Ingénieurs : prémices d’un retour en grâce

L’industrie allemande a perdu la guerre mais a gagné la paix. C’est grâce à elle et à ses gains à l’exportation que le chancelier Kohl a pu disposer de milliards pour amadouer Gorbatchev et contribuer à le convaincre d’accepter la réunification de l’Allemagne. C’est encore grâce à elle que cette réunification a pu se transformer (lentement et péniblement) en réussite économique.

Et c’est toujours grâce à elle que l’Allemagne figure aujourd’hui parmi les gagnants au grand jeu de la mondialisation.

Une vigoureuse tradition a permis à l’industrie allemande de résister aux assauts de la finance. Son développement, soutenu par la fidélité de la plupart des grandes banques, a été conduit par des ingénieurs amoureux de leur métier.

En France, il serait injuste de stigmatiser les inspecteurs des finances mais, beaucoup d’entre eux ont fait beaucoup de dégâts. Colbertistes avant-hier, libéraux hier, la dérégulation, venue d’Angleterre et des Etats-Unis, a davantage stimulé leur imagination que les démarches utiles de l’effort  technicien.

A Wall Street et dans la City, des « Mozart de la finance », géniaux inventeurs de produits dérivés et « traders aux doigts de fée », ont bénéficié d’une aura particulière.

Dans de nombreux pays, les élèves les plus doués ont délaissé les filières scientifiques et rêvé d’être recrutés au prix fort par des opérateurs financiers.

La mode, fort heureusement, est en train d’évoluer. Signal faible après signal faible, la tendance devient forte et les héros font figure de vilains.

Un récent épisode est, à cet égard, très significatif : Greg Smith, cadre dirigeant de Goldman Sachs, a bruyamment démissionné en invoquant des scrupules moraux. Il y a dix ans, il aurait fait figure de cracheur dans la soupe. Aujourd’hui, il est hissé au rang de redresseur de torts.

Certes, rien n’est acquis. L’argent n’a pas changé de mains et les financiers tiennent la plupart des commandes. Le mouvement est, cependant, en marche. Les changements sociétaux sont lents mais, en général, irrésistibles.

En France, les jeunes n’ont déjà plus envie de dire (ou, s’ils en ont envie, n’osent pas le dire) qu’ils rêvent de salles de marché. C’est une première étape. Le succès ne sera assuré que lorsque les carrières d’ingénieurs seront (pour le prestige, les possibilités de carrière et les rémunérations), aussi attractives que celles des financiers.

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Commentaires

Sont-ce les carrières d'ingénieurs qui doivent être revalorisées ou plus généralement les carrières techniques (oserais-je dire industrielles et scientifiques) ?

Le monde de la finance est un monde où l’innovation est présente, nous avons pu l’observer… Les jeunes sont recrutés pour mettre en application les derniers résultats issus de la recherche académique : ces résultats que leurs professeurs, parmi les plus réputés du monde, leur ont enseigné. Il est aisé de transcrire de bon résultats scolaires en bon résultats financiers.

Cette transformation des compétences académique en valeur ajoutée est moins directe dans les autres domaines, au moins au niveau bac+5. Le doctorat devient maintenant nécessaire pour avoir des connaissances directement transposables en valeur ajoutée. Le nombre croissant de docteurs diplômés chaque année montre que les jeunes sont conscient de ce fait. Il est maintenant temps que les forces économiques s’emparent de ce potentiel et mettent à contribution l’immense masse d’expertise formée en France.

Reste à trouver comment motiver ces élites techniques et scientifiques à rester en France. La notion de service du pays est tombée aux oubliettes avec la fin du service militaire. Dans notre société il est aisé de penser que seule la dimension salariale permet de mesurer objectivement un bon début de carrière. L’absence d’exemples mis en valeur de carrière d’expertise mises en valeur dans notre environnement accentue ce sentiment…

Merci Marc, pour cette lumineuse analyse du succès allemand, et des perversions financières des meilleurs cerveaux dans les autres pays.

La France n'échappe pas à cette perversion. Que choisissent les meilleurs candidats aux grandes écoles ? En tête, les trois Normale Sup avec leur filières "informatique". C'est le concours le plus difficile, celui pour "les fous parmi les fous" comme me l'a expliqué un candidat qui vient d'en démissionner après y voir réussi . Puis sont choisies les filières informatiques de l'X et de Centrale. Toutes les grandes écoles ont créé des filières "financières" qui sont plus souvent choisies par nos élèves ingénieurs que les filières technologiques.
Hélas, quand je relève le taux de démission de ceux qui ont réussi le concours de l'informatique aux Normale Sup (statistiques disponibles sur le site SCEI), je vois que malgré la crise financière qui a ébranlé le monde, il y a cette année à peine moins de démissions qu'il y a cinq ans.

L'Etat Français paye grassement nos Normaliens pour qu'ils entrent dans cette histoire de fous, et pour se faire embaucher ensuite à prix d'or par les établissements de spéculation financière pour développer des logiciels ultra-performants...

amitiés

Revaloriser les ingénieurs ? oui, mais on pourrait peut être commencer par supprimer ces filières de fous...

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