En finir avec "L’économie de la triche"

Entre la simple optimisation fiscale, la fraude caractérisée et le crime organisé, existent beaucoup de différences et quelques points communs. Parmi ceux-ci, le recours fréquent à des paradis fiscaux. Les "paradis fiscaux" ou, selon la terminologie de l’OCDE, "Etats et Territoires Non Coopératifs" (ETNC) ne sont pas homogènes.

On a des Etats, certains Etats américains notamment mais aussi par exemple la Suisse ou le Luxembourg, qui mènent des politiques fiscales offensives et attractives pour les non résidents. On a aussi affaire à une multitude de micro îles – les îles Vierges, les îles Caïman ou encore Jersey, l’île de Man, Andorre … - dont l’attractivité ne tient qu’à des pratiques fiscales dommageables que l’OCDE résume comme suit :

  • la quasi-absence d'une fiscalité directe,
  • la faiblesse des activités économiques locales,
  • l'opacité des règles fiscales applicables et appliquées, et
  • l'absence de transmission d'informations aux administrations fiscales des autres pays.

En 2009, les grands pays ont décidé de frapper fort. Dans un contexte de crise financière internationale aiguë, le sommet du G 20, qui s'est tenu à Londres en avril de la même année, a fait de la lutte contre les ETNC une priorité. Où en est-on deux ans plus tard ?

Des progrès indéniables, quoique lents, ont été réalisés dans le domaine de la lutte contre l’évasion fiscale. D’autres restent à faire pour réduire le rôle des paradis fiscaux en tant que carrefours financiers de la globalisation ou sur le front de la sécurité.

Lutter efficacement contre l’évasion fiscale qui, enrichit les paradis fiscaux et prive les grands pays mais aussi les pays émergents de recettes fiscales oh ! combien bienvenues par ces temps de déficits publics croissants est primordiale. D’autant que l’évasion fiscale est aussi une plaie qui pèse sur le débat fiscal au niveau national. Comment expliquer aux patrons de PME qu’ils doivent s’acquitter d’un impôt sur les sociétés de 29 – 30 % en taux réel alors que les grands groupes du CAC 40 sont taxés à un taux réel de 8 % ? Comment faire accepter au contribuable "classe moyenne" l’impôt lorsque ceux qu’on appelle les "ultra riches" ne payent, en réalité, que 0,1 ou 0,01 % d’impôts en faisant jouer à plein toutes les ficelles d’optimisation fiscale ?

A-t-on progressé dans ce domaine ? Selon l’OCDE, elle a permis à vingt pays qui luttent contre l’évasion vers les paradis fiscaux de récupérer en deux ans 14 milliards d'euros de recettes. Ces 14 milliards d'euros ont été obtenus par différents moyens déployés par les Etats : signatures d'accords d'échange d'information qui ont écorné le secret bancaire pour les uns, amnistie fiscale ou politique en cas de régularisation pour d’autres...

Dans le cas de la France cité par l'OCDE, le montant de 1,2 milliard correspond à l'argent récolté par la cellule de régularisation. Active d'avril à décembre 2009, elle permettait aux contribuables ayant de l'argent caché à l'étranger de se mettre en règle avec le fisc.

Il faut aller plus loin et réduire au maximum les dispositifs de protection érigés par les ENTC telles que l’inscription du secret bancaire dans la constitution, la criminalisation du viol du secret bancaire…

L’objectif de l’OCDE, du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales qui réunit pas moins de 102 pays et territoires mais aussi du G 20 est de réduire au maximum ces protections, et d’amener les paradis fiscaux à prendre des engagements en termes de transparence et d'échange de renseignements. On peut dire que, en l’espace de deux ans, un certain nombre de progrès juridiques, législatifs mais aussi en terme de transparence ont été réalisés un peu partout dans le monde, y compris à Singapour et en Suisse.

Réduire le rôle des paradis fiscaux en tant que carrefours financiers de la globalisation. Près de 10 000 milliards de dollars y sont placés. Dans cette somme, on trouve de tout. On y trouve les 2 000 milliards de profits non rapatriés des multinationales américaines. L’Administration américaine tente de les convaincre de transférer ces fonds aux Etats-Unis. Mais les chances de succès sont maigres. On y trouve aussi les flux illicites annuels dont l’estimation sérieuse, près de 600 milliards de dollars, est faite par des ONG spécialisées dont 160 milliards rien que pour le trafic de drogue. Rien que pour les barons de la drogue mexicains, le bénéfice net annuel est estimé à 40 milliards ! Bénéfices qui se retrouvent "blanchis" dans différents paradis fiscaux grâce à des banques peu regardantes. L’exemple de la Wachovia Bank qui, en 5 ans, a transféré près de 375 milliards de dollars d’argent de la drogue en est le parfait exemple. Démasquée en pleine crise financière, elle s’en est tirée avec une amende dérisoire. On y trouve enfin les placements de particuliers au travers de fiduciaires et autres instruments. C’est dire que le chemin de la moralisation est long et semée d’embûches…

Mettre en garde contre "l’insécurité" des paradis fiscaux en matière de placements financiers. En un mot l’aspect prudentiel. Dans ces territoires, il y a certes "zéro" fiscalité mais aussi "zéro" régulation. Ce qui aboutit à "zéro" protection pour les investisseurs. Dans ce domaine les avancées sont, hélas, très maigres à l’image de la régulation financière mondiale.

Aujourd’hui, la crise change de nature. Les Etats surendettés sont dans l’œil du cyclone. Et si la crise perdure, il ne serait pas impossible qu’ils cessent de biaiser et découvrent rapidement les vertus de la régulation financière en général, et des paradis fiscaux en particulier.

Article rédigé en collaboration avec Meriem Sidhoum Delahaye

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Commentaires

oui on doit réguler de manière drastique ces paradis fiscaux, ces agences de notations instrument de pouvoir, les bonus des traders scandaleux, les fonds propres des banques...
Espérons que le guide ISO 26000, guide de gouvernance pourra être appliqué ?

A quand un Nuremberg pour juger les criminels financiers, corrompus.

Oui, on doit lutter contre la fraude fiscale, absolument ! Mais il ne faut pas se contenter de la frileuse liste de 11 paradis fiscaux de l'OCDE. Certaines ONG et le Tax Justice Network ont clairement identifié plus de 60 paradis fiscaux où l'opacité financière empêche de suivre les flux financiers et permettent donc de cacher des manœuvres !
Comme diraient les gens du CCFD Terre Solidaire : "Aidons l'argent à quitter les paradis fiscaux !"

Les paradis fiscaux sont devenus un élément significatif de la globalisation mal maitrisée par les Etats. Il faudrait identifier ces Etats qui ne coopérent pas à la reprise en main et les pénaliser d’une manière ou d’une autre.

je me demande s'il ne serait pas nécessaire, en même temps, d'apprendre aux Etats qu'ils doivent gérer en bon père de famille

car casser le thermomètre ne fait pas baisser la température

et croire que l'argent bon marché n'est pas à rembourser fait prospérer les écumeurs de malheurs

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