Suisse : le pays du consensus

ConsensusParmi les facteurs déconcertants (pour les Européens) qui font que la Suisse maintient un niveau de compétitivité parmi les meilleurs au monde, la capacité des citoyens à accepter l’effort collectif en cas de nécessité est révélatrice. Preuve en est du Canton du Jura, qui vient d’adopter 141 mesures d’économies.

Parmi celles-ci, l’introduction d’un impôt minimal pour les non-imposables, la réduction de très nombreuses aides et subventions tous secteurs confondus, la restructuration voire la suppression de services de l’administration, de classes d’école, du secteur de la santé, etc. On imagine l’effet que l’annonce de ces mesures aurait eu en France. Ici, en Suisse, il n’en est rien.

Le Parlement et les représentants syndicaux ont été associés à la démarche, et la conférence de presse annonçant ces mesures n’ont entraîné ni déferlement de masse dans les rues, ni déchaînement des médias. Le peuple Suisse comprend que ces mesures sont nécessaires et que les choix ont été faits avec rationalité. Cet état d’esprit collectif empreint d’une vision à long-terme explique pour beaucoup le niveau de la Suisse.

Peut-on rêver qu’un jour les Européens, les Français, comprennent que le salut de leur nation passe par un tel raisonnement collectif et citoyen ?

Lire : Les 141 mesures

Lire : Le communiqué de presse

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Commentaires

A lire les 141 mesures d'économie décidées par le canton du Jura (Suisse), on comprend qu'avant de décider, il y a eu une mise à plat de tous ces comptes, et un accessibilité totale pour tout le monde à ces chiffres.

A quand la transparence totale des innombrables privilèges des français ? L'opacité française, savamment et méthodiquement entretenue par tout un chacun, est la première cause de l'impossibilité des réformes en France...

J'ai lu avec intérêt l'article ci-dessus. N'ayons aucune illusion : les Français ignorent le mot consensus.

Je suis issu d'une vieille famille suisse dont l'origine remonte au 15e siècle. Je suis né en France et suis à ce titre double national. En 2000, j'ai dû partir vivre en Suisse pour des raisons familiales et professionnelles. J'y ai passé dix ans. J'ai donc vécu la Suisse in situ.

Il y a deux choses essentielles qui différencient les Français des Suisses. La première, se résume en mot : Responsabilité, dans le sens où l'entendait le philosophe allemand du début du siècle dernier, Hans Jonas, c'est-à-dire responsabilité individuelle devant la loi et collective en tant que groupe humain vivant ensemble. Il n'est que de se rappeler de la devise de la Confédération : "Unus pro omnibus omnes pro uni" (un pour tous, tous pour un) pour comprendre ce qui anime ce pays.

Quelques chiffres comparatifs explicitent la nécessité de l'application de cette devise. Il y a en Suisse +/- 8 millions d'habitants, répartis en quatre langues officielles pratiquées sur un territoire de 12.000 km2, c'est-à-dire sensiblement les mêmes chiffres que ceux de l'Ile-de-France. Quatre langues équivalent à quatre cultures. Se pose alors la question : comment faire cohabiter des communautés disparates, qui plus est de confessions différentes ? Réponse : l'intérêt collectif imposé par la loi commune pour tous et décidée par tous.

Ainsi, le gouvernement fédéral se compose de sept sages (entendez ministres... on croit rêver). Ministres qui légifèrent et soumettent les projets de lois au Parlement composé d'une Assemblée fédérale répartie entre deux chambres :

1- le Conseil national, qui représente le peuple (200 députés, répartis proportionnellement à la population des cantons).
2- le Conseil des États, qui représente les cantons (46 députés, c'est-à-dire 2 par canton, quelle que soit leur population).

Ajoutons au passage que chaque canton est indépendant et possède son propre conseil cantonal élu et son propre gouvernement, selon la règle des États fédéralistes.
Jusque là rien d'étrange. Mais apparaît ici la différence fondamentale qui fait de la Suisse, sans l’ombre d'un doute, la première démocratie du monde. Les projets de loi fédéraux ou cantonaux, publiés dans la presse, peuvent faire l'objet d'une procédure référendaire si celle-ci recueille un nombre suffisant de signatures (50.000 au niveau fédéral).

Cette procédure est toujours accompagnée d'une contre proposition, car il ne s'agit pas dans l'esprit des citoyens (& citoyennes) de détruire, mais de construire différemment. Et cela, dans l'intérêt général où chaque Suisse agit non seulement selon son propre sentiment, mais aussi pour le bien de tous (Un pour tous, tous pour un).

Il sera vain de croire que tout cela est simple. En effet, la Suisse francophone est sensibilisée à gauche ; la Suisse alémanique à droite, voire à l'extrême droite. La Suisse centrale, xénophobe, est repliée sur elle-même, à l'ombre de Guillaume Tell. Mais lorsque le couperet de la volonté populaire tombe, tout le monde l'accepte, se tait, et se remet au travail. Un exemple parmi beaucoup d'autres : Lorsque Mme Aubry eut l'idée saugrenue, issue du rêve de l'idéologie des années 30, de réduire le temps de travail hebdomadaire à 35 heures, une initiative populaire a été lancée en Suisse pour demander que le temps de travail hebdomadaire soit réduit de 43 à 38 heures. Auparavant, le gouvernement avait expliqué aux partis que si cette initiative était acceptée, les salaires seraient réduits d'autant. S'il y a bien une chose à laquelle les Suisses ont horreur qu'on touche, c'est leur porte-monnaie. Le référendum en question fut repoussé par plus de 70% des votants...

J'ajoute que le consensus est appliqué nécessairement dans les négociations tripartites (État, patronat, syndicats) et que ce qui est accepté, signé, n'est pas remis en question. Pendant les dix années que j'ai passées en Suisse, je n'ai pas assisté à un seul jour de grève. Le Droit du travail est simplifié à l'extrême, celui de l'accès aux indemnité de chômage aussi, puisque celui-ci est réduit à 3% de la masse salariale. Dernier point : l'endettement de la Suisse est de l'ordre de 15% du P.I.B.

Amicalement.

Cher ami,

je vous remercie pour votre description très exacte du fonctionnement de la Suisse, qui illustre parfaitement la notion de démocratie. Elle a certes des défauts comme partout, mais je rejoins votre analyse pour confirmer qu'il s'agit vraisemblablement de la meilleure formule en vigueur, s'agissant de système démocratique.

La transposition d'un tel système en France voire en Europe est sans doute, malheureusement, illusoire. La grande difficulté de la France pour aboutir à de tels consensus est liée à la cristallisation des positions de chaque "caste" (patronnat, syndicats, fonction publique, dirigeants, etc.), qui préfèrent en cas de divergence d'opinion rester sur leurs acquis plutôt que de lâcher du lest. Le terme "compromis" est d'ailleurs associé à une connotation négative, à une position d'infériorité, inacceptable semble t-il pour les différentes parties.

Il y a quelques années, je travaillais sur Paris pour une société texane. Elle avait racheté un groupe français, ce qui avait notamment engendré de fortes tensions tant au niveau de la Direction générale que des syndicats revendicatifs (SUD, CGT notamment).
Lors des très nombreuses et longues réunion entre les deux parties - pouvant durer jusqu'à 6 heures non-stop - chacun campait sur ses positions. Une vraie guerre d'usure, et aucun compromis possible. Le but en arrivant en réunion semblait de tout mettre en oeuvre pour faire perdre du temps à l'opposant. Cela m'avait frappé.

Nous avions baptisé cela "l'effet cliquet" : chacun souhaitait obtenir des acquis, mais une fois ceux-ci obtenus il était exclu de les restituer, quitte à saborder l'entreprise et à perdre son emploi... ou ses salariés.

Pour le bien de la France, mais également des français, cet état d'esprit doit changer. Car, quoi qu'on en dise, l'effet cliquet ne fonctionne que sur le court-terme, et de manière totalement égocentrée. Au temps de la croissance-zéro, des constats liés au réchauffement climatique et autres phénomènes de désaccélération, il est simplement inconcevable de continuer à raisonner de la sorte en réclamant plus et plus. Les français sont pour le moins revendicateurs, certees, mais ils sont également loin d'être inaptes au raisonnement. Espérons donc qu'ils réaliseront le plus tôt possible leur erreur, en comprenant l'intérêt d'une désescalade, les avantages collectifs du compromis et les bienfaits du consensus.

Dans ce changement d'état d'esprit, la Suisse à un rôle à jouer, peut-être. Simplement en servant d'exemple de ce qui peut être réalisé lorsque les populations, syndicats, patrons, et élus trouvent un terrain d'entente pour le bien collectif et le long-terme.

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