L’éthique de la globalisation exige la connaissance des autres

Pascal Lamy

L’ancien Directeur de l’OMC était l’orateur du cycle sur l’éthique du libéralisme de la Fondation Ethique et Economie, co-fondée par Bernard Esambert. Pascal Lamy rappelle les 2 approches principales qui régissent la question des relations internationales : l’approche westphalienne qui défend l’idée de relations entre Etats souverains ayant chacun leur éthique (« cujus regio, ejus religio ») et conduit à juxtaposer de la façon la moins mauvaise possible ces éthiques nationales, et l’approche cosmopolitique selon laquelle il y aurait une « morale universelle ». En pratique, le droit international s’appuie sur une somme de principes et de procédures, parfois sous-tendues par un système de valeurs (ex. la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme).

Pour autant, selon Pascal Lamy, nous n’avons pas une éthique commune, car les mots n’ont pas forcément le même sens. L’éthique de la globalisation est nécessitée par le rapprochement des économies - auquel les Etats tentent de mettre des obstacles non-tarifaires, tels que les mesures de précaution (OGM, données privées, bien-être des animaux,…) -, les excès de la globalisation (voracité financière, montée des inégalités) - Pascal Lamy rappelle fort à propos qu’Adam Smith était un… moraliste -, la désoccidentalisation du monde, la diversité des acteurs (les multinationales ont leur propre système de valeur), le progrès scientifique, qui touche de plus en plus au vivant. Mais, souligne Pascal Lamy, bien que nous vivions la fin de l’approche westphalienne, les obstacles sont nombreux à l’établissement d’une telle éthique : les limites de l’appartenance (il n’y a pas de « communauté internationale » fondant une légitimité d’une telle éthique), le danger même d’une vérité unique (risquant de provoquer une montée des nationalismes et des fondamentalismes), la faiblesse du politique qui doit énoncer les valeurs et arbitrer. Il insiste sur la nécessité d’un « appareillage institutionnel », tout en rappelant que le TPI, avatar d’un tel appareillage, s’est discrédité en ne jugeant que des dictateurs africains. Pascal Lamy énonce quelques principes de ce qu’il nomme une « convergence éclairée des sagesses ». Premier principe : converger sur les notions de « liberté » et d’« égalité ». La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme stipule que « les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits ». Ce « et » est trompeur et nécessite un arbitrage de l’ordre de la justice. Deuxième principe : la subsidiarité qui permet de ne se préoccuper que de ce qui est nécessaire. Troisième principe : la reconnaissance du fait qu’il peut exister plusieurs approches dès lors qu’il y a recherche de morale. Ce dernier principe implique une connaissance de l’autre : la connaissance, selon Pascal Lamy, constituerait les 2/3 de la convergence. A cet égard il souligne l’asymétrie considérable entre la connaissance que les asiatiques ont des valeurs occidentales et celle que nous avons des leurs. Pascal Lamy conclut sur cet aphorisme : « la justice définit la condition sociale comme la mort définit la condition humaine ».

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Commentaires

Construire une véritable éthique à l'échelon européen me semble un objectif à la fois indispensable et plus à notre portée. Il sera ensuite bien temps de la faire valider au reste du monde.

Nos entreprises ont, en effet, encore bien des efforts à faire pour agir éthiquement.
Il suffit de voir les dégâts environnementaux et sociaux dont se rendent coupables nos grands groupes pétroliers au Nigéria par exemple, ou les conditions dramatiques dans lesquelles travaillaient (et travaillent encore) les sous-traitants de nos grandes marques de vêtements au Bangladesh (cf. l'effondrement du Rana Plazza à Dacca).
On peut aussi classer "manque d'éthique" le cynisme avec lequel nos Etats commercent avec les dictatures de par le monde, quand ils ne leurs accordent pas des passe-droits (cf. le Qatar ou l'Arabie Saoudite).

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