Enseignement virtuel et francophonie

FOADCaché sous les turbulences médiatiques, un événement a dominé l’évolution politique mondiale dans les dix dernières années : l’expansion des téléphones mobiles et des réseaux sociaux, sans laquelle le Printemps arabe n’aurait pas eu lieu. De même, dans les dernières années qui viennent de s’écouler, il faut considérer le déploiement des cours en ligne universitaires comme l’amorce d’une véritable révolution.

Créé en janvier 2012, le fabricant américain d’enseignement via Internet Coursera touche maintenant (août 2013) trois millions d’étudiants. Ses concurrents Udacity et edX comptent des centaines de milliers d’abonnés. Les universités américaines sont en effervescence devant l’initiative de Georgia Tech d’offrir un cours en ligne diplômant huit fois moins cher que le même cours sur le campus. Il faut s’attendre à une puissante offensive des Etats-Unis pour dominer l’enseignement supérieur mondial au moyen d’excellents cursus couvrant tous les domaines, accessibles en permanence pour un coût modique aux étudiants de chaque pays, au service de la langue, de la culture et des valeurs des Etats-Unis. Si ces derniers sont le premier exportateur de produits d’éducation, l‘Australie, la Nouvelle Zélande, le Royaume-Uni, tous pays anglophones, les suivent avec ardeur.

La France ne reste pas inerte puisque plusieurs universités et Ecoles offrent elles aussi des cours en ligne. Nous pouvons compter sur la disponibilité d’une solide compétence en formation dite hybride, où le cours en ligne est accompagné d’une forte présence des enseignants.

Aujourd’hui il faut changer de vitesse et exploiter à fond l’avantage que peuvent donner à notre pays les Formations ouvertes et à distance (FOAD) pour la promotion de la langue française.

Historiquement, la France a perdu son rang mondial en négligeant les « arpents de neige » du Canada et en vendant la Louisiane. Aujourd’hui, elle risque de commettre une erreur stratégique du même ordre et de condamner sa langue à devenir un dialecte local si elle ne saisit pas la chance qui lui est offerte.

La population de l’Afrique, qui atteint maintenant un milliard d’individus, surpassera deux milliards en 2050, alors que celle de l’Europe stagnera. Les pays à potentiel francophone (anciennes colonies belges et françaises, non compris le Maghreb) comptent un peu moins de 300 millions d’habitants qui seront donc 600 en 2050. La question est simple : ces 600 millions parleront-ils français, ou anglais comme les 1400 autres millions habitant ce continent ? L’émergence de l’Afrique et la croissance de sa population peuvent apporter à notre culture, à nos valeurs et à notre influence, tant intellectuelle que politique et économique, un soutien qui les maintiendra au premier plan sur la scène mondiale, ou, au contraire, en son absence,  assurer leur marginalisation.

Aucune priorité n’est accordée à une défense sérieuse de la francophonie dans la politique française. Certes, l’Agence Universitaire de la Francophonie offre-t-elle 75 formations ouvertes et à distance (cinq fois moins que le seul Coursera), mais elles sont bien loin de constituer une réponse adéquate et structurée au défi qui nous est posé et encore moins à celui qui nous menace.

L’avalanche qui déferlera sur l’enseignement supérieur avec l’arrivée des campus virtuels impose la prise d’initiatives. La France doit comprendre qu’il lui faut donner une priorité nationale à la promotion du français, à l’étranger comme chez elle, au moment où les universités anglo-saxonnes risquent de s’imposer par leur excellence et leur créativité.

La priorité peut se concrétiser par un recours généralisé au soutien ou à la création de campus numériques hybrides.

Considérons l’exemple d’Haïti, où je dirige un programme de formation des maîtres de l’enseignement fondamental (TEH). Le pays compte dix millions d’habitants avec 90 % de créolophones et 10 % de francophones. Les universités, toutes encore francophones, dont le niveau était déjà faible, ont beaucoup souffert du séisme de janvier 2010. L’aide américaine favorise le créole afin d’imposer la nécessité d’une langue étrangère …. l’anglais.

La création en Haïti d’un campus numérique, à l’instar de celui qui a été créé à Trinidad par l’University of the West Indies, contribuerait de façon décisive à la régénération d’un enseignement supérieur très insuffisant par rapport aux besoins. 60 000 bacheliers se présentent chaque année devant un système qui ne peut accueillir que 6 000 étudiants.

Un groupement de quelques universités haïtiennes prendrait la responsabilité du cursus et fournirait les prestations présentielles. Les contenus viendraient de sources françaises, comme le CNAM ou l’Ecole Normale Supérieure de Lyon mais aussi les universités de Normandie, de Bretagne ou de Picardie qui dispensent déjà des cours en ligne. A Port-au-Prince, un établissement responsable des rapports avec les universités participantes gérerait une plate-forme à partir de laquelle les enseignements seraient dispensés.

L’effort principal à fournir serait l’adaptation à un public haïtien de cours déjà développés selon le type d’itération que nous avons expérimenté dans le programme TEH. Il serait accompagné par la formation du personnel haïtien qui devrait assurer le présentiel au début, puis transmettre ses connaissances ultérieurement aux collègues haïtiens. L’acquis français est tel que l’ensemble de ces contributions représenterait une charge financière acceptable.

Pendant les premières années, les cours seraient consacrés à des remises à niveau, d’abord le Français langue étrangère, puis l’ensemble des enseignements de propédeutique. La licence viendrait ensuite.

La première étape de la réalisation serait un vœu émanant de la CORPUHA, le comité de coordination des universités haïtiennes, proposant au gouvernement haïtien la création d’un campus numérique. Ce vœu serait suivi par la création d’un comité d’universitaires haïtiens et français, qui proposerait un plan chiffré pour la création dans les plus brefs délais d’un campus virtuel en Haïti, peut-être même dès l’an prochain.

Une opération similaire pourrait prendre place très bientôt en Guyane française, car elle répondrait aux besoins locaux. Et l’on en vient à l’idée que les universités françaises pourraient fournir des cours à mettre en ligne à toute une série d’utilisateurs, via une structure métropolitaine simple, un tuyau, qui recevrait la bénédiction de la Conférence des Présidents d’Universités (CPU). Parmi ces utilisateurs, on trouverait le Sénégal, la Réunion, Maurice, le Maroc, Madagascar… Et aussi, pourquoi pas dans un deuxième temps, l’Algérie, le Viet-Nam ?   Ainsi se déploierait une stratégie globale capable de régénérer la promotion de la francophonie par une focalisation sur un objectif clair, bien délimité, à notre portée et supportable financièrement, tel que la création et l’expansion de campus virtuels francophones.

Il y a urgence.

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Commentaires

Cette proposition de Jacques Blamont rejoint l'un des chapitres de l'étude engagée sur le thème EDUCATION et FORMATION par le groupe de travail " Société & Numérique" du Club des Vigilants.

Pour en savoir plus, voir le lien : http://wp.me/P2VmAF-3M

Excellente contribution, qu'il faudrait faire circuler très largement dans les milieux gouvernementaux et universitaires français.
Je l'adresse au Secrétaire général de la Francophonie.

Je suis mille fois d’accord avec l’importance de ce sujet que les Vigilants devraient creuser, à un petit détail près (qui rejoint un débat récent) ; je pense qu’il faudrait que l’offre française soit au moins en partie bilingue français-anglais pour toucher le marché mondial où l’anglais dominera forcément et ne pas se restreindre au marché francophone. Ce qui est fondamental pour la France c’est de ne pas rater la révolution des méthodes d’enseignement qui pourrait (enfin) la secouer.

Et à cette occasion de promouvoir une offre francophone au sens large (pas seulement la langue, mais « la culture, les valeurs » et la manière de penser qui va avec).

Ceci rejoint le travail du groupe Eurafrique sur l'avenir des relations de notre pays avec ce continent.

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