Les marchés sont révolutionnaires

Qui sont ces marchés qui sifflent sur nos têtes ? Nés de la rencontre organisée des acheteurs et des vendeurs de risques et de produits où se forme un point d’équilibre, ils sont devenus une abstraction désignant des forces profondes capables de diriger les événements avec une extra lucidité souterraine, digne de la ruse de la raison hégélienne.

Les marchés ont leur grammaire. Dans leur langage, ils viennent de dire que le système fondé sur la distribution de pouvoir d’achat grâce à l’endettement plutôt que la recherche laborieuse de valeur ajoutée a atteint ses limites. Accessoirement, ils condamnent la tolérance politique consubstantielle au système. Les politiques devront faire différemment. Les politiques ne cessent pas d’eux-mêmes de mal agir, moitié par confort, moitié par réelle impossibilité de distinguer les forces profondes qui mettent dans les cordes le système dont ils font parti

De même que les processus révolutionnaires ont pour tâche historique de périmer des régimes politiques devenus inadaptés et irréformables, les marchés se sont chargés de déclasser des pratiques insoutenables. 1848 : les gouvernements fondés sur la fidélité dynastique sont emportés par les puissantes forces sociales qui naissent avec l’industrie et les nations; 1989 : le carcan idéologique et physique qui fonde l’autorité des gouvernements communistes éclate sous la pression de la liberté individuelle et des revendications matérielles à l’œuvre depuis la fin de la reconstruction; 2010 : une génération de dirigeants laïcs, autrefois venus pour moderniser les sociétés et combattre Israël, perdue dans le clientélisme clanique et la corruption, perd la main face à une jeunesse nourrie d’un cocktail inédit de valeurs universelles, d’humilité cléricale et de grégarité joyeuse des réseaux sociaux. 2011 : les gouvernements élus, dépositaires de la légitimité démocratique dans le noble sens du 18e siècle qui occupent le pouvoir, sans réelle marge de manœuvre, depuis des années et, à peu de chose près, ont pour seul horizon l’amélioration continue de la redistribution se font dicter les règles de l’économie de confiance mondialisée par leurs créanciers anonymes.

Ces régimes ont en commun d’avoir entretenu l’illusion que l’histoire ferait éternellement crédit à leurs insuffisances. Les révolutions et les marchés provoquent la rupture mais ne nous leurrons pas : ils ne disent pas ce que sera le système d’après.

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