Favoriser la multiappartenance

L’histoire humaine a été jalonnée de mouvements de population, d’exodes, de gens qui quittent leurs champs pour aller à la ville ou dans un autre pays. Mais ce qui se dessine à l’horizon de 2030 est de toute autre ampleur.

Il y aura un milliard d’hommes sur les routes qui iront grossir les rangs des villes.

Ce mouvement de population concernera le monde entier. L’Europe en général et notre pays en particulier en seront aussi affectés. Des personnes issues de cultures diverses vont venir grossir la population de nos villes. Cette évolution pose un problème majeur de vivre ensemble. Sans doute le problème majeur de notre siècle.

Aujourd’hui, 36 mégalopoles dans le monde comptent plus de 10 millions d’habitants. En Europe, 90 % de la population vit d’ores et déjà dans et autour des villes. Ce phénomène ira croissant.

La concentration extrême de populations posera de nouveaux défis en matière de santé publique. Des maladies peuvent émerger. Un effort particulier d’anticipation sur la prévention et le traitement des pathologies sera nécessaire.

Il y aura aussi, sans aucun doute, des problèmes de logement auxquels il faudra répondre tout en évitant d’amplifier le phénomène des "banlieues" ici, des favelas ou des townships ailleurs. Ressenties comme autant de lieux de relégation, elles peuvent être de vrais concentrés d’insécurité et de violence.

Cet afflux de personnes soulèvera des problèmes de mobilité et d’environnement. La mobilité des personnes – les transports, et en particulier les transports publics – mais aussi la gestion de l’eau et des ordures devront être repensées et redimensionnées afin de faire face à la croissance de la population urbaine.

On aura à faire face à des problèmes d’éducation. Avec le développement des technologies de l’information, les gens ont, d’une part, le sentiment de connaître énormément de choses, d’être informés. La prolifération de l’information surtout sur Internet où les processus de validation sont laissés au "libre arbitre" des gens peut leur donner le sentiment de savoir. Des rumeurs peuvent être considérées comme des faits avérés. Dans une société de plus en plus multiculturelle, une seule information tronquée peut servir d’étincelle et soulever des "communautés" contre d’autres. Cette information prolifique qui encourage le "zapping" ne peut être assimilée à la culture. Le développement d’une "culture" commune sera un enjeu majeur.

Dans ce monde mouvant, des difficultés tragiques de co-existence peuvent apparaître. Comment concilier valeurs universelles et diversité culturelle dans ces conditions ? Ou dit autrement : les valeurs traditionnelles sont-elles compatibles avec l’"universalité" ? Comment intégrer au mieux possible ces populations dans notre culture urbaine, démocratique ? En un mot : comment créer les conditions de la co-existence entre les cultures ?

Il nous faudrait tout d’abord reconnaître que les valeurs traditionnelles ou coutumes sont porteuses, pour ceux qui les partagent, de cohérence. Dans les sociétés traditionnelles, les rites et les rythmes contribuent à un projet commun de société et à une vision du monde. Les coutumes sont, dans le même temps, assez totalitaires. L’individu doit se plier aux us et coutumes édictés par le groupe. A contrario, les sociétés modernes, démocratiques sont régies par des lois qui sont votées. Ces lois peuvent évoluer, se transformer, changer dans le temps.

Il nous faudrait aussi admettre que dans la vie en ville, chacun est étranger à l’autre, apprivoiser l’idée que l’autre n’est pas porteur de danger et savoir l’accueillir. Chaque être humain porte en lui le mythe de ses origines, de sa famille, de sa lignée. C’est ce qui nous rend si semblables et peut ouvrir la voie à la compréhension et l’empathie.

Il nous faudrait enfin accepter la formation de communautés. Car personne ne peut vivre sans communauté de référence, sans symbolique, sans mythe des origines. La situation des enfants d’immigrés aujourd’hui dans notre pays est, à cet égard, révélatrice : ils ne se sentent pas inclus dans la communauté nationale ; et ils ne sont pas considérés comme membres à part entière de la communauté d’origine de leurs parents. Cet entre-deux est source de souffrances incommensurables.

La communauté, un mot qui, aujourd’hui, nous fait peur, n’est pas le communautarisme. Alors que ce dernier enferme dans une vision étroite, essentialiste et, souvent, intolérante, la première marque un signe d’appartenance. La communauté n’est pas figée. Chacun d’entre nous peut adhérer à des communautés de pensée, par exemple le Club des Vigilants, mais aussi à une association sportive, culturelle, caritative… Toutes ces communautés nous permettent de développer des relations et d’interagir avec les autres. Cette multiappartenance est essentielle. Là où la monoappartenance est sclérosante, la multiappartenance est féconde. C’est le meilleur antidote à l’intolérance.

Le défi majeur dans les mégalopoles du futur tiendra dans la capacité des décideurs/gouvernants à s’appuyer sur les communautés, à reconnaître leur rôle dans le processus de cohésion sociale et à faire reculer partout la monoappartenance mère de l’intolérance et matrice potentielle de tous les conflits.

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Commentaires

Excellent article que je viens de découvrir. Le concept de multiappartenance est en effet intéressant et porteur d'avenir. Dans un monde de plus en plus global, complexe et mélangé, avoir des identités multiples et des appartenances variées est le meilleur moyen de faire barrage à une identité unique étriquée et une monoappartenance vindicative et intolérante.
Bien à vous, M. Xavier Emmanuelli.

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