Mieux comprendre pour mieux agir

081020-Comprendre.jpgFace à la crise actuelle, le moment est venu d’un examen de conscience. Nous devons mesurer notre « vigilance », voir si nous pouvons nous flatter de quelques bons jugements et surtout réfléchir à comment corriger certaines insuffisances.

Notre approche, systématiquement pluridisciplinaire, a, au total, été positive. Elle nous a évité les ornières où s’embourbent souvent les spécialistes de tel ou tel domaine et les gens issus de tel ou tel milieu. Les intervenants à nos petits déjeuners ont apporté chacun un éclairage spécifique et nos groupes de travail ont examiné les choses dans leur complexité. Ainsi, Jacques Blamont a-t-il piloté une recherche sur le cumul et l’interaction des menaces. Ainsi, Jacques Andréani a-t-il mobilisé des compétences diverses sur le Moyen Orient. Ainsi, Alain de Vulpian a-t-il conduit une enquête pour tenter de dessiner les contours d’une « Société rêvée ». Une telle société implique, de toute évidence, une mutation ou, à tout le moins, un infléchissement du capitalisme tel que nous le connaissons. D’où la constitution d’un autre groupe de travail dont le périmètre a été défini avec Bernard Esambert et qui planche actuellement sur les voies et moyens d’un « Capitalisme durable ».   

En ce qui concerne la crise financière proprement dite, nous avons tiré plusieurs sonnettes d’alarme sans toutefois prévoir son ampleur, ce qui, disons-le franchement, est une grave lacune 

Parmi les prémonitions judicieuses, citons celle de Louis Schweitzer qui, dès 2002, stigmatisait, dans son intervention, le manque de régulations adéquates : « … les athlètes ne fixent pas eux-mêmes les règles du jeu. Il y va de leur intérêt bien compris ».
De même, Michel Pébereau tempérait en 2005 son libéralisme de principe en mettant l’accent sur les risques de spéculation et en soulignant les possibles emballements des marchés financiers « qui ont des cycles d’amplitude beaucoup plus forte que les marchés des biens et services ».  Citons aussi plusieurs avertissements lancés par Bernard Esambert sur les dérèglements du système monétaire puis sur les dangers inhérents au court termisme des entreprises. J’ajouterai que, dans des « avis de tempête » répétés, j’ai personnellement souligné que « parmi la profusion d’indices de toutes natures, nous devrions avoir l’œil braqué sur un paramètre essentiel : le prix de l’immobilier aux Etats-Unis ».  

Cette référence à mon propre jugement ne me pousse nullement à l’autosatisfaction. Bien au contraire. En prévoyant les effets macro économiques éventuels de l’éclatement de la bulle immobilière américaine (retournement de « l’effet richesse », baisse de la consommation aux Etats-Unis, conséquences pour le reste du monde), j’ai négligé l’effet multiplicateur des titrisations abusives dont j’ignorais les excès. Ainsi m’a-t-il fallu du temps pour comprendre que l’amoncellement de produits dérivés bâtis les uns sur les autres à partir de créances partiellement douteuses propageaient des risques de plus en plus conséquents et de mieux en mieux dissimulés. 

De ce constat, j’ai déduit que le système financier mondial prenait l’allure d’un éléphant en équilibre sur une aiguille. Après quoi, j’ai découvert – tardivement ! – la perversité de certains mécanismes annexes comme, par exemple, celui des « CDS » (Credit-Default Swaps). A mes yeux de Candide, il était normal et salutaire que des entreprises puissent s’assurer contre d’éventuels défauts de payement. Je pouvais même comprendre que si telle entreprise voyait ses risques concentrés sur tel pays ou sur tel secteur, elle pouvait avoir intérêt à en échanger une partie contre d’autres risques encourus par d’autres entreprises dans d’autres pays ou d’autres secteurs (c’était, à l’origine, l’idée - et la justification - des « Swaps »). Hélas, l’inventivité de pseudo génies de la finance a conduit à une dérive majeure que seuls les praticiens connaissaient alors même qu’ils n’en mesuraient pas le danger. Des spéculateurs, de plus en plus nombreux, ont choisi de s’assurer contre des risques qu’ils ne couraient en aucune manière et ont cru bon de parier sur la faillite d’autrui. Il en est résulté un écheveau de soupçons qui, quand la brise s’est mise à souffler, a provoqué une flambée de méfiance. C’est une des causes de l’assèchement actuel du crédit interbancaire lequel est d’autant plus menacé que nombre d’établissements ont eu l’imprudence d’abuser de l’« effet levier » leur permettant de travailler essentiellement sur des fonds empruntés représentant, dans certains cas, près de 40 fois leurs fonds propres. 

Si je me suis étendu sur ce point particulier, ce n’est pas pour le plaisir de faire mon mea culpa mais pour illustrer la double difficulté de l’anticipation des menaces : les spécialistes qui ont le nez sur le guidon ne voient pas les virages ; et les non spécialistes manquent de connaissances suffisantes pour mesurer l’étendue des dangers. C’est le « trou noir » de la connaissance. 

Pour combler cette faille, il ne suffit pas de croiser les expertises comme le font, en g
énéral, les think-tanks (dont le Club). Il faudrait aussi que les différents spécialistes soient tenus de justifier les vérités qu’ils considèrent comme acquises. Cette leçon, valable pour une modeste association comme la nôtre, l’est, à fortiori, pour les « responsables » que des fonctions élevées amènent à prendre des décisions importantes. Ces personnalités, pour la plupart, ont un emploi du temps tellement surchargé qu’elles vivent sur des idées qu’elles ont mises en stock quand elles avaient davantage de loisirs. Ces personnalités sont, d’ailleurs, entourées de conseillers qui eux-mêmes sont débordés et qui, de surcroît, ont rarement le courage de « déconseiller ». D’où l’importance de repérer des esprits libres qui s’efforcent de mettre en cause certaines idées reçues ou prévisions courantes.
 

Dans cet esprit et afin de susciter un débat, j’ai tenté d’établir un « diagnostic prospectif » de la crise financière. C’est une première étape. La crise n’est pas finie. De nombreux facteurs, à commencer par l’élection présidentielle américaine, façonneront l’avenir. C’est le moment ou jamais de se montrer vigilants. Le Club y parviendra d’autant mieux que nous saurons mettre à profit la diversité de nos expériences, de nos compétences et de nos talents.

Share

Commentaires

Les banques ont une énorme et double responsabilité : la première d'avoir été les fauteurs de troubles par leurs agissements quelque peu non prudentiels, la deuxième, quand la crise des subprime a éclaté de dissimuler l'ampleur abyssale des pertes, multipliant l'effet dévastateur quand la vérité, ou une partie seulement de celle-ci, je le redoute, a été connue.

Quand l'UBS et CITYBANK avaient émis en catastrophe des emprunts, en payant, malgré la signature extraordinairement bonne qui était la leur, des taux d 'intérêt de 9,5% et de 11 % POUR DES OBLIGATIONS CONVERTIBLES, j'avais considéré et dit publiquement à l'un des importants dirigeants de l'un de ces deux instituts que le diable était peint sur la muraille.

La profonde commisération, que son visage et ses propos à mon égard manifestaient, ne se justifiait certainement pas à l'époque ... et hélas encore moins aujourd'hui :

Directement et indirectement atteint, comme tout le monde, par la situation actuelle, j'eusse préféré avoir tort.

Trés bonne autocritique cher Marc Ullmann. C'est tout à votre honneur, et c'est un signe de grande intelligence.

Tous ont encore une vision rose des choses, et totalement immature : le partage et la redistribution des pouvoirs sont des trucs d'intellos : nous allons à une série de conflagrations régionales de haute intensité je le crains ; à cet égard je préfère Tsipi à Olmert pour affronter cette perspective.

Une crise génère un chaos dont il ressort une organisation, par définition elle ne se pilote plus, lorsqu'on n'a pas su la voir venir et donc la gérer avant son occurrence.

C'est ce que les stratèges appellent "l'initiative" : lorsque vous
êtes pris dans les forces et la volonté de l'adversaire, il n'y a plus qu'à prier ; lorsque vous avez su créer les conditions et circonstances vous pilotez.

Ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Les pilotes qui vont prendre l'avion, du moins aux Etats Unis, sont les militaires.

Cela est évident.

Ajouter un commentaire