
La Matinale du Club des Vigilants du 25 avril dernier a été consacrée à un état des lieux de l’industrie de la défense en Europe, établi par notre invitée, Marie-Laure Charles, ancienne cadre dirigeante chez Thales comme responsable de différentes filiales en Amérique latine et en Asie. Elle est également auditeur de l’IHEDN et capitaine de corvette dans la réserve citoyenne de la Marine nationale.
Notre intervenante a dressé un panorama détaillé de l’industrie de la défense en Europe. Elle est constituée principalement de fleurons anciens des industries nationales, souvent issus de l’industrie automobile.
Mais il s’agit d’aventures industrielles individuelles et solitaires. Les exemples de coopération réussies entre plusieurs entreprises sont rares et le plus souvent anciens à l’exception de rares programmes, comme l’initiative MBDA entre le Royaume Uni et la France pour les missiles.
Ces entreprises se situent à la pointe de la technique, bénéficient d’une forte renommée à l’international et se font une concurrence acharnée, même sur les marchés nationaux. Elles fournissent essentiellement des équipements sur mesure (qui ne sont pas les seuls utilisés sur les champs de bataille actuels !). Les États-Unis au contraire pratiquent la « vente sur étagère » à partir d’une production de masse.
Il ressort de cette présentation la conviction que les différents pays l’Union Européenne, auxquels il faut ajouter le Royaume Uni, n’ont rien à envier aux États-Unis ni aux autres pays en sophistication des équipements produits. Mais en ressort aussi l’impression d’une grande fragmentation des acteurs et d’une absence de vision stratégique européenne que le retrait subit du parapluie américain rend désormais très problématique. Les coups de boutoirs assénés par Trump révèlent tardivement les failles de la défense européenne. Contrairement à la formule habituelle, qui apparaît désormais quelque peu irénique, l’Europe ce n’est pas obligatoirement la paix. Pour autant, il ne s’agit pas de passer d’une certaine naïveté à une posture trop guerrière.
Le Club des vigilants organise avec ses membres une « veille » sur les grandes questions qui apparaissent au fil de l’actualité ou dont il se saisit à l’avance. La séance suivant cette Matinale a été consacrée à la défense européenne. Cet échange a soulevé un certain nombre de questions dont nous vous faisons part pour intégrer votre point de vue sur ce thème désormais central.
Recentrer l’industrie de défense sur les besoins propres de l’Europe
L’industrie de la défense en Europe s’est développée dans un contexte de paix. Elle s’est tournée spontanément vers les marchés solvables à l’exportation et non sur les besoins intrinsèques de défense des différents pays européens. Eux-mêmes ont fortement utilisé les importations pour l’équipement de leurs armées. Les États-Unis restent leurs principaux fournisseurs (peut-être 60 % de leurs équipements). Il en résulte une dépendance extrême notamment pour les systèmes de surveillance et les missions aériennes.
La guerre en Ukraine, et plus encore la paix qui la suivra, imposent de recentrer l’industrie de défense sur l’Europe elle-même. Mais l’existence d’une politique industrielle pour la fourniture d’équipements militaires présuppose une vision commune de la défense européenne et des objectifs partagés. On en est loin.
Comment l’Europe pourrait-elle développer une défense indépendante ?
Une première voie pourrait être de constituer une espèce d'« OTAN » (il faudrait en changer le nom...) européen, sans les États-Unis, dirigé par un noyau dur des nations européennes (Allemagne, France, Royaume Uni, Italie, Pologne ?). Le Royaume-Uni reste un partenaire essentiel : il n’y a pas eu de « Brexit » pour la défense. Une question essentielle : est-il réellement envisageable de se couper du lien américain ? Certainement pas à court terme, compte-tenu du format actuel de nos armées gorgées d’équipement américain. Si les États-Unis restent alliés, quel cadre élaborer pour faire fonctionner cette alliance ? Quels objectifs clairs se donner ?
Les armées nationales sont-elles prêtes à désigner un décideur unique au niveau européen pour organiser les achats et stimuler les collaborations intereuropéennes ? Qui pourrait jouer ce rôle, la Commission paraissant hors-jeu (elle n’a d’ailleurs jamais reçu cette mission) ? Comment répartir l’effort d’équipement à venir entre achats extérieurs et production européenne ?
Premières pistes envisageables
L’axe franco-allemand, largement endommagé depuis au moins une décennie et très sous-utilisé sur les questions de défense, pourrait-il se reconstituer avec la montée en puissance (moins rapide que prévu semble-t-il) du nouveau chancelier Merz, considéré comme beaucoup plus pro-européen que ses prédécesseurs et qui a affiché sa volonté (assez inouïe) de doter l’Allemagne de la plus puissante armée d’Europe ? C’est sans doute le principal espoir à court terme.
La cybersécurité est devenue un domaine très sensible de la défense. L’Europe et notamment la France y ont acquis une bonne expertise. C’est un atout à utiliser.
L’obligation d’écrire de nouvelles règles du jeu après par l’affaiblissement sinon le retrait de l’alliance américaine ouvre aussi de grandes opportunités pour l’expansion européenne. Mais il va falloir jouer serré et ne pas se tromper d’objectifs.
La vidéo intégrale de la Matinale est disponible sur notre chaîne YouTube ICI
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