Nucléaire : Les Coréens champions d’Asie ?

100108-EPR.jpgLa perte de la commande des EPR négociée avec les Emirats au profit de la Corée du sud n’est pas une bonne nouvelle pour le nucléaire français. Ce succès inattendu des Coréens aura, à n’en pas douter, un fort retentissement en Asie.

C’est en effet la première fois qu’une nation asiatique exporte seule une technique nucléaire portant ses couleurs nationales.

Le Japon a certes construit de nombreuses centrales nucléaires sur son territoire sous licence américaine mais à Taïwan il a agi en association avec les Américains. Cette situation pourrait toutefois évoluer puisque Toshiba a racheté le nucléaire civil de Westinghouse.

Il reste que les Coréens auront été les premiers à remporter un contrat d’une telle importance.

Framatome était parvenu, à l’issue d’une négociation ardue, à vendre aux Coréens en 1980, deux ilôts nucléaires de 950 MWe. Ils furent construits et mis en service sur le site d’Ulchin dans de bonnes conditions. Depuis 1988, ils fonctionnent à la satisfaction des Coréens. Mais entre temps, une occasion intéressante s’est présentée aux Coréens. L’arrêt total de  la construction de nouvelles centrales nucléaires aux Etats Unis depuis 1973 environ avait mis à mal les quatre constructeurs de réacteurs à eau légère. Le plus puissant, General Electric, a survécu mais les trois autres ont progressivement été obligés de cesser leur activité ou de la vendre. C’est ainsi que Combustion Engineering s’est séparé de son système nucléaire appelé « système 80 ». La Corée du sud, à travers son électricien national Kepco s’est portée candidate au rachat et a obtenu les accords nécessaires de l’Administration américaine.

Les techniciens Coréens, avec qui nous avons beaucoup travaillé, sont excellents, très travailleurs et avides de réussir. Ils ont développé leur filière à partir de leur acquisition, ont construit plusieurs installations dans leur pays et ont « coréanisé » le système 80, devenu le système 80+.

C’est ce système qu’ils viennent de vendre aux Emirats.

Je ne suis en rien au courant de la manière dont la négociation a été menée du côté français et je ne sais pas quelle en a été la pierre d’achoppement. Je me bornerai à mentionner deux faits qui, à mon avis, peuvent avoir affaibli la position française.

En premier lieu, les difficultés rencontrées par Areva en Finlande dans la construction de l’EPR d’Olkiluoto. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit du premier EPR construit. C’est donc au mieux une « tête de série », plus vraisemblablement un prototype. J’ai toujours considéré qu’Areva avait eu raison de prendre cette commande qui, à l’époque, marquait le début d’un renouveau du nucléaire.

Mais il est profondément regrettable, à mes yeux, que ce premier EPR construit l’ait été à l’étranger. Prototype ou tête de série, il aurait dû être construit en France par EDF sur un site d’EDF et ceci bien avant Flamanville. Pour que les choses se déroulent bien cet EPR aurait dû avoir une avance de 2 ans au moins sur la construction finlandaise. La décision incombait à EDF et aux pouvoirs publics qui n’ont, dans ce cas précis, pas anticipé l’événement.

Je veux maintenant signaler un autre fait qui n’a probablement pas favorisé le dossier français. Il s’agit de l’intervention publique des autorités de sûreté  finlandaise, Britannique et française à propos des systèmes de contrôle de l’EPR.

Il est compréhensible que l’Autorité de sûreté finlandaise prête la main à la constitution du dossier contentieux qui ne manquera pas d’être présenté par les Finlandais à l’issue du projet.

Que les Britanniques y joignent leur voix est dans leurs traditions mais sans grande importance.

En revanche, que l’Autorité de sûreté française joigne sa voix à ce mouvement et même le patronne me paraît incongru.

Pour avoir travaillé pendant 26 ans à Framatome et avoir participé à la construction de nombreuses centrales nucléaires en France et à l’étranger, je peux témoigner que la règle d’or était de ne rien cacher à l’autorité de sûreté qui, dans les faits, est incontournable car elle a toujours le dernier mot.

Si l’Autorité de sûreté voulait obtenir d’Areva et/ou d’EDF des améliorations sur tel ou tel système, il lui suffisait certainement de le demander au moyen des nombreux canaux ordinaires de communication qui existent entre ces organisations.

J’ai peine à croire que la méthode utilisée n’ait pas eu une influence fâcheuse sur l’issue du dossier.

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Commentaires

J.C.Leny a évidement raison sur tous les points, et notamment sur l'autoflagellation française, à propos d'un contrôle-commande dont je me demande s'il n'est pas d'origine Siemens. S'y ajoute sans doute tout ce qui a été dit sur les relations entre EDF et Areva.

Le sujet du nucléaire mériterait d'être traité sous tous ses aspects par notre club. Avons-nous des contacts avec l'Association "Sauvons le Climat", excellente sur ce sujet ?

J'approuve totalement cette vision, et je m'inquiète du triomphalisme précoce qui prévaut en France, tant de la part des industriels que de la classe politique sur les succès futurs de notre filière nucléaire et sur la position de leader mondial d'AREVA. C'est je crois Clausewitz qui disait que la pire erreur en matière de stratégie était de sous-estimer l'adversaire.

Il faut ajouter les querelles franco-françaises persistantes, encore attisées par les récentes déclarations du nouveau Président d'EDF lors de sa prise de fonction, entre l'électricien et les industriels de la filière sur le thème de qui doit être le chef : celles-ci ne contribuent certes pas à créer un climat favorable pour gagner des marchés difficiles à l'exportation...

JC Lény a bien vu la situation sauf sur un point : le contexte français a changé depuis 2006 avec la loi TSN (tranparence et sécurité nucléaire) qui impose à la nouvelle autorité de sûreté nucléaire (ASN), maintenant indépendante, une grande transparence dans la communication non seulement avec le public mais aussi vers les industriels.

Son intervention publique sur le contrôle commande de l'EPR en témoigne. Elle témoigne aussi certainement d'un manque d'écoute de la part d'EDF sur les nombreuses mises en garde officieuses émises par l'ASN et ses appuis techniques sur ce sujet dans les mois qui ont précédé cette déclaration.

Dernier point, l'offre EPR française ne jouait pas dans la même division que l'offre coréenne : la construction du produit coréen ne serait pas autorisé en France ni en Europe... En regard, le prix de l'EPR, à hauteur de ses qualités, n'a pu que l'écarter du choix des Emirats.

Conclusion, l'industrie française doit se préparer à jouer dans les 2 divisions: en Europe et aux USA avec l'EPR, ailleurs avec une solution technique plus économique. L'ASN devra en tenir compte dans ses positions sauf à laisser le champ libre aux Asiatiques sur une part grandissante du marché international.

Le commentaire de Jean Claude Leny sur le revers français aux Emirats est un élément important pour essayer d’analyser les raisons de cet échec, et surtout d’en tirer des leçons pour les compétitions à venir.

J’étais à Framatome au début des années 80, quand on avait beaucoup de mal à expliquer pourquoi Framatome, en position monopolistique en France, ne remportait que très peu de succès à l’exportation. Je me souviens très bien que les arguments les plus divers fleurissaient, et les plus fantaisistes surtout. Il a fallu à cette époque un travail méthodique de huit mois pour démontrer à l’intérieur de Framatome, chiffres bien analysés à l’appui, ce que les clients nous répétaient sans être entendus : « Framatome est trop cher ».

Il suffit aujourd’hui de lire la presse étrangère spécialisée pour y relever que le contrat émirati a été gagné par les Coréens parce qu’ils étaient plus compétitifs. Avec mon expérience passée je n’ai aucune raison d’en douter.

Je précise d’autre part que la centrale vendue par les Coréens comprend un nouveau réacteur nucléaire de 1400 MW, développé avec l’aide de Westinghouse et de Toshiba. Quatre réacteurs de ce type sont en construction en Corée, le premier devant être mis en service en 2013 à Shin Kori. Le consortium français proposait le réacteur EPR de 1600 MW, dont le premier exemplaire est en construction en Finlande, et le second en France à Flamanville, lequel doit être mis en service en 2012. Il est habituel que les premières réalisations d’un produit aussi complexe rencontrent des aléas qui allongent le délai de réalisation. Je serais bien étonné que les Coréens ne subissent pas le même genre d’aléas dans la réalisation de leur nouveau réacteur. Ne cherchons donc pas de ce côté les raisons du revers français.

En revanche un autre facteur a pu avoir son poids dans cet échec. EDF a rejoint à la dernière minute le consortium d’entreprises françaises, à la demande du client, et sur injonction de l’Elysée. Les Coréens offraient une réplique assez proche de ce qu’ils construisent en Corée, et ils pouvaient donc assurer de façon crédible qu’ils aideraient les Emiratis à démarrer des centrales identiques à celles qu’ils construisent chez eux. Or le modèle de centrale complète offerte par le consortium français n’est en réalisation nulle part. Ce modèle de centrale, à part le réacteur nucléaire qui n’est qu’une partie de la centrale et qui n’en constitue que le tiers du prix total, est sensiblement différent de ce que construit EDF en France. EDF a donc été inévitablement moins crédible que les Coréens quand il a assuré qu’il aiderait les Emiratis à démarrer et exploiter ces centrales offertes par le consortium français…

Je risquerai donc une suggestion : si l’Etat français veut réellement aider le consortium qui a perdu ce contrat, il faudrait qu’il se décide à réaliser une centrale de ce type en France, et ainsi offrir une référence française aux offres de ce consortium à l’exportation. Mais peut-on (et veut-on) entamer le monopole historique d’EDF dans la réalisation de centrales nucléaires en France ? Les instances étatiques françaises adorent les positions monopolistiques et les protègent de fait. La concurrence et ses vertus éternelles pour réguler les niveaux de prix s’en trouvent amoindries. Quelle part au bout du compte cette situation monopolistique a son prix, et là de manière inattendue à l’exportation. J’espère qu’en France, quelqu’un aura le courage, l’opiniâtreté, les moyens et le soutien nécessaire pour analyser sans complaisance la réalité des prix sur cette affaire manquée.

Je suis tenté de rejoindre assez largement l'analyse de Philippe Tixier.

Ayant eu , pour ma part, l'occasion de répondre et de gérer de grands appels d'offres très compétitifs, j'ai acquis la conviction (en dehors de toute action toujours possible de lobbying et d'influence exogène au processus de vente) qu'un client en situation de choix et de décision est toujours soumis à plusieurs contraintes indépendantes et contradictoires.

Un maître d'ouvrage (le client) lorsqu'il sollicite un maître d'eouvre (le fournisseur, l'entreprise ou le consortium solidaire chargé de la responsabilité matérielle et humaine de la réalisation) se pose la question :

- de l'adéquation des "fonctionnalités" offertes par la solution proposée par rapport à son besoin estimé actuel et à terme,

- du risque "socio-technique" global qu'il accepte en prenant sa décision : risque de bonne fin du projet initial (conformité), de robustesse et de maintenanbilité du dispositif en exploitation (service régulier)

- du risque de "dépendance" vis à vis du ou des fournisseurs critiques et donc sa capacité de "retour arrière" ou de "substitution"

et enfin;

- du prix, du financement associé et du cadencement des paiements dans le temps pour chacun des lots constitutifs...

Certes le prix d'annonce, d'appel initial est important, mais pour un "vrai décideur responsable" se pose aussi la vision non seulement du "court terme" mais aussi du moyen et du long terme.

Cela est d'autant plus vrai que les produits et services considérés relèvent de biens d'équipements et d'infrastructure ...

En fait pour les grands marchés sur budget d'Etat, une autre contrainte peut venir du "système de comptabilisation des dépenses" car si, comme en France, l'annualité du budget ne permet pas au décideur de s'engager fermement sur la durée du projet, la tentation est grande pour l'un des candidats de pratiquer du "dumping" sur la partie court terme en masquant le plus possible la partie moyen et long terms du prix.

Les exemples ne manquent pas de telles situations...

HPS

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