Des clôtures au cyber-far west ?

Le modèle actuel d’Internet est ouvert. Chacun a ainsi la liberté d’accéder ? n’importe quel site public et de s’abonner ? n’importe quel service, quels que soient son matériel, ses logiciels et son opérateur de télécommunications. De ce fait, les opérateurs, ayant la main sur le trafic et non sur le contenu ? valeur ajoutée, sont en mesure de bloquer ou surtaxer ce trafic pour le rendre plus rentable pour eux. Que devient Internet si Google reste gratuit… mais qu’il faut franchir des ponts ? péage pour y accéder ?

Il est assez légitime que les opérateurs qui bâtissent et entretiennent les réseaux haut débit souhaitent conquérir une place sur le marché lucratif des services que ce haut débit permet, comme la télévision ou la téléphonie en ligne. Mais s’ils proposent eux-mêmes ces services, ces fournisseurs d’accès se retrouvent concurrents des fournisseurs de service : eBay, Amazon, Skype, Google, Yahoo… Et leur position ? la fois de transporteur routier et de police de la route biaise quelque peu la libre concurrence. Rien n’empêche ainsi un opérateur de bloquer purement et simplement l’accès aux services proposés par un concurrent, un peu comme si Orange bloquait les appels vers les mobiles SFR. Plus subtil que ce blocage discriminatoire, la « voie express » : les abonnés de l’opérateur se voient proposer, moyennant un supplément, un accès privilégié aux services délivrés par cet opérateur. Privilégié en ce que les performances du réseau (rapidité, fiabilité…) y sont remarquables, tandis que celles des concurrents sont déplorables. C’est très facile ? réaliser puisque la perception de l’utilisateur est avant tout relative : il suffit de dégrader les performances des services proposés par les concurrents. On donne donc l’image d’offrir un privilège, alors qu’en fait on détériore une prestation. Les opérateurs répondent que de telles pratiques verraient leurs abonnés les déserter et sont donc impensables. Mais ils ne cachent pas leur frustration de voir les entreprises de services en ligne caracoler en tête des marchés financiers en engorgeant leurs réseaux gratuitement. Une solution plus discrète pourrait se baser sur l’observation que la loi de Pareto s’applique au trafic Internet : une minorité de connectés mobilise une bande passante considérable en échangeant des fichiers multimédia très lourds. Les opérateurs pourraient les facturer au vu de leur trafic, mais les clients ne semblent pas prêts ? l’accepter. La tentation est alors forte de reporter la charge sur le fournisseur de services en lui proposant un partenariat qui le promeut sur la « voie express » de l’opérateur… mais cette fois, c’est lui et non l’utilisateur qui paie pour ce « privilège ». A l’heure où se multiplient les initiatives de réduction de la fracture numérique en matière de connaissances techniques et d’équipement matériel, tel l’ordinateur portable ? 1 €/jour du Ministère de l’Education Nationale, c’est peut-être l’indice d’une résurgence de la discrimination entre nantis et démunis numériques, sur une pure base économique cette fois. Comme au Moyen-âge, seuls ceux qui peuvent payer les octrois pourront faire circuler leurs marchandises et leurs idées entre fiefs morcelés par des alliances mouvantes. N’attendons pas une nouvelle Renaissance : le processus de refonte des législations sur le haut débit est en cours dans la plupart des économies développées. Or, les opérateurs historiques ont ? leur disposition plus de moyens, de contacts et d’expérience, bref plus de force de frappe en matière de lobbying que les jeunes pousses rescapées de la nouvelle économie, a fortiori les plus émergents : podcasting (diffusion de contenu sur les lecteurs mp3), vlogging (blogging en vidéo)… qui sont justement ceux qui alimentent la demande du public en haut débit, mais aussi l’innovation en matière de technologies et surtout la découverte d’applications innovantes du web, y compris dans ses aspects culturels et citoyens. L’enjeu est ni plus ni moins que la poursuite du développement actuel d’Internet.

Share

Commentaires

Une remarque rapide : la convergence des fournisseurs d'accès et des fournisseurs de contenu existe d'ores et déj? , notamment en France.
Ainsi Free et France Télécom, les deux premiers opérateurs d'accès Internet Haut-Débit, proposent l'accès ? la télévision via l'ADSL, inclut dans leur service de base. Vous allez me dire que cela ne constitue pas un modèle économique : si, car Free par exemple vient de faire évoluer son offre en proposant un système de de Vidéo ? la demande, toujours via son accès ADSL.
La convergence existe déj? , et elle ne nécessite pas forcément la mise en place de barrière.
Il ne faut pas non plus négliger la capacité des Internautes ? réagir très vite ? des tentatives de bloquage ou de limitation. Comme vous le dites, "Le modèle actuel d’Internet est ouvert". Les internautes sont attachés ? ce modèle. Ils réagiraient très vite face ? de tels "ponts ? péage".

Ajouter un commentaire