Égypte : les risques de dérive

L’Égypte ne cesse de vivre des convulsions. Le courant  moderniste, laïc, et sa jeunesse de l’Internet a été au cœur de la révolution du 25 Janvier 2011. Aux élections, il s’est vu voler « sa révolution » par les fondamentalistes qui ont obtenu 74%  des sièges au Parlement. Pourtant conscient, dès le départ, du risque, ce courant avait protesté, en vain, contre la tenue des élections à la sortie du mois du Ramadan.

Un  mois de prières et de dévotion - réelles ou affichées - où les gens sont massivement exposés à la parole des religieux. Tenir des élections juste à  la fin de ce mois équivaut à organiser des élections en Europe juste après avoir donné, un mois durant, l’antenne à un candidat en tenant les autres au silence.

Les conséquences des élections en Égypte commencent à se faire sentir.  Le système de production culturel égyptien, qui représente environ 70% de la production culturelle arabe, est soumis à des attaques sans précédent. C’est surtout les grands symboles du système qui sont visés. L’un des plus grands acteurs du cinéma égyptien et arabe, Adel Imam, est condamné à 3 mois de prison pour des films sortis quelques années auparavant où il avait tourné  les « djihadistes» en dérision. Des « listes de la honte » menacent les actrices  qui osent montrer un bout de jambe, ou l’ombre d’un sein. Des extrémistes vont même jusqu'à proposer que les statues Égyptiennes de l’ère pharaonique soient voilées (y compris le Sphinx),  pour ne pas exposer les « fidèles » aux idoles.

La colère  du courant moderniste ne se fait pas attendre. Le 25 Janvier 2012, à l’occasion de l’anniversaire de la révolution,  plus de deux millions d’Égyptiens déferlent  sur la Place Tahrir où tout a commencé un an plus tôt. Les fondamentalistes veulent prendre le contrôle du mouvement en organisant des checkpoints. Ils seront complètement balayés par la foule. La voix fondamentaliste ne se fera pas entendre ce jour-là. La foule va hurler sa volonté de garder la révolution : « Civile, civile, ni religieuse, ni militaire ».

Cette manifestation affectera-t-elle le cours des évènements ? Il y a peu de chances qu’elle  le fasse sans effort soutenu.  Le désir d’autonomie qui fait la force  du courant moderniste en Égypte fait en même temps sa vulnérabilité. Le rejet des contraintes et le souci de liberté poussent les autonomes à éviter les engagements durables et probablement contraignants exigés par l’exercice du pouvoir politique. Wael Ghonaim, dont le blog a provoqué la première manifestation de la révolution, déclare au quotidien Al-Hayat : « J’ai refusé de donner des recommandations de  vote … mais j’ai fait mon devoir de citoyen… je ne me vois pas prendre des responsabilités politiques ». (Al Hayat,  Mardi,  7 Février 2012).

Le défi est de savoir comment engager les autonomes sur le long terme pour favoriser une synergie de L’Égypte  avec la modernité. L’enjeu n’est pas simple. Le risque d’une fracture de civilisation n’est pas à négliger.   Au 12e siècle, les Mameluks ont pris le pouvoir en Égypte amorçant dans le pays et dans le reste du monde Arabe  un mouvement de retour « en arrière » qui va durer jusqu’au 19e siècle. C’est l’ère de la Décadence (Al Inhitat), comme les Arabes vont le reconnaitre plus tard.  Il est à craindre que l’Histoire ne se répète aujourd’hui avec des conséquences nettement plus graves et plus mondiales.  Notre monde est de plus en plus interactif et intégré. A partir d’une géographie éloignée du monde occidental, Bin Laden, comptant autour d’un millier de combattants à sa suite, a pu faire sauter le World Trade Center. Quels seront  les résultats si tout un Etat comme l’Égypte avec 80 millions d’habitants  part à la dérive ?

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Commentaires

Bonjour,

Ces "printemps arabes" posent un vrai paradoxe : comment des peuples qui ont fait fuir des "tyrans" liberticides, élisent-ils le coup d'après des gens dont ils savent qu'ils seront tout aussi liberticides ?

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