Algérie : après le pétrole et le gaz, le déluge

Un nouveau chef de gouvernement, Abdelmalek Sellal,  est enfin nommé quatre mois après les législatives du 10 mai qui ont vu le FLN rafler la mise dans une élection où le premier parti est, avec 48 %, celui de l’abstention. Est-ce le signe d’un nouveau départ pour son 3ème mandat ou la confirmation du mandat de trop pour Boutef comme le nomment les Algériens, maître incontesté de la politique gouvernementale ? Regrettera-t-il l’amendement constitutionnel de 2008 lui permettant de briguer ce 3ème mandat ?

Que pensent les Algériens, cinquante ans après l’indépendance, de la situation de leur pays et de l’homme qui se présente comme celui du redressement ? Les uns voient le verre est à moitié plein. Ceux-là mettent à son crédit, pêle-mêle, le retour de la paix civile – ne pas oublier les 200 000 morts de la décennie noire des années 90 -, le matelas confortable de devises constitué ces dernières années – sous-entendu même s’il y a toujours des voleurs, ils sont peut-être devenus moins gourmands -, la construction sans précédent de logements avec des mécanismes d’accession à la propriété innovants, le développement des infrastructures dans le domaine de l’eau ou des transports – presque tous les Algériens ont l’eau H24 comme ils disent et ils roulent enfin sur des autoroutes dignes de ce nom – la prise en charge à 100 % des malades chroniques …

Pour les autres, le verre est à moitié vide. Ils retournent un à un ces arguments. La paix civile ? Elle n’est que factice. Certes, il n’y a plus les tueries islamistes, reconnaissent-ils. Mais aujourd’hui, les tueries, les braquages et les "car jacking" sont légion, symptômes d’une société où les inégalités sont criantes. Le matelas de devises ? On peut dire merci à l’augmentation du prix du pétrole. La construction des logements et le développement des infrastructures ? Elle est assurée par les Chinois alors que plus de 25 % des jeunes sont au chômage. Chinois qui, avec les Américains, se partagent les autoroutes et les voitures qui roulent dessus sont importées. La prise en charge des maladies chroniques ? Tous les médicaments sont également importés.

Et si la querelle sur le verre à moitié plein ou à moitié vide n’a pas lieu d’être ? Regardons de près quelques données économiques. Après 50 années d’indépendance, l’Algérie exporte toujours 98% d’hydrocarbures à l’état brut et semi brut et importe 70-75% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15%. Les dépenses faramineuses (500 milliards de dollars) effectuées entre 2001 et 2011, grâce à l’argent du pétrole et surtout du gaz, pour moderniser les infrastructures de base et améliorer les conditions de vie des Algériens n'ont pas permis à l'économie de se diversifier. L’agriculture est exsangue et le pays  nourrit sa population grâce aux importations. Son industrie, moins de 5 % du PIB, n’en finit pas d’agoniser en dépit des sommes colossales injectées par l'État pour relancer les entreprises publiques. Le système de santé est sinistré, l’éducation en crise.

Or, les experts sont unanimes : l’Algérie avec son actuel modèle domestique de consommation énergétique et sans découvertes substantielles - ce qui a été le cas depuis 2000 - risque l’épuisement de ses ressources en pétrole (2020) et gaz conventionnel horizon 2030. Il lui reste, dans l’option optimiste, une dizaine d’années pour se ressaisir, diversifier son économie et sortir de l’économie de la rente. Dans le cas contraire, on peut craindre, non pas que le verre soit complètement vide, mais un déluge social dévastateur.

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Commentaires

C'est désolant... Où est la solution ? Comment sortir de l'immobilisme ?
En même temps, l'Algérie n'est pas le seul pays à faire l'autruche concernant l'épuisement des ressources naturelles - ce qui n'excuse rien, bien entendu !- ... Pourquoi est-il si difficile, à tous les niveaux - politique, social, individuel - de s'engager sérieusement dans une réflexion à moyen et long termes et d'en accepter les conséquences sur notre quotidien ?

Cela fait des années qu'un grand nombre d'économistes algériens attirent l'attention sur la fin du pétrole mais les responsables politiques qui se sont succédés sont restés sourds à cette thèse. Donc pas de stratégie de long terme en terme de politique publique.

La solution, chère Marine ? Elle tient, comme le dit si justement Samira, à la volonté politique, hélas, défaillante. Car le diagnostic des économistes, qu'ils soient algériens ou étrangers, est clair : l'Algérie, où plutôt les Algériens, sont victimes de la "malédiction" de la rente pétrolière.

Certains pays pétroliers ont su y échapper en diversifiant leur économie et en préparant l'avenir. Je citerai deux pays la Norvège ou le Qatar.

Pour les solutions en Algérie ? Je donnerai quelques pistes, partagées par la plupart des économistes :

1/ L'agriculture : le pays importe la plupart de ses denrées alimentaires. Développer l'agriculture permettrait de réduire la facture et de donner du travail aux Algériens dont le taux de chômage explose,

2/ L'industrie : casser les chasses-gardées des importateurs de biens industriels générant des "commissions" occultes faramineuses en "industrialisant" le pays. Inciter à produire localement permet un transfert de compétences et de technologies dans les secteurs de la pharmacie, l'automobile et les transports en général, les biens de grande consommation tels que les téléviseurs, ordinateurs, téléphones portables ... tous produits importés,

3/ Réformer la formation : pas seulement l'école "généraliste" mais en développant et en valorisant les filières techniques. Comment se fait-il que les Chinois qui construisent à tour de bras en Algérie viennent non seulement avec leurs ingénieurs et techniciens mais aussi leurs ouvriers : maçons, carreleurs, électriciens, peintres en bâtiment ... ? Réponse : ils ne trouvent pas de main d'oeuvre qualifiée.

4/ En résumé, on peut dire que les défis sont innonbrables et que c'est aux Algériens de se "retrousser" les manches pour sortir de la rente, ce piège infernal !

Bien cordialement

Meriem Sidhoum Delahaye

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