Prisons : faux baromètre des crimes et délits

PrisonsMarc Ullmann avait envisagé de faire du texte qui suit l'éditorial du dernier numéro de Vigilances. Il nous a, hélas, quittés avant. Nous avons dû modifier la deuxième phrase puisque la réforme pénale dont il parlait a, depuis, été adoptée.

L'Assemblée Nationale a ouvert le débat parlementaire sur la réforme pénale. Ce texte a été adopté en première lecture le 10 juin. Vue l'étendue des divergences entre les prétendus "sécuritaires" et ceux qu'ils accusent de "laxisme", il est difficile de prévoir à quoi ressemblera le texte final.

Victor Hugo arguait déjà que "la prison est l'école du crime". Selon lui, il suffirait d'ouvrir beaucoup d'écoles pour qu'il y ait moins besoin de prisons. Pour les tenants de l'ordre, à l'inverse, mieux vaudrait se montrer fermes et construire davantage de prisons.

Réconcilier les deux points de vue est, en France, une tâche d'autant plus ardue que, malgré les efforts de Mme Taubira et de presque tous ses prédécesseurs (qu'ils soient de droite ou de gauche), la plupart des électeurs s'enferment eux-mêmes dans une contradiction que l'on peut résumer en trois phrases :

  • Les méchants doivent être punis ;
  • La prison n'est pas un bon instrument de réhabilitation ;
  • Les peines "alternatives" ne sont qu'un faux-semblant.

La plupart des Français en arrivent ainsi à se dire que, "faute de mieux", les coupables, tous les "coupables", doivent aller en prison et y rester le plus longtemps possible afin que les "honnêtes gens" ne soient pas menacés. C'est logique mais paralysant. D'où la nécessité de changer la nature des peines alternatives afin qu'elles apparaissent au public comme un véritable "châtiment".

Il faut dire qu'avant 1789, au siècle des Lumières, la prison a été saluée comme un bond en avant. Adieu l'arbitraire. Adieu la "question" pour obtenir des aveux. Adieu la justice rendue par soi-même ou par son clan. Tout devait entrer dans un ordre rationnel : vous avez volé un cheval, vous en aurez pour six mois. Vous avez tué votre grand-mère, vous en aurez pour vingt ans. C'était simple. Trop simple. L'enfer des cas particuliers a souvent été pavé de bonnes intentions générales.

Pour éviter le piège, de nombreuses tentatives ont été amorcées. J'ai vécu l'une d'entre elles que je me permets de citer à titre d'exemple. C'était en 1990. Je venais de fonder ARDI (Association pour la Recherche et la Diffusion des Initiatives) et m'étais mis à chercher des exemples de réussite pour la personnalisation des peines et le dédommagement de victimes. Un colloque international s'est tenu en juin 1990 avec l'appui de Michel Rocard alors Premier ministre.

Plusieurs médias étaient dans le coup et les actes du colloque ont été publiés dans un numéro spécial de la revue Droit Pénal daté d'août/septembre 1990. Dans le même esprit, et après de multiples rencontres entre personnalités de tous bords politiques et d'experts en graduation et en application des peines, un "appel" a été lancé puis publié dans Le Monde daté du 8 novembre 1991. Plusieurs anciens et futurs Gardes des Sceaux ont été de la partie. En vain.

Mme Taubira est dans la tradition. Souhaitons-lui bonne chance.

Par Marc Ullmann, début juin.

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