement en Normandie. et j'y fus d'autant plus sensible que je suis normand, ai connu (bien que très jeune) les bombardements qui précédèrent le Débarquement et suis familier de la Scandinavie.

Quel contraste en effet, le 6 juin 2004, entre Arromanches et Ouistreham !

A Arromanches, après la fort belle cérémonie qui réunissait 17 chefs d'Etats, plus d'un millier de vétérans britanniques, couverts de médailles, bombaient le torse pour défiler impeccablement devant leur souveraine, majestueuse et émue. Dans le même temps, ? quelques kilomètres d'Arromanches, le Président français s'entretenait familièrement sur la plage de Ouistreham avec la douzaine de survivants du commando Kieffer après avoir inauguré le monument rappelant l’action d’éclat de ces hommes.

Hommage était enfin rendu aux seuls 177 participants français au Débarquement qui s'illustrèrent ? Sword Beach en s'emparant des points fortifiés du littoral, en particulier le casino de Ouistreham. Pendant soixante ans la République ignora ces soldats français qui, seuls au sein de l’armada anglo-américaine, affirmèrent une présence française lors de la libération du territoire national.

Seuls les habitants de la région de Ouistreham, les visiteurs du musée du pont de Bénouville (" Pegasus Bridge ") et les spectateurs du film "Le jour le plus long " connaissaient le nom de Philippe Kieffer et de son commando dont les survivants durent attendre plus d’un demi-siècle pour recevoir de la République française ne serait-ce qu’une médaille de reconnaissance.

La seule faute de ces hommes fut d’avoir débarqué en Normandie au sein d’une unité britannique. Le commando crée par le commandant Kieffer avait, pour des raisons pratiques, été rattaché ? la Première Brigade Spéciale de Lord Lovat qui deviendra célèbre pour avoir avancé au combat le 6 juin en chandail blanc, accompagné par son joueur de cornemuse s'époumonant sous la mitraille. Quant aux hommes de Kieffer ils avaient troqué leurs casques lourds britanniques pour les bérets verts des commandos.

Aux yeux du général de Gaulle, dont les rapports avec Churchill étaient pour le moins difficiles ( une série télévisée récente l'a remarquablement montré), avoir combattu au sein d'une unité britannique constituait en soi une raison suffisante d’oubli qui fut par la suite perpétué par tous les gouvernements français successifs. Les membres du commando Kieffer en furent les premières victimes, ignorés par la Nation.

Lors de cette journée du 6 juin 2004, hommage fut rendu par le Président français, pour la première fois, aux souffrances subies par les populations civiles de Basse-Normandie qui en juin 1944 endurèrent ce qu’aujourd’hui on qualifie pudiquement de " dommages collatéraux ". Les frappes dites chirurgicales n’existaient pas alors et seuls les tapis de bombes pouvaient neutraliser les moyens ennemis tout en broyant les civils encore présents.

A aucun moment lors de ces journées de commémoration, dans aucun media, ne furent évoqués les événements qui, quatre ans avant le Débarquement, dans la période la plus noire de l’histoire de la France, conduisirent ? la seule victoire de l’armée française contre les nazis : la prise de Narvik. Même la remarquable série télévisée "De Nuremberg ? Nuremberg" n'y fait qu'une très brève allusion alors qu'il s'agit d'une page de gloire de l'armée française. On nous dit que la France d'aujourd'hui déprime, en partie par nostalgie de sa grandeur disparue mais rien n'est fait pour rappeler les pages de gloire.

Fin 1939 Winston Churchill, alors Premier Lord de l’Amirauté britannique, avait eu l’idée géniale en concertation avec certains éléments de l'état-major français, de couper la " route du fer" pour bloquer les avancées de Hitler,. L’Allemagne importait alors 90% de la production de minerai de fer de la mine de Kiruna en Laponie suédoise via le port norvégien de Narvik, ? 200 kilomètres au nord du Cercle polaire. Ce minerai était transformé dans les aciéries de la Ruhr en bon acier pour canons, chars, sous-marins et autres moyens de guerre. Le Premier ministre britannique, Chamberlain, était contre ce plan alors que Daladier, Président du Conseil français le soutenait.

En février 1940 le Conseil Supérieur Interallié autorisa une intervention en Finlande qui était attaquée par l'Union Soviétique alors alliée de l'Allemagne. Toutefois le 13 mars 1940 la guerre finno-soviétique était terminée et la nouvelle tâche fixée au corps expéditionnaire fut le contrôle de Narvik conformément au plan initial de Churchill.

Le 9 avril l'Allemagne envahit la Norvège. Le 14 avril le corps expéditionnaire anglo-français auquel se sont joint des troupes polonaises et norvégiennes commence ? débarquer prés de Narvik et au centre de la Norvège. Les troupes françaises sont constituées par la Iere division de Chasseurs (qui comprend une unité de la Légion étrangère) commandée par le Général Béthouart, responsable de la phase terrestre de l'opération alliée. L'approche de Narvik est difficile tant ? cause du terrain montagneux enneigé que de la résistance allemande. Des batailles navales violentes opposent la Royal Navy (accompagnée de quelques bâtiments français dont le contre torpilleur Bison qui sera coulé) ? la marine allemande dans le fjord de Narvik dont aujourd'hui encore les eaux claires ne peuvent cacher les épaves des navires envoyés par le fond.

Finalement le 27 mai ? minuit la Légion étrangère part ? l'assaut de Narvik fortement défendue. Arrivés aux premières maisons, les légionnaires, grands seigneurs, laissent passer devant eux leurs collègues norvégiens, ? la stupéfaction des britanniques. Le 28 mai ? 22 heures Narvik est tombée et les Allemands fuient vers la frontière suédoise qui n'est qu'? quelques dizaines de kilomètres. La Légion peut entreprendre la destruction de ce qu'il reste des installations portuaires au terminus de la ligne de chemin de fer qui amène le minerai de fer de Kiruna.

Malheureusement la campagne de France tourne ? la déroute. Le jour même de la prise de Narvik les forces belges se rendent et les Britanniques commencent le rembarquement de Dunkerque. Devenu Premier Ministre, Churchill avait déclaré le 13 mai : "je n'ai ? offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur".

Alors que les troupes allemandes qui défendaient Narvik détruisent leur matériel avant de passer en Suède (où elles seraient immédiatement internées), le Corps expéditionnaire allié reçoit le 31 mai 1940 l'ordre d'abandonner Narvik et de rembarquer. Le 8 juin plus aucune troupe alliée n'est sur le sol norvégien. Les Allemands, sidérés, reviennent dans Narvik devenue une ville fantôme. Ils n'y rencontrent que des mannequins armés de fusils de bois que les Légionnaires ont laissé derrière eux dans une dernière moquerie tragique. Les Français prendront la direction de Brest d'où ils étaient venus.

Bientôt la France sera le seul pays envahi ? signer un armistice avec les nazis, ce que les Britanniques et les Américains ne lui pardonneront jamais. Le général Béthouart sera envoyé par Vichy servir au Maroc sous les ordres du général Juin, avant de rejoindre en 1942 les Forces Françaises Libres. Le général de Gaulle s'enfermera dans une politique quasiment anti-anglo-saxonne. L'expédition de Norvège avait été une opération franco-britannique. L? encore tous les gouvernements français "oublièrent".

De cette épopée extraordinaire au-del? du cercle polaire ne reste qu'un petit cimetière où reposent quelques soldats et marins français. Leurs tombes dominent le fjord de Narvik au milieu du silence du Grand Nord illuminé l'hiver par le feu d'artifice des aurores boréales.

Ironie de l'Histoire : la ligne de chemin de fer suédo-norvégienne, par laquelle transite toujours le minerai de fer de Kiruna, est désormais exploitée par la société Connex, filiale du groupe français Veolia. La Suède, paradis socialiste, a, sans état d'âme, concédé l'exploitation d'une ligne de chemin de fer hautement stratégique ? une société privée étrangère…Cela nous ramène aux débats franco-français d'aujourd'hui mais c'est une autre histoire.

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Commentaires

Je réagis à titre personnel sur la dernière partie du billet de Michel Chevet concernant la France face à son histoire.

Je reviens de Narvik où je suis allé en compagnie de mon épouse sur la tombe de son grand-père maternel, le Commandant Gueninchault, mort à la tête de ses troupes françaises lors de la libération finale de Narvik et enterré en Norvège, sur le lieu de sa victoire parmi beaucoup de ses soldats…

J'y ai découvert un moment glorieux de l'histoire de la France et de ses Alliés en mai 1940, tous en lutte contre l'envahisseur du moment, le troisième Reich nazi.

A l'époque où non seulement la France mais aussi l'Angleterre, la Pologne, la Norvège et d'autres, aujourd'hui si désunies pour se partager le "pain économique quotidien", cela fait du bien de voir que l'union fait la force dans les situations difficiles.

J'y ai remarqué, avec plaisir, le sentiment de reconnaissance et de respect des Norvégiens vis à vis de leurs libérateurs et tout particulièrement envers les Français.

J'ai apprécié la beauté tranquille et le paysage grandiose du lieu et en particulier l'intimité du Cimetière Militaire où reposent dans des quartiers engazonnés et délimités par de simples allées mais "tous ensemble" aussi bien les soldats Allemands, que Français et autres Alliés, tous réunis par la mort d'une manière bien plus parlante, hélas, que celle que nous propose certains des promoteurs de l'Europe actuelle...

J'en suis revenu, avec l'ardente impression, que ce morceau d'histoire oubliée (mais pourquoi ?) s'il était mis à l'écran de belle manière et accompagné de débats historiques pourrait avoir une vertu positive pour nos populations actuelles un peu désemparées.

Sans doute, alors que la victoire des troupes Françaises et Alliées était manifeste et incontestable, la situation en France métropolitaine est devenue soudainement celle d'un pays envahi par un système nazi qui n'avait, au fond, par beaucoup d'autres intentions que celle de "coloniser" les autres pays européens !

L'idée stratégique de bloquer la production de l'industrie militaire de l'Allemagne nazie avant qu'elle n'ait fait trop de dégâts chez ses voisins était forte car elle réussi à cimenter l'action des divers intervenants. Le fait étonnant que ce soit la France, par l'intermédiaire de la Légion Etrangère transférée pour l'occasion depuis les sables nord-africains vers les glaces du Cercle Polaire, qui ait libéré la Norvège du joug nazi, semble oublié de tous, sauf des Norvégiens.

La question qui doit gêner les dirigeants militaires de tous bords, est que transformer une première victoire offensive en un défaite défensive, n'est pas très glorieux…

Pourquoi avoir abandonné Narvik et les Norvégiens, tout juste libérés, aux représailles d'une armée nazie étonnée et ravie, de retrouver très vite cette ville stratégique complètement abandonnée par ses nouveaux et trop rapides libérateurs ?

Serait-ce une énorme gaffe de stratégie militaire ?

Il faudrait en parler, car je n'arrive pas à penser que ces hommes de plusieurs nationalités européennes, soient en fait, morts… pour rien !

HPS
Vigilant

Bonjour,
Sauriez vous où on peut se procurer la liste des 177 noms des membres du Commando Kieffer ayant participé au débarquement du 06/06/44 ? Si possible la liste des vrais noms, si j'ai bien compris , nombre des membres de ces hommes portaient des pseudonymes.
Merci.
J-M DUPUY

Bonjour,
la liste des 177 noms se trouve dans le livre écrit par l'un d'eux, Gwenn-aël Bolloré dit Bollinger sous le titre " Nous étions 177" paru notamment aux éditions France-empire.

Républicain espagnol, Manuel FERNANDEZ, né à Esfiliana 'province de Grenade, s'engagea dans la légion. il était à Narvik, puis rempila dans l'armée anglaise et débarqua en Normandie. A 91 ans en janvier 2007, jamais il n'entendit parler des combattants espagnols qui ont contribué à ces 2 faits d'armes. Les oubliés de la France et de Churchill. Quand cet oubli sera-t-il réparé ?

bonjour mon grand-père à fait partie du commando Kieffer lors du débarquement. Il me semble que vous aviez tous un nom d'emprunt au cas où vous seriez pris par l'ennemi afin que vos familles ne soient pas inquiétées. Le sien était jhonny warengell, si quelqu'un avait des infos, je suis preneur merci.

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