L’Innocence des Musulmans : ce que révèlent les réactions au film

Un film satirique à l’égard du Prophète Mahomet, L’Innocence des Musulmans, produit par un américain, a été récemment  diffusé sur internet.  Ce film a conduit à des réactions violentes dans certains pays Arabes. Ceux qui ont été les plus violents sont ceux qui ont joui récemment de l’appui américain et occidental pour leur « libération » des régimes dictatoriaux, à savoir, l’Égypte où les réactions ont commencé en premier, la Libye, la Tunisie et le Yémen.

Dans tous ces pays, la cible des violences a été l’ambassade américaine.

En Libye, une attaque en règle avec des hommes armés à visage découvert a eu lieu le 11 Septembre. Elle a duré plus de quatre heures et demi sans que les forces de l’ordre n’interviennent. Elle a fini par l’assassinat de l’ambassadeur américain, Chris Stevens, et deux autres membres du personnel.

Dans l’éloge funèbre de Chris Stevens,  le Secrétaire d’État américain, Madame Clinton, s’exprime de la façon suivante :

« Chris Stevens est tombé amoureux du Moyen-Orient, il a fait siens les espoirs des autres… Aux premiers jours de la Révolution Libyenne, il est  arrivé à bord d’un cargo au port de Benghazi et a bâti nos relations avec les révolutionnaires Libyens…

Il a risqué sa vie pour arrêter un tyran, et il est mort en essayant de construire une meilleure Libye ...

Comment ceci a-t-il pu arriver dans un pays que nous avons contribué à libérer, dans une ville que nous avons sauvé de la destruction ?»

La réponse à Madame Clinton se trouve dans un écosystème culturel qui ne cesse de s’étendre dans le monde arabe et islamique, pour des raisons qu’il serait un peu trop long d’exposer ici.

Les indicateurs de l’existence de cet écosystème favorable à la violence  ne manquent pas quand nous analysons la tuerie de l’ambassade américaine en Lybie :

  • Les forces de l’ordre ne sont intervenues qu’après que les assaillants aient évacué les lieux ayant accompli leur mission, c’est-à-dire après quatre heures et demi. Pourtant ces forces dépendent d’un gouvernement dont le chef, un islamiste a été favorisé par les Américains.
  • Aucune arrestation sérieuse à ce jour, et d’ailleurs on n’a commencé à  arrêter à la pioche, que quatre à cinq jours plus tard, sans vraiment « trouver » un participant actif à cette tuerie et pourtant les participants pendant leur acte n’ont pas hésité à se laisser filmer par les caméras.
  • Le peuple Libyen que Madame Clinton aime croire qu’il s’oppose aux assassins, et plus particulièrement le peuple de Benghazi n’a manifesté aucun émoi particulier vis-à-vis de ce qui s’est passé.

Raisonner en termes de majorité et de minorité, comme le fait Madame Clinton  en disant qu’il s’agit d’un « groupe minoritaire de sauvages », ne sert à rien dans ce contexte. La situation n’est pas celle d’un débat parlementaire. Pour mieux la comprendre empruntons une analogie à la biologie où un virus tue non pas parce qu’il est majoritaire mais parce qu’il trouve un écosystème favorable.

Disons-le tout de suite que l’écosystème en question est une production très récente. Il a sans doute existé comme pour toutes les religions des courants extrémistes en Islam, mais ils sont demeurés relativement sans influence réelle sur le cours des choses. Alors que toutes les grandes civilisations humaines, y compris la civilisation arabe et musulmane, ont toujours été favorables au progrès, les salafistes (littéralement les « ancestristes», ceux qui s’opposent au progrès) qui n’ont pas pu trouver d’écosystème favorable tout au long de l’histoire de la civilisation arabe et musulmane, semblent étonnamment avoir aujourd’hui le vent en poupe.

Cela invite à se poser des questions sérieuses sur ce qui risque de devenir une épidémie si l’on n’agit pas sur l’écosystème favorable à son expansion. Une lecture de quelques extraits du « catéchisme salafiste » permet de mesurer à la fois les dangers de l’expansion et la nécessité de l’enrayer.

Le 10  Septembre 2012, l’un des quotidiens libanais importants. Al Akhbar,  produit des extraits de ce catéchisme qui est constitué d’un livre de 600 pages, dont l’auteur est Cheikh Abdel Rahman El Ali (Égyptien). Ce livre a pour titre : Problèmes de compréhension  religieuse (fiqh) du Jihad. Il a été endossé par Ayman El Zawahari, et par Abou Moussaab El Zarqawi (ex-chef de la Qaeda en Irak, tué par les américains). Il circule dans tous les milieux islamistes. La publication des extraits n’a donné lieu à aucune réaction, aucune condamnation de la part des gardiens traditionnels de la foi, signe encore de l’emprise de  «l’écosystème favorable ».

Ci-suit quelques paragraphes « parlants » :

«… la différence entre civil et militaire n’existe pas en Islam, L’islam ne distingue qu’entre le croyant et l’incroyant … il est permis de verser le sang de l’infidèle où qu’il soit et quel qu’il soit … femmes, vieux, enfants. »

« Dieu ne dit pas de tuer simplement  mais commande que l’on coupe les têtes et que l’on égorge les incroyants … c’est une pratique aimée par Dieu quoi qu’en disent les âmes sensibles … Khaled Ibn El Walid (un commandant des armées musulmanes du septième siècle) a coupé la tête de l’un de ses ennemis, l’a fait cuire dans une marmite et l’a mangé au diner ».

« Il est permis pour vaincre des incroyants de demander l’aide à d’autres incroyants, comme on peut s’aider de chiens pour pourchasser ses ennemis ».

L’auteur de ces lignes voyageait entre l’Afghanistan et l’Irak passant par l’Iran. Les autorités iraniennes l’ont arrêté et l’ont mis en prison où il demeure jusqu'à nos jours. Mais cela n’a pas empêché son ouvrage de diffuser.

Dans la lutte contre la culture de la violence et de la haine que propagent les milieux salafistes, le recours à la  « cavalerie » et aux actions « Ramboesques » ne sert à rien. La « cavalerie »  a déjà perdu la guerre en Afghanistan. Elle devra s’en retirer en laissant le terrain aux Talibans, qui vont en faire une grande pépinière. Les opérations qui ont conduit à tuer Abou Moussaab el Zarquawi, ou Bin Laden, ou Abou Yehya El Libi, pour spectaculaires qu’elles soient, n’ont en rien enrayé le phénomène.

Une guerre contre une idéologie se gagne d’abord dans les esprits. Il importe de commencer par identifier ce qui rend un écosystème culturel synergique aux idées extrémistes, et de le transformer en un milieu allergique. Il est essentiel aussi de ne pas imaginer qu’en versant de l’eau dans un étang, on va noyer le crocodile qui y réside. On lui donnera tout simplement la possibilité de se reproduire et de nourrir un plus grand nombre de petits.

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Commentaires

"La réponse à Madame Clinton se trouve dans un écosystème culturel qui ne cesse de s’étendre dans le monde arabe et islamique, pour des raisons qu’il serait un peu trop long d’exposer ici."
C'est bien dommage. J'aurai aimé avoir votre point de vue sur la notion "d'écosystème culturel" et un aperçu des raisons que vous évoquées.

Chers amis,

Le changement de l’écosystème socio-culturel dans les pays arabes est un processus qu’il m’a été donné d’observer sur environ vingt-cinq ans par des études de terrain. Il est particulièrement difficile de simplifier et de résumer sans perdre certaines nuances essentielles. Ceci dit, essayons quand même de donner une vue générale de l’évolution de cet écosystème.

Commençons par rappeler que la modernité actuelle, qualifiée par Alain de Vulpian (1) de deuxième modernité, s’accommode mal de l’autoritarisme et requiert des outils mentaux permettant d’en gérer la complexité. Ceci n’a pas été le cas de la première modernité qui a caractérisé l’Europe à partir de la fin de la Première Guerre Mondiale. Bolchévisme, franquisme, fascisme et nazisme ont accompagné la modernisation de certains pays Européens.

La deuxième modernité s’est installée en Europe avec les années 80. Elle a pointé à l’horizon des pays arabes au début des années 2000. La composante « hétérarchie » (rejet d’une autorité hiérarchique oppressante) va diffuser fortement pour imprégner presque toutes les couches et tous les pays arabes autour des années 2010. Cette diffusion est favorisée par ce que l’Islam premier refusait le les hiérarchies au caractère absolu. Il n’y avait guère de roi qui gouvernait selon « son bon plaisir » mais un calife, dépositaire du message du Prophète, qu’il était légitime de le défier s’il s’écartait du droit chemin.

À l’opposé, l’expansion de la « gestion de la complexité « se heurte à de sérieux obstacles, dont l’un des principaux est la pauvreté des outils de pensée. Cette pauvreté est due en partie aux défaillances des systèmes éducatifs locaux, mais aussi au contrôle sur le vocabulaire médiatique exercé par les régimes autocratiques qui ont gouverné les pays arabes pendant des décennies. Des études que nous avons pu mener sur les medias dans de tels régimes montrent que le vocabulaire utilisé par les medias est nettement plus pauvre que celui d’un pays démocratique comme le Liban. Dans l’Irak de Saddam Hussein par exemple le principal quotidien utilise en moyenne à peu près 380 mots pour commenter les nouvelles, alors que pour la même période, le principal quotidien libanais en utilise environ 620. Le langage est un outil de la pensée. S’il est appauvri, celle-ci devient moins apte à gérer la complexité.

Ne pouvant pas gérer la complexité, beaucoup de personnes se perçoivent comme des laissés pour compte par la modernité. Elles entendent revenir en arrière, aux temps premiers de l’Islam, et réaliser ainsi le tour de force de marier l’hétérarchie dont elles sont imprégnées, qui appartient aussi à ce temps, avec la simplicité relative de la vie à cette époque. Ce faisant, elles vont adopter des idéologies extrémistes qui leur permettent de répondre au sentiment d’être des exclus, par une exclusion des autres, exclusion d’autant plus violente que le déphasage avec un monde en changement rapide croît de manière exponentielle.

Ce mélange explosif trouve des conditions favorables à son expansion dans la perception que les États-Unis exercent un diktat sur leurs pays. Dans l’Irak de Saddam Hussein, il n’y avait pas de trace de la Qaeda. Les Américains ont quitté ‘Irak sous les coups de boutoir de la Qaeda. Ils feront de même bientôt en Afghanistan. L’hétérarchie ne s’exprime pas simplement contre la dictature de l’intérieur, mais aussi contre les diktats de l’extérieur. Et les seuls à monter au créneau, à paraitre défier les diktats perçus, c’est les groupes salafistes, d’où le prestige qu’ils acquièrent et l’attrait qu’ils exercent.

Plus récemment à l’occasion du « Printemps Arabe », une perception s’est répandue que les Américains avaient manipulé soit directement soit indirectement les élections dans au moins trois pays : l’Égypte, la Tunisie et la Lybie. Perception que pas mal d’apparences alimentent.

Vient le film « L’innocence des musulmans » et les salafistes ne vont pas rater l’occasion. Ils vont « exprimer » le ressentiment populaire à l’égard de cette autorité hiérarchique manipulatrice. Ils pensent gagner en popularité en s’attaquant aux ambassades des États-Unis, notamment dans les pays « manipulés ». Ils montrent à l’opinion publique que la solution qu’ils représentent, mariant hétérarchie et simplicité-seulement possible en retournant au passé-, est la seule valable contre l’oppression.

Il n’y a rien d’irrémédiable au présent cours des choses. Des forces modernistes importantes existent dans les pays arabes qui peuvent être coalisées et catalysées. Des stratégies douces peuvent être mises en place pourvu qu’elles soient perçues comme servant à aider plutôt qu’à imposer. Il est essentiel aussi de consacrer des efforts à une tâche d’apprivoisement de la complexité, en y aidant tout d’abord les milieux médiatiques, et à plus long terme le système éducatif.

Durant la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan, le sénateur Charlie Wilson a réussi à dégager des fonds pour aider les moudjahidines à gagner leur guerre. Les Soviétiques partis, le même sénateur a voulu dégager des fonds pour réformer le système éducatif Afghan. Il n’a pas pu obtenir un sou. Quelques années plus tard, la Qaeda qui avait élu domicile en Afghanistan faisait tomber le World Trade Center.

Bien cordialement

(1) De Vulpian, Alain: À l’écoute des gens ordinaires, Dunod, Paris, 2004

Merci cher Joseph pour cet article qui, partant de "l'innocence des Musulmans", débouche sur une intéressante analyse d’un écosystème générateur de violence.

C'est très instructif et m'inspire deux réactions :

- cela confirme une observation faite de longue date et mentionné à maintes reprises dans Vigilances, à savoir que les élections au suffrage universel sont la pire des choses quand la majorité n'est pas prête à respecter les minorités. Le quantitatif est une chose, le qualitatif en est une autre.

- la plupart des pays islamiques ont loupé le coche de la modernité.

Les causes sont multiples mais l’Occident a, me semble-t-il, sa part de responsabilité :

- Le renversement de Mossadegh en Iran sous l'instigation des Anglais mais orchestré par la CIA a été la première d'une longue série d'erreurs.

- Le blocage sur le financement du barrage d'Assouan n'est pas étranger à la radicalisation de Nasser qui, malgré ses errements, avait éveillé un espoir panarabe et non religieux.

- Le renversement de Soekarno en Indonésie a été obtenu en se servant des Musulmans comme arme contre un régime regroupant des élites.

- Le pompon est bien sûr l'Afghanistan : un seul gouvernement, celui de Tariki, a essayé de moderniser le pays; il avait une connotation marxiste; un coup d’état a été fomenté ; après que le Général usurpateur ait été renversé, un gouvernement procommuniste a appelé l’URSS au secours. Vous connaissez la suite : les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite ont armé et financé des islamistes que nous prenions pour des héros et qui, maintenant, sont nommés Talibans.

Les voies de la modernité ayant été bouchées, quoi de plus naturel que de soigner son ressentiment en se réfugiant dans les mosquées ? Le terrorisme est ainsi devenu « un moment » de l’Islam qui ne sera surmontable qu’avec difficulté. Il y a, en particulier, deux chaudrons dans le monde : Israël où se confrontent l’Islam et l’Occident ; et le Cachemire où se confrontent l’Islam et l’Orient.

J’aimerais savoir ce que vous en pensez en tenant compte du fait que les Musulmans « silencieux » seront les premières victimes des « violents » qui, soit dit entre parenthèses, sont soutenus par les wahhabistes du Golfe.

Amitié.

le peuple lybien n'a manifesté aucun émoi particulier. Il a cependant pris soin de virer manu-militari quelques milices intégristes.

Comme Anaï, j’aimerais en savoir plus sur ce qu’est à votre avis cet écosystème qui ravive un danger de contagion qu’on croyait maîtrisé. Voulez-vous dire que c’est ce qu’on appelle le « printemps arabe » qui a généré cette situation et que les pays occidentaux, dont la France, ont eu tort de l’appuyer ?

Ton papier est très intéressant cher Joseph. Mais il semble qu’il y ait eu des réactions populaires à Benghazi et que le quartier général Salafiste ait été incendié. Il y aurait des réactions anti-salafistes.

Comment faudrait-il les alimenter ?

Amitiés

Cher Alain,

Ce qui se passe actuellement en Lybie n’est pas une protestation contre l’assassinat de l’ambassadeur américain. C’est un peu tard pour une réaction spontanée populaire contre le lynchage de l’ambassadeur. L’agenda est purement local.

Aux élections parlementaires, le libéral anti islamiste Mahmoud Gibril a réussi à coaliser plus de 40 partis (les modernistes toujours amoureux de l’autonomie) et il a gagné les élections devant les islamistes. Au premier tour du vote, M. Gibril avait la majorité pour lui. Au second tour, un islamiste, Al Shakour est élu avec deux voix d’avance. La rumeur en Libye indique que M. Stevens, l’ambassadeur assassiné , n’était pas étranger à cet étrange tour des choses.

Ceux qui manifestent aujourd’hui en Libye ne le font pas par solidarité avec feu M. Stevens, pour lequel ils n’ont pas de sympathie particulière. Il le font contre les intégristes qui leur ont « volé » leur victoire électorale, ils n’ont pas besoin d’être encouragés, il faut simplement ne pas les freiner.

Best Regards

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