Finie l’élite républicaine, place à l’aristocratie républicaine

ENALes docteurs, titulaires du plus haut diplôme de l'université (bac +8), obtenu après la soutenance d'une thèse représentent près de 35 % dans la haute fonction publique tant en Allemagne qu’aux Etats-Unis. Ils sont moins de 2 % en France. La revalorisation du titre de docteur, était l'une des promesses de François Hollande.

Une des pistes explorées a été la reconnaissance du doctorat dans la fonction publique. Et notamment le fait que les docteurs puissent, sur titre, postuler à l'Ecole nationale d'administration par concours interne.

Branle bas de combat chez les grands corps de l'Etat opposés à cette mesure et recul du gouvernement : l'accès des docteurs à l'ENA a disparu du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche après un arbitrage interministériel. Fort heureusement, les députés ont rétabli l’amendement qui a été adopté.

Sur les 45 000 places des classes prépa, 4000 restent non pourvues depuis quelques années. Pour remédier à cette situation, le gouvernement a décidé, dans le cadre de la même loi, d’inciter les chefs d’établissement à encourager les meilleurs éléments à postuler. Notamment les 150 lycées qui ne proposent aucun élève et ceux qui en envoient peu. Là encore, les profs des classes prépa sont montés au créneau mettant en garde contre la « dévalorisation » de la filière.

Ces deux faits en disent long sur l’évolution de la République. La République qui œuvrait à la promotion d’une élite façonnée à l’image de son peuple ; où le fils d’agriculteur d’Auvergne ou la fille de l’ouvrier des fonderies de Lorraine pouvaient, par l’excellence scolaire, accéder à l’élite dite républicaine a cédé la place à une « aristocratie » républicaine endogamique dictant ses lois à la République. C’est à se demander s’il n’y a pas un lien entre le rétrécissement de la base de recrutement de l’élite depuis une trentaine d’années  et son incapacité à penser « Outside the Box » !

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Commentaires

Je suis tout à fait d'accord avec Meriem, Michel et Jean-Claude mais je pense malheureusement que le problème est devenu sensiblement plus grave que cela.

Nous sommes insensiblement passés de l'aristocratie tout court à l'aristocratie républicaine mais nous glissons désormais dans ce que j'appellerai « la fonctionnocratie », à savoir le pouvoir absolu de la fonction publique et assimilée (RATP, SNCF, EDF etc.) sur l'ensemble de la société civile et privée.

Les deux grands problèmes de notre époque, et ce n'est pas près de changer, sont l'emploi et la fiscalité voire dans une certaine mesure la retraite. De ce point de vue, la fonction publique a, à ce jour, totalement verrouillé le système. Ses membres se sont réservés la garantie de l'emploi, un traitement favorisé désormais dans les rémunérations et les retraites ainsi qu'un accès privilégié aux postes électifs puisqu'ils ne sont pas obligés de démissionner ni pour briguer ni pour exercer un mandat. Le résultat est que près des deux tiers des élus sont aujourd'hui issus de la fonction publique ou assimilée. Une fois élus, ils ont de même aménagés les statuts, la fiscalité mais aussi bon nombre de lois à leur avantage. (Qui croyez-vous par exemple peut en France aujourd'hui se constituer une retraite par capitalisation ? Ou éviter les jours de carence etc ….)

L'ensemble de ces avantages acquis (d'aucuns diraient privilèges) est solidement assis sur le concept de service public qui justifierait tout, voire sur la notion de contrat et de statut des fonctionnaires alors que pour le reste de la société civile, ces fameux « contrats », moins formels il est vrai, sont allègrement remis en cause y compris de manière rétroactive compte tenu de la situation générale.

Ce tour de passe-passe intellectuel permet au demeurant à tout ce beau monde de « faire le bien du peuple malgré lui et à l'insu de son plein gré ». En particulier, il ne peut pas y avoir de conflit d'intérêt entre un haut fonctionnaire et l'État, puisqu'il est « à son service » ! C'est donc par construction que le peuple civil a tort quand il considère que telle ou telle mesure est inadaptée à son cas. Si l'on ajoute qu'il n'y a ni contrôle, ni étude d'impact, ni obligation de résultat et que le peuple français de par son histoire a tendance à confier ses problèmes à l'État plutôt que d'essayer de les résoudre lui-même, on comprend que l'énarchie, dont on constate qu'elle devient peu à peu héréditaire, ne soit pas près de disparaître.

Je m’interroge personnellement de plus en plus sur le fameux héritage du Conseil National de la Résistance : il nous a tout de même légué en vrac une constitution qui a organisé pendant 25 ans l'instabilité totale de notre vie politique, un monopole syndical absurde et rétrograde, des systèmes de gestion , généreux certes, mais sans frein et assurés de dériver dans le long terme, comme l'assurance-maladie ou la retraite par répartition et cerise sur le gâteau le statut de la fonction publique et des entreprises assimilées, lequel bloque toute réforme.

Nous ne saurons jamais quel rôle positif il a joué réellement dans la période des 30 glorieuses ni dans la construction de l'Europe mais il est clair que depuis plus de 10 ans dans tous les cas il laisse l'impression qu'il n'y a plus de pilote dans l'avion et que plus grave, la société civile souffre chaque jour un peu plus de son incapacité ou à tout le moins de son impuissance.

Il faudrait aller beaucoup plus loin si l'on veut vraiment "moderniser" l'administration et la politique française en remettant froidement en cause l'existence de cette exception française qu'est l'E.N.A. Est-il sain, est-il normal que la quasi totalité des hauts fonctionnaires et une bonne partie des dirigeants politiques sortent tous du même moule, parfaitement abstrait quoi que l'on en dise. L'endogamie n'est pas source d'innovation et de progrès.

C’est l’ensemble du système français des grandes écoles qui devrait être remis en cause, d’autant que l’élitisme républicain n’est plus qu’un lointain souvenir, un peu réveillé par des initiatives comme celles du Sciences Po de Descoings. Ce n’est pas la qualité des grandes écoles qui pose problème mais ce qui se passe avant et après. Avant, le principe de sélection pollue l’ensemble d’un système d’enseignement qui abandonne très tôt des dizaines de milliers d’enfants. Après, l’appartenance à tel ou tel corps de mandarins verrouille, comme l’écrit Meriem, les postes de responsabilité et donc les chances qu’ils soient occupés par des esprits originaux. Tout cela évolue et évoluera lentement sous l’influence et de la mondialisation et de la concurrence. L’origine d’une partie des dirigeants des grands groupes commence à se diversifier dans certains secteurs (pas dans la banque évidemment !)

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