Michel Rocard : la vision d’un homme d’Etat nourri par ses convictions

Michel Rocard était intervenu au Club des Vigilants en février 2010 pour parler de l’élimination des armes nucléaires, combat qu’il avait fait sien, en tant que membre de la commission Canberra notamment. On était à la veille de la conférence quinquennale du Traité de Non-Prolifération (TNP) et beaucoup d’espoirs étaient mis dans le leadership américain après les discours d’Obama de 2009, à Prague et à l’ONU.

Son intervention fut éblouissante. D’abord parce que son récit des négociations et l’exposé des problématiques étaient d’une grande précision (il pouvait citer l’annexe technique d’un traité) et d’une grande clarté. Au-delà, parce qu’il faisait la démonstration que la conviction, la confiance, l’amitié, la fidélité à ses combats sont des forces motrices de l’histoire, parfois plus fortes que les jeux de pouvoir qui lui ont tant coûté en politique intérieure.

Le temps de son intervention, il nous fit entrer dans la fabrique de l’histoire, dévoilant avec malice les ruses qui font aboutir, in extremis, les négociations internationales ou l’accord que, Premier ministre, il avait obtenu de François Mitterrand : un essai de moins chaque année (8 au départ), ce qui permettait de passer à la simulation. En 1993, pour s’attacher les voix écologistes aux législatives, Mitterrand décréta un moratoire immédiat et total. On connait la suite : le moratoire n’était pas viable, Jacques Chirac dut reprendre les essais au prix d’une crise majeure pour la diplomatie française.

Haut fonctionnaire, membre de l’appareil d’Etat, Michel Rocard avait adhéré au concept de dissuasion après que les Etats-Unis avaient, en 1962, adopté la doctrine Mac Namara de la riposte graduée. De facto, la doctrine tolérait la destruction du champ de bataille européen avant d’envisager des représailles à partir de l’arsenal nucléaire américain. Off the record, son « copain Kissinger » lui dit que la France avait eu raison de maintenir l’incertitude de la première frappe. Pour Michel Rocard, la fin de la guerre froide avait tout changé et, depuis la tribune des Vigilants, il adressa un message très clair à l’establishment (terme qu’il utilisait beaucoup) civil et militaire français : le concept de dissuasion, brillante construction théorique, se démonétisait dans un monde passionnel où les petits prolifèrent et frappent sous le seuil et où les grands se sentent autorisés à brandir la menace nucléaire sans que leurs intérêts vitaux soient engagés. Selon lui, la France devait avancer, sans réserve, sur la voie d’un désarmement général et complet.

Dans la discussion qui suivie, sa position fut vigoureusement contestée. Michel Rocard répondit avec pugnacité, sans jamais cesser d’être direct et incroyablement chaleureux, nous invitant, par son exemple, à donner le meilleur à ce qui reste le cœur de la démocratie : la discussion publique.

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Commentaires

Bonjour et merci pour cet hommage à Michael Rocard, rappelant le grand homme d'Etat qu'il a été.
Bonne continuation.

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