Progrès, où es-tu ?

070521-Progr%E8s.jpgL’automobile, dans sa conception, son évolution et ses usages, est un très bon exemple des déviances qui découlent d’une certaine conception du progrès. L’Ademe vient de publier discrètement une étude qui met à mal le mythe du diesel. Alors même que la croissance faramineuse du parc de voitures équipées de moteurs diesel a été la conséquence d’une politique fiscale aberrante et de campagnes médiatiques pseudo écologiques.

Que dit, si prudemment, l’Ademe ? Que le coût d’entretien des moteurs diesel est nettement supérieur à celui des moteurs à essence et que, de ce fait, le bilan global n’est pas en faveur du gazole. Que le prix de vente de ce dernier est, en France, artificiellement, plus bas que celui de l’essence. Ce qui est une aberration.

Fabriquer les quantités de gazole demandées par le marché est devenu, de ce fait, un cauchemar pour les raffineurs qui se voient contraints de recourir à des procédés de conversion des coupes lourdes de raffinage de plus en plus sophistiquées, coûteuses et énergétivores. La conséquence directe, et sans appel, est que le prix ex-raffinerie (c.a.d. hors taxes) du gazole est supérieur au prix de l’essence ! Le gouvernement français s’était engagé à aligner la fiscalité du gazole sur celle de l’essence. Qu’en pensent MM. Fillon et Juppé ?

La lutte contre la pollution atmosphérique est une nécessité de santé publique et de préservation de l’environnement mais elle sert, le plus souvent, de prétexte à se lancer de façon irréfléchie dans de soi-disant solutions d’avenir. Le bioéthanol (E85) en est une très belle illustration. Ce merveilleux « carburant vert » permet peut être de lutter contre l’effet de serre mais on vient de découvrir qu’il libère dans l’atmosphère des produits chimiques destructeurs de la couche d’ozone (chut, il ne faut pas le dire). La grande chance du bioéthanol ? C’est d’avoir derrière lui le lobby agricole. D’un lobby, l’autre…

Quant à l’automobile elle-même, son évolution a été, ces vingt dernières années, en parfaite contradiction avec les objectifs déclarés d’économie d’énergie et de lutte anti-pollution. Une automobile de classe moyenne/supérieure pèse aujourd’hui entre 200 et 300 kgs de plus qu’il y a 20 ans. Cela tient à des tailles plus importantes (pour répondre au désir de confort), à l’ajout des ABS, des airbags, des matériels anti- pollution, d’innombrables dispositifs électroniques (qui ne servent jamais et sont source de pannes coûteuses) et d’une pléthore de gadgets.

A cet effet poids se rajoute le fait que les pots catalytiques et leurs accessoires absorbent près de 10 % de la puissance du moteur. Que s’est-il donc passé ? Pour éviter que les voitures se transforment en « veaux » et conservent les mêmes performances, la puissance des moteurs a fortement augmenté. Conséquence ? Une voiture de 2007, globalement (en incluant son cycle de fabrication et celui de son carburant), pollue plus que sa sœur de 1987.

Que faut-il en conclure ? Certainement pas une négation du progrès mais une grande défiance vis-à-vis des mirages collectifs comme Michel Godet l’a brillamment exposé devant les Vigilants. A défaut d’analyses calmes, réfléchies, approfondies, faisant appel de façon contradictoire à toutes les ressources scientifiques, les politiques menées risquent de plus en plus de marquer l’histoire par leurs effets pervers.

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Commentaires

Merci Michel pour cette très intéressante alerte. De manière générale on peut constater que quelque soient les évolutions et progrès de notre société de consommation, il y aura toujours des effets secondaires néfastes, même si on cherche à les limiter.

Intéressante étude par exemple que celle menée récemment par des scientifiques britanniques, et semblant avoir démontré que les émissions hertziennes omniprésentes et relativement puissantes de nos téléphones portables perturbaient le sens de l'orientation des abeilles, ce qui les décime car elles sont alors incapables de retrouver leurs ruches. Avec un effet secondaire redoutable : le risque de non pollinisation des cultures et végétations. Aux Etats-Unis par exemple, la côte ouest aurait ainsi perdu 70% de ses abeilles, un phénomène baptisé «colony collapse disorder».

En règle générale tout innovation devrait être introduite avec une infinité de précautions dans le secteur de la consommation et de la distribution de masse, à l'échelle de l'histoire nos connaissances ne sont pas suffisamment développées pour que nous puissions constamment jouer aux apprentis sorciers puis ensuite déplorer les dégâts en tentant de colmater les brêches. De plus, comme l'évoquait Michel Chevet, le poids des lobbies n'y est pas pour rien et ceux-ci semblent parfois délaisser l'intérêt commun et les visions à long terme pour promouvoir des solutions qui n'en sont pas.

Devrait-on instaurer pour toute innovation destinée à être mise sur le marché une période de "quarantaine" permettant de s'assurer de son innocuité ? C'est une pratique communément adoptée dès qu'il s'agit du domaine de la santé, peut-être intéressante dans d'autres aspects. Mais pour cela il faudrait un consensus entre les acteurs à l'échelle planétaire, faute de quoi on pourrait détourner une telle mesure pour la transformer en barrière douanière.

Je me permets enfin une analogie avec l'activité que j'exerce. Dans le domaine de la sécurité des systèmes d'information, nous dépensons plus des 3/4 de nos ressources à colmater des brêches qui n'auraient pas existé si le tout avait été mieux pensé dès le départ. Les deux fléaux majeurs auxquels j'ai affaire au quotidien sont le souci de rentabilité à court terme qui entraînent la mise à disposition de projets et produits mal conçus car il faut gagner du temps ou que le marché ne peut pas attendre, et la méconnaissance de certains aspects par les concepteurs et développeurs de tels projets. Une fois le projet lancé ou le produit produit en masse (le Wi-Fi et ses nombreuses failles de jeunesse est un exemple parmi d'autres), il est difficile de revenir en arrière et l'on dépense une énergie considérable à colmater tant bien que mal les brèches, souvent au détriment du consommateur.
Tout acteur au sein de l'économie devrait avoir à l'esprit la célèbre maxime de Rabelais : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme". Innovons, mais sachons le faire intelligemment.

Cela met en évidence que les progrès se font en ordre dispersé sans réel contrôle public. L'idée de mesurer globalement les gains d'une technologie est nouvelle. A quoi bon en effet produire un litre de bioéthanol s'il faut un litre de pétrole pour y parvenir?

Dans le cas des biocarburants, cher Michel, on donne le sentiment du mouvement pour réparer nos bêtises d'hier sans préjuger des effets de ce qu'on propose comme solutions pour demain. D'ores et déjà, de nombreuses études montrent que leur efficacité énergétique est loin d'être avérée.

Mais au-delà se posent, à mon sens, de nombreuses questions :
- La première concerne les surfaces cultivées. Tout le monde en est d'accord : elles devront être très importantes pour pouvoir produire les quantités de maïs, canne à sucre, betterave..., à même de générer des productions significatives de biocarburants.
- Pour cultiver ces immenses superficies, il faut de l'eau. Beaucoup d'eau. Or, là encore, le consensus est assez large pour dire que cette ressource est rare. D'aucuns diraient même que la "soif" d'eau au 21ème siècle serait encore plus vive que celle du pétrole au 20ème siècle.
- Il faudra aussi énomément de pesticides, d'engrais etc.
- L'augmentation des surfaces cultivées se fera au détriment de terres destinées à d'autres usages. Les forêts pourraient être touchées, notamment au Brésil.
- Enfin, que dire de leurs effets sur l'accès à la nourriture ? Lorsque le prix du pétrole flambe, il en sera de même pour les biocarburants donc pour les matières premières que sont la canne à sucre ou le maïs. Le renchérissement de ce dernier en particulier, qui est à la base de l'alimentation d'une grande partie de la population mondiale, ne risque-t-il pas de pénaliser les plus faibles ?

Très bon article de Michel Chevet sur les dérives sournoises du progrès en automobile.
J'ignore dans quelle mesure la production de GO est plus ou moins écologique que celle du SP 95.
Mais ce qui est sûr, c'est que le rendement énergétique de la combustion diesel restera à niveau technologique égal, toujours meilleur que celui de l'explosion par ignition de l'essence. Ce qui est sûr aussi c'est que 75% du parc français roule au GO. On ne va pas jeter toutes ces jolies voitures pour s'offrir des "flex-fuel" éthanol aussi rares en concession que les pompes en bord de route et qui en plus "sur-consomment" ! Tout de même !

Il me semble que l'approche "faire avec ce qu'on a et consommer moins" s'insère mieux dans la réalité d'aujourd'hui ET de demain. En clair rester au diesel, mais pour mouvoir des autos légères, moins puissantes utilisant d'emblée un GO incluant 30% d'huile végétale pure (colza et tournesol) Bien moins de CO² c'est bon pour l'atmosphère et viable au plan agricole local. La fameuse taxe carbone de Nicolas Hulot devrait favoriser cette évolution.

Mais accordons-nous déjà sur ce fait affligeant : les progrès technologiques en motorisation compensent tant bien que mal l'évolution des véhicules notamment l'accroissement conjoint de leur poids et performance.

En 1982 la 205 pesait 750 Kg, 10 ans plus tard, la 206 atteint la tonne et aujourd'hui la 207 passe les 1200 Kg...

La 205 diesel consommait moins de 6L/100, au fond, comme la 207 Hdi d'aujourd'hui.

On se prend à rêver de la consommation d'une 208 de 600 Kg, rêve absolument à portée de main, à condition toutefois de renoncer courageusement à certaines choses comme :
1/les hautes performances
2/la note maxi aux crash-tests
3/l'insonorisation d'une grande berline
4/l'équipement pléthorique

L'acheteur lambda y est-il prêt ?
J'en suis sûr lorsque litre de gazole ira vers 2 € et que cette voiture de 600 kg n'en consommera pas 3 aux 100kms pour avancer paisiblement avec ses 60 petits chevaux écologiques.
Pourquoi les voitures ne sont-elles pas ainsi faites ?
Parce que "l'homme" motorisé aime la puissance...Parce que son véhicule lui renvoie une image valorisante...A cause du regard des autres...
Pour ces motivations mal assumées car "irrationnelles", le marketing vend le "rationnel" : de la sécurité (crash-test, tenue de route top, airbag partout, accélération pour doubler) du bien-être (espace intérieur, robustesse, confort) et même de l'économie (consommation tenue, entretien espacé, revente favorable)

C'est vrai que l'on sait faire de fantastiques machine à rouler... Mais, est-ce bien nécessaire ? Quand prendrons-nous enfin le contrepied salutaire du toujours plus, toujours plus vite, plus fort, plus loin ?

L'horizon environnemental nous offre une occasion unique de repenser nos modes de vie et de travail tout entiers.

Moins de transports, moins de poids, moins de confort, moins de mal-bouffe, moins d'objets made in misèrland.

Et plus de temps, plus de respect, plus d'amitié, d'amour, plus d'air, d'eau et de sols propres, plus de vie.

Ce n'est pas un retour à la pauvreté, mais l'accès à une autre forme de richesse, beaucoup plus vraie et plus intelligente que celle que nous vend la société de consommation depuis un siècle, avec son pétrole pas cher dont on commence à voir la fin en même temps que le début de nouveaux problèmes d'une gravité inédite.

Tournons la page. Now, you can.*

*Maintenant, vous pouvez.

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