Quantitative easing : encore un pas !

Du Japon aux Etats-Unis en passant par l’Europe, les banques centrales ont annoncé qu’elles sursoyaient au « retour à la normale » de leur politique monétaire afin de parer à l’actuel ralentissement économique. Taux bas voire négatifs, rachat de dettes ou injection de liquidités : les mesures non conventionnelles et le Quantitative Easing (QE) sont au cœur de la politique monétaire depuis la crise de 2008 soit une décennie. On peut dès lors se demander où est la normale et s’il s’agit d’une parenthèse ou d’une transition ?

Première leçon, il y a suffisamment de réservoirs sûrs pour stocker l’inflation potentielle du QE, à commencer par la dette publique. Les risques ne sont pas nuls mais, jusqu’à présent, la monnaie du QE est canalisée vers des actifs dont la valeur est stable, c’est-à-dire qu’ils ont la confiance des marchés. L’hyperinflation - l’effondrement brutal du pouvoir d’achat de la monnaie - annoncée en chœur à partir de 2008 n’aura pas lieu.

Deuxième leçon, nolens volens, la façon dont nous considérons la masse monétaire évolue. Le fonctionnement du crédit et le risque de déflation sont les justifications immédiates du QE mais sa persistance provoque un changement de perception : il n’est plus aberrant de distribuer autant-de-monnaie-qu’il-faut pour soutenir le système. Ce faisant, nous avons acté une complète déconnection entre monnaie et production.

Troisième leçon, ce crédit prodigue ne suffit pas à régler nos problèmes. Les 2600 milliards d’euros de l’Asset Purchase Program (APP) de la BCE et les centaines de milliards de prêts TLTRO aux banques n’ont pas empêché les gilets jaunes, le Brexit (la Banque d’Angleterre a fait la même chose) et des populistes à l’affût dans toute l’Europe. C’est la preuve qu’un assouplissement quantitatif articulé autour des seuls instruments financiers trouve assez vite ses limites.

La politique monétaire non conventionnelle nous laisse donc avec un étrange paradoxe : quantité inédite de monnaie disponible, quantité inédite de besoins non satisfaits (pouvoir d’achat, transition énergétique, éducation, santé, dépendance, etc.).

Dès lors, l’étape suivante est politique plutôt que monétaire. Des démocrates américains aux think tanks européens on voit poindre nombre de propositions pour lever les verrous mis aujourd’hui sur le QE et orienter la monnaie émise vers des besoins sociaux au sens large :  financement de la transition écologique, revenu universel, voire monnaie hélicoptère-pouvoir d’achat. Les banques centrales, pourtant cadenassées par des mandats étroits et la prétendue neutralité du QE, ne s’interdisent pas d’y penser.  

Ces idées ne sont pas laxistes. D’un point de vue monétaire elles reposent sur une même intuition : considérer que ces investissements et les contreparties obtenues, par exemple préserver une planète vivable, ont une valeur donc un prix, donc un contrat social suffisamment robustes pour se maintenir et se développer dans le temps. La persistance du QE nous rend familiers avec un nouveau paradigme : on accepte comme contrepartie de la monnaie créée une valeur qui ne se traduit pas par des flux financiers à court terme.

Techniquement cela signifie que l’on n’exige pas le remboursement du capital prêté car il n’y a, à court terme, rien à saisir mais une valeur qui se réalise dans le temps. On peut penser que les marchés, qui renouvellent constamment les dettes publiques à taux nul ou négatif, sont entrés dans cette logique et même qu’ils auraient un appétit pour une dette perpétuelle ou à très long terme à taux bas (mais positifs). C’est une opportunité remarquable pour les emprunteurs de premier rang comme la France pourvu qu’ils sachent tourner leurs difficultés en un projet d’ampleur et d’avenir lisible par les investisseurs. La transition énergétique et écologique évidemment mais aussi la mise à niveau des populations désindustrialisées dont la souffrance met dans l’impasse tous les gouvernements occidentaux (éducation, digitalisation, pouvoir d’achat, etc.).

La monnaie est au centre de tout projet collectif et donc politique. Signe de l’intensité de la crise-transition que nous vivons elle est l’objet de forts clivages. Les tenants de la thèse de la descente aux enfers de la finance* blâment les taux bas qui maltraitent les épargnants et les banques, prédisent une agonie et rêvent d’un retour à la normale dont on peut douter. On croit plutôt qu’un nouveau stade du développement monétaire apparaît dans la brume du quantitative easing avec des acteurs convaincus que la monnaie doit être dirigée vers des investissements qui réduisent la seule incertitude qui vaille d’être considérée : celle née des risques écologiques et sociaux.

Autorités qui décidez du quantitative easing : encore un pas !

 

*Titre d’un ouvrage de Georges Ugeux paru chez Odile Jacob, 2019

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Commentaires

L'effet du QE sur la croissance a été limité, partiellement parce que la zone euro a pris du retard dans la mise en place du QE, faute de consensus sur le rôle et le pouvoir de la BCE. Comme vous l'avez mentionné précédemment dans un autre article, il faut donner plus de pouvoir politique à la BCE : beaucoup de pays européens comme la France ont du mal à faire des réformes structurelles. La BCE pourrait aider les gouvernements à mettre en place des réformes par le moyen des politiques monétaires. Mais, comme à chaque fois, il faut d'abord trouver un consensus au sein de la zone euro...

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