Terrorisme : l’heure des choix difficiles

EEILL’effet Werther est bien connu des spécialistes des sciences sociales. Le nom vient de l’ouvrage Les Chagrins du Jeune Werther, qui en faisant l’apologie du suicide, a provoqué une vague de suicides en Europe il y a plus de deux siècles. Cet effet stipule que les transgressions de normes humanistes se propagent de manière épidémique quand elles sont médiatisées sans être dénoncées publiquement.

J’avais eu l’occasion de signaler, dans une alerte intitulée "Les chagrins du jeune Werther", que cet effet Werther s’appliquait particulièrement au terrorisme salafiste qui faisait école dans les pays arabes. A l’ère de la globalisation le danger est mondial.

Depuis, les massacres, les crucifixions, les têtes tranchées, les actes d’anthropophagies ont été diffusés avec fierté par les sites salafistes. En Juin 2014, L’organisation de l’Etat Islamique (EI), la plus forte des organisations salafistes, s’est lancée dans des opérations d’épuration ethnique en Irak et en Syrie, touchant des Chrétiens, des Yazidis et toute autre ethnie minoritaire. Aucune condamnation internationale ne s’est fait entendre. Puis L’EI est arrivé aux portes d’Arbil, la capitale de la province kurde en Irak.

Pour arrêter la progression de la terreur, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté à l’unanimité la résolution 2170 interdisant le commerce, la livraison d’armes et toute forme de soutien à deux des organisations salafistes : L’EI (présent en Irak et en Syrie) et la Nosra (uniquement présente en Syrie). Cette condamnation publique des deux organisations constitue un pas dans la bonne direction pour enrayer ce retour à la barbarie. Mais à ce stade où la transgression des normes humanistes s’est institutionnalisée, cette condamnation demeure insuffisante.

Pointant du doigt cette insuffisance, l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, sis à Londres, et animé par un opposant au régime Syrien, publie des informations indiquant que durant le mois précédent environ 6000 combattants ont rejoint l’EI depuis la frontière turque. Sur ces 6000, environ un millier provient de pays « étrangers » (entendez pays non arabes et non musulmans). Cette publication inédite signifie en clair : Prenez des mesures pratiques et  asséchez l’apport en hommes, en armes et en argent à partir de la frontière turque, ces gens-là nous tuent aussi.

Une conjonction irano-américaine a permis de repousser l’EI des portes d’Arbil. Les Iraniens ont fourni des armements adéquats aux troupes terrestres kurdes (les Peshmergas), et les Américains ont assuré la couverture aérienne de la contre-attaque. L’EI réagit et fait trancher la tête de James Foley, journaliste américain, par un britannique, nommé John. Il diffuse cette horreur dans une vidéo sur internet. Dans la foulée, le Daily Mirror rapporte qu’une femme britannique, qui a rejoint l’EI, sous le nom de Khadijah, s’engage sur son compte Twitter, à être la première femme à trancher la tête d’un britannique ou d’un américain.

Le Premier Ministre britannique David Cameron interrompt ses vacances et ne se trompe pas quand il déclare : « Il faut mettre un terme aux actions terroristes de l’EI, car nous risquons de les retrouver demain dans nos rues ». Il craint une transmission de la barbarie en Occident par des Occidentaux qui en ont fait l’apprentissage chez l’EI.

Comment conjurer le danger ? En armant les groupes de combattants syriens soi-disant modérés ? François Hollande a reconnu le faire, Barack Obama l’a suggéré. La mission : se battre contre l’EI, La Nosra et contre le régime Syrien à la fois.

Mais est-ce réaliste ? Considérons Les noms des principales formations supposées modérées. Ils n’évoquent ni la tolérance ni l’appartenance au 21ème siècle : l’Armée de l’Islam (qui s’oppose aux infidèles), l’Armée des Moudjahidines (aux relents talibans), le Mouvement Nouredine Zinghi (Chef   militaire du 12ème siècle qui s’est distingué par son extermination des chrétiens du Comté croisé d’Edesse), ou encore le mouvement HAZM dont les initiales en arabe signifient Mouvement de retour au temps du Prophète.

Dans les actes, aucun de ces mouvements n’a condamné les horreurs de l’EI et de la Nosra. Ils partagent en effet la même plateforme idéologique. Tous rejettent le progrès et prônent le retour à un passé islamique imaginaire (rien n’est plus loin de la vérité historique que ce passé invoqué). Comme ce passé ne peut s’accommoder du monde moderne, il vise à le détruire. Les soi-disant modérés ne peuvent, sans se renier, dénoncer ceux qui représentent l’aboutissement ultime de la logique de cette idéologie.

Dans sa conférence de presse du 29 Août 2014, David Cameron présente une approche particulièrement lucide de ce qu’il faut faire pour endiguer le danger mondial de la nouvelle barbarie. Pour lui, « ce n’est pas en traitant des problèmes de pauvreté, de dictature ou d’instabilité (dans les pays concernés) que l’on peut faire face au danger … les racines de ce danger plongent dans l’idéologie extrémiste empoisonnante qu’il propage … l’ effort militaire ne représente qu’un volet de ce que nous pouvons faire … (Il faut) extirper l’idéologie empoisonnante … cela prendra des années, peut-être des décades ».

Ce combat contre l’idéologie empoisonnante, peut être accéléré en s’appuyant sur les groupes sociaux qui sont porteurs d’une pensée moderniste, axée sur l’avenir et aspirant à une civilisation humaniste. Et ils sont particulièrement nombreux dans le monde arabe.

Dans son ouvrage Les Choix Difficiles, Hillary Clinton, ex-secrétaire d’Etat américain, semble indiquer qu’elle n’a fait aucun choix au Moyen-Orient. Sous prétexte qu’ils sont mieux organisés, elle « observe » le triomphe des mouvements aux visions moyenâgeuses, aux dépens des groupes modernistes. Est-ce vrai, ou est-ce une manière de se disculper des conséquences catastrophiques de certains choix ? La question reste ouverte. Mais il est certain que l’heure actuelle ne saurait tolérer ni les mauvais choix ni le laissez-faire, ni les solutions illusoires. Voici venu le temps des véritables choix difficiles.

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