Pour une Communauté Mondiale de l’Eau

eau.jpgDans ma jeunesse, j’ai travaillé à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier et me souviens de la genèse de cette première institution européenne. Jean Monnet est parti de la conviction que l’Europe ne se ferait pas d’un coup mais pas à pas.

Voulant commencer par créer une « solidarité de fait », il a pensé que le charbon et l’acier, qui avaient été utilisés pour faire la guerre, pouvaient être un symbole de reconstruction pacifique et servir de base tant à la réconciliation franco-allemande qu’à l’unité de l’Europe. Il a persuadé Robert Schuman, alors ministre français des Affaires étrangères, de lancer l’idée et s’est assuré qu’elle serait bien reçue par Konrad Adenauer, le chancelier allemand, et fortement appuyée par l’Administration américaine.

L’Europe d’aujourd’hui ne ressemble pas à celle dont rêvait Monnet mais la CECA a néanmoins servi de socle à une prise de conscience européenne. Maintenant, les menaces visent l’humanité entière et il s’agit de faire émerger une conscience planétaire. D’où la question : existe-t-il un domaine qui aiderait à cristalliser une « solidarité de fait » à l’échelle mondiale, un domaine où l’urgence et la gravité des problèmes justifieraient la mise en commun de certains pouvoirs et de certaines ressources ?

Après avoir beaucoup consulté et beaucoup réfléchi, je suis arrivé à la conclusion que la création d’une Communauté Mondiale de l’eau (CME) serait la plus prometteuse des initiatives possibles. Les hommes, après tout, peuvent vivre sans pétrole, ils ne peuvent pas vivre sans eau. Des guerres peuvent éclater pour le contrôle des ressources. Des populations peuvent migrer pour fuir la sécheresse. L’insalubrité peut provoquer des épidémies. Emotionnellement c’est intolérable. Rationnellement, la nécessité de l’action crève les yeux. De plus, le problème de l’eau est au cœur des préoccupations mondiales. Le forum qui a réuni récemment à Mexico près de 5.000 représentants d’Etats, d’institutions internationales, d’experts et de professionnels l’a amplement démontré : guerres et paix, agriculture et mégalopoles, santé et développement, tout ne dépend pas de l’eau mais l’eau affecte tout.

Le chemin à parcourir avant qu’une CME fonctionne est si périlleux, les problèmes à traiter sont si complexes et les parties prenantes si nombreuses, que l’initiative ne peut être lancée dans le cadre modeste du Club des Vigilants. Nous pouvons seulement réfléchir aux processus qu’il conviendrait d’enclencher. Concrètement, il s’agirait surtout de :


-trouver la ou les personnalités les plus aptes à prendre l’initiative et chercher les moyens de les convaincre ;


-dresser la liste des pays qui accepteraient de se placer sur la ligne de départ et négocieraient un éventuel traité ;


-définir les points qui, dans cet éventuel futur traité, devraient être considérés comme primordiaux.


Une réflexion préliminaire est en route sur ces trois points. Ceux qui voudraient contribuer à cette étude de faisabilité seraient les bienvenus.

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Commentaires

Marc Ullmann souléve un problème majeur pour notre avenir. Tous les experts en géopolitique s'accordent sur un point, à savoir : les ressources en eau et leur libre accès seront au cœur des relations entre les nations de notre planète, plus particulièrement au Moyen Orient où ce seront des causes quasiment inévitables de conflits. Cette partie du Monde est en majorité désertique ou semi-aride. L'accès à l'eau est absolument crucial pour nourrir les populations et contribuer au développement économique. Les Emirats du Golfe Arabo-persique, peu peuplés, disposent de leurs pétrodollars pour construire de gigantesques usines de dessalement de l'eau de mer. Ils peuvent ainsi construire des golfs en plein désert, où chaque palmier a son goutte à goutte. Le cas des pays peuplés de la région est fort éloigné de cet exemple d'utilisation très "Disney Land" des technologies modernes. Israël a su résoudre son accès à l'eau tant en utilisant des techniques modernes qu'en maîtrisant les ressources fournies par les cours d'eau descendant des monts du Liban, souvent au préjudice des pays voisins : Jordanie, Liban, Syrie.
L'Irak, quant à lui en grande majorité désertique, dépend exclusivement de deux grands fleuves mythiques : le Tigre et l'Euphrate. Ces deux fleuves encadrant la Mésopotamie, berceau de la civilisation occidentale, fournissent toute l'eau consommée et utilisée en Irak. Leurs sources se situent en Turquie.
Les Turcs ont construits de gigantesques barrages sur le Tigre et l'Euphrate pour produire de l'électricité et irriguer d'énormes surfaces cultivées. Les débits des deux fleuves en ont naturellement fortement souffert, aux dépens de la Syrie et surtout de l'Irak. La Turquie a échafaudé en 1980 un plan (dit plan GAP) qui prévoit sur la période 1980-2010 la construction de 21 barrages dont 7 sur l'Euphrate et 6 sur le Tigre. Si tous ces projets sont menés à terme (et c'est en très bonne voie) le débit de l'Euphrate restant à la disposition de la Syrie sera réduit de 30 à 40 % et, après le passage en Syrie, le débit restant à l'Irak ne serait plus qu'un quart de ce qu'il était en 2000. L'Irak, qui n'a aucune ressource en eau autre que l'Euphrate et le Tigre, ne pourrait plus irriguer qu'à peine 40% de ses surfaces irriguées
Que le problème palestinien soit résolu ou non, l'eau sera probablement la prochaine cause de guerre au Proche Orient. L'eau est vitale et donc particulièrement stratégique ; la course à l'eau remplacera bientôt la course au pétrole.
Imaginons un instant la Turquie membre à part entière de l'Union Européenne. Nul n'est capable de dire quelle va être l'évolution politique de l'Irak mais cette question est relativement secondaire car, malheureusement, l'histoire nous a appris que les guerres peuvent éclater entre deux pays de même structure politique. Seuls comptent les intérêts dits "vitaux" et les réactions passionnelles qu'ils entraînent. Une conflagration peut donc éclater dont la cause sera le quasi assèchement de deux fleuves dont les sources (et les barrages, causes des diminutions des débits), seront officiellement en Europe. L'Union Européenne serait ainsi entraînée dans un conflit aux conséquences incalculables.
L'origine de l'Union Européenne fut dans la volonté commune de la France et de l'Allemagne d'empêcher le renouvellement des guerres qui avaient ensanglanté le continent. Peut-on imaginer qu'elle soit au coeur d'une guerre qui ne serait même pas causée par une atteinte à ses intérêts vitaux historiques ? La Communauté Mondiale de l'Eau est plus qu'une urgence.

Merci de votre article sur l’eau qui, si j'ose dire, apporte de l'eau à mon moulin. Cela dit, les difficultés sont énormes. Existent déjà un Conseil Mondial de l’Eau (intergouvernemental) et un Forum Mondial de l’Eau. Ces deux organisations sont actives et beaucoup de gouvernements auront beau jeu de s’abriter derrière elles pour écarter l’idée d’une vraie Communauté mondiale, dotée de vrais pouvoirs. A quoi bon, diront-ils, créer une institution supplémentaire. La priorité consiste donc à trouver « Le » gouvernement qui accepterait d’être le parrain et de s’assurer, au départ, qu’au moins deux ou trois autres répondraient favorablement. A mon avis, c’est possible mais pas gagné d’avance.

L’Histoire de l’humanité ne tient qu’à un fil et le fil de l’eau y est intimement lié. Le développement durable passe inévitablement par une meilleure gestion de nos ressources naturelles.

Quand certains - presque 1,5 milliard de personnes sont privées d’eau potable dans le monde – doivent se satisfaire de 3 verres d’eau à peine potable par jour, d’autres gaspillent, aux Etats-Unis, jusqu’à 600 litres (par habitant et par jour), en Europe environ 200 litres. L’eau est brune à Atlanta, San Antonio et dégage une « odeur indéfinissable », le débit du Rio Grande a chuté de 75% et la plus grande réserve d’eau au monde montre des signes d’assèchement critiques. L’aquifère d’Olgalala s’épuise quatorze fois plus vite qu’il ne peut se reconstituer. Pour certains experts, ce tarissement correspond à une sorte de fin d’un monde, le commencement d’une ère tragique de pénurie d’eau aux Etats-Unis. Face à sa boulimie maladive (et désormais inassouvissable sur son sol), de pharaoniques projets de transferts d’eau entre le Canada et la grande pomme gourmande ont été entrepris. C’est peut-être le leitmotiv des Etats-Unis : comment dépenser toujours plus, en polluant toujours plus au lieu de repenser les modes de vie ?

Le Canada ne pourra se permettre de troquer le liquide précieux très longtemps. Un jour ou l’autre, elle coupera les vannes, augmentera les prix jusqu’à des flambées boursières historiques. La Chine, qui est également une consommatrice exponentielle d’eau (avec des besoins qui ne feront qu’augmenter à la hauteur de la pollution exponentielle qu’elle génère), se retrouvera certainement aussi sur l'échiquier infernal du contrôle de "L'Or Bleu/Blue Gold". Serons-nous alors face à un recommencement de la guerre (pour l’eau) comme nous assistons, aujourd’hui déjà et impuissants, à la guerre globale (mondiale) pour le pétrole et le contrôle des richesses dans le monde ?

Bonjour,
Parler de l'eau? Encore faudrait-il préciser de l'eau douce. L'eau en tant que qu'élément recouvre, comme vous le savez les 4/5 de la planète. Elle est salée, le sel n'est pas bon pour notre santé, admettons!

Le problème le seul réel est donc de déssaler l'eau pour être utilisée dans de bonnes conditions pour nous et la faune terrestre. Second objectif la purifier après usage pour ne pas charger inutilement notre environnement.

Ces deux techniques sont utilisées chaque jour.

Pourquoi chercher une ennième organisations à l'impuissance chronique sinon pour palabrer autour d'une boisson locale dans un luxueux salon.
Sincères salutations. B.T.

Toutes ces remarques sont pleines de réalisme et de bon sens. Elles ont aussi des traces de scepticisme, de cynisme et d'angélisme...

L'Homme n'aime pas partager en général, sauf lorsqu'il y est obligé. Comment l'obliger ?

L'histoire nous montre que les 4 voies les plus efficace sont :
- la peur collective,
- la guerre et la destruction physique,
- la crainte de la mort et de l'au-delà,
- le goût immodéré pour la richesse..

La peur collective vient de ce qu'on ne peut maitriser, les phénomènes naturels autrefois déifiés,

La guerre vient de la puisance militaire, des armes et de la violence physique des uns sur les autres.

La mort et l'au-delà ont été et restent les moteurs les plus puissants car ils se situent hors de l'atteinte et du savoir des hommes.

Quant au goût pour le profit et pour la richesse, il a toujours été en dehors du discours religieux ( sauf pour les grands prêtres en robe de lin...). Il a donc vécu une vie indépendante des religions et même souvent contradictoire.

Les religions ont toutes peu ou prou combattu ces peurs par différents moyens qui sont toujours d'actualité ( fanatisme idéologique, don total personnel pour une cause divine de type sacrifice, martyre ou kamikaze, amour volontariste de l'autre, refus volontairede la violence au profit de la parole, création de conventions : d'une morale, de rites et de tabous, etc. )

Notre monde moderne a tué Dieu au profit de la raison pure et de la seule intelligence humaine. Ce faisant il a crée de fait un clivage permanent, une fracture, parce que :

d'une part il ne tient pas assez compte que le cerveau humain comprend deux parties ( cognitive et affective ) non séparables dans la réalité et que
d'autre part l'absence d'un lien "à forte valeur ajoutée" entre les Hommes les rend tous "concurrents" face aux choses ( religion vient de religare en latin qui signifiait lier par derrière, de manière cachée ).

Si le besoin d'Eau est si fort et bien plus vital que celui du Pétrole, alors il faudrait sans doute "déifier" l'eau, autrement dit la faire sortir du système marchand. Cela est sans doute illusoire car elle risque de devenir en réalité un "enjeu de business" très fort.

Si on doit parier entre l'Argent et Dieu, je pense que le sort en est jeté !

Alors va pour l'Argent et laissons faire le Marché.

On verra alors sans doute les milliards de pétrodollars s'investir dans la technologie de dessalement en s'investissant massivement dans les entreprises spécialisés ( SUEZ, GE, etc ) et petit à petit l'industrie de l'Eau se développera dans le même temps où celle du Pétrole déclinera.

En attendant, il y aura bien évidemment des personnes qui manqueront à la fois d'Eau et de Pétrole.

Les cyniques diront qu'ils devront alors choisir...

J'ai profité de l'été pour relire LE DEFI DU MONDE paru chez Fayard.

Au chapitre sur les "vraies menaces", les auteurs font part de réflexions et de constatations intéressantes mais parfois un peu désespérantes...

"" ... Si l'on sait qu'à l'échelle du monde, 73% de l'eau douce sont actuellement consacrés à l'agriculture contre 6 % à la consommation humaine et le reste à l'industrie, on ne peut simplement faire une croix sur l'espoir que des OGM moins gourmands en eau offrent aux agricultures des pays semi-désertiques ou simplement pauvres en eau... ""

Voilà pour la recherche ! Mais c'est surtout la "politique du monde" qui est concernée. Les guerres de l'eau sont pour demain, elles seront guidées par la géographie, la démographie et le climat !

"" ... Pourtant nous disposons de nombreuses techniques pour résoudre la question dans de nombreux cas : construction de barrages ( 45000 dans le monde), gestion des aquifères par réinjection d'eau, recyclage d'eaux usées, transport d'eau par pipelines ou même par bateaux (Turquie - Chypre ), etc, etc ... ""

Mais au niveau international, aucun plan d'ensemble ne se met en place, malgré les efforts en ce sens de personnalités comme Mikhaïl Gorbatchev !

Voilà un vrai besoin à satisfaire, car il va devenir "vital". Qui dit besoin dit solutions à trouver, donc créativité, innovation et industrie.

Une voie à suivre pour des pays développés qui sont à la recherche de sources nouvelles de croissance.

HPS

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