Les enjeux du Grand Paris

Comparée aux grandes métropoles que sont Londres, New York, Tokyo… Paris et sa région appellent deux observations. Pour toute personne qui a la chance de survoler Paris au sein du périphérique, le constat est sans appel : elle est magnifique. Paris est plus beau encore que ce que l’on peut imaginer ; c’est probablement la plus belle ville du monde.

Mais dès que l’on s’éloigne du périphérique, et c’est la première observation, la réalité est toute autre.

Aujourd’hui, la banlieue constitue un tissu étrange ponctuée de quelques villes nouvelles. Le mot banlieue lui-même est révélateur. Il vient de l’expression « ce qui est au ban », en d’autres mots « en dehors de Paris ». Or, c’est dans ce tissu étrange que vit, tout de même, une population équivalente en nombre à celle des 14 premières villes françaises. Cette réalité devrait nous interpeller et nous amener à réfléchir sur les enjeux du Grand Paris.

La seconde observation concerne le poids économique de la région Capitale : Paris et sa banlieue pèse 30 % du PIB pour 20 % de la population. C’est dire le potentiel extraordinaire de développement à condition d’avoir une vision ambitieuse et prospective pour le Grand Paris. Une ambition qui manquait au schéma directeur, s’inscrivant dans une logique plus classique, préparé par la Région. D’où la création du Secrétariat d’Etat au développement de la Région Capitale auquel ont été assignés deux objectifs :

  • Réfléchir au développement de la région Capitale dans un horizon de 20 à 30 ans et redonner à Paris son statut de ville monde qu’elle était en train de perdre ;
  • Proposer une loi méthode déterminant deux grands axes de développement : celui des infrastructures de transports et celui du développement économique en général.

Aujourd’hui, 60 % des déplacements se font de banlieue à banlieue alors même que le système de transport est centré sur Paris. Pour aller de Clichy-sous-Bois à Roissy par exemple, il faut 1h 30 en transports publics, alors que quelques kilomètres seulement les séparent ! Une aberration totale lorsqu’on sait que la première est une ville sinistrée où le chômage atteint un niveau stratosphérique et que la seconde peine à trouver des candidats pour les milliers d’emplois en jachère.

C’est dire l’enjeu des transports pour la réalisation du Grand Paris. L’Etat et la Région l’ont bien compris. Après quelques tiraillements, un consensus a été trouvé. Le Grand Paris Express, un supermétro automatique va être lancé par la Société du Grand Paris (SGP), maître d’ouvrage. Si l’on y ajoute la ligne Arc Est, pilotée par la Région, ce ne seront pas moins de 200 km et 72 gares qui seront réalisés d’ici 2025 et deux millions de voyageurs attendus par jour. Ce qui en fait le plus grand projet de transport public lancé en Europe.

Les premiers coups de pioche de ce chantier débuteront dès cet été. La fin de la plupart des lignes est programmée pour 2025, certains tronçons au-delà. Au-delà de l’amélioration de la mobilité, le Grand Paris poursuit deux objectifs :

  • Un objectif urbain : il ne s’agit pas d’effacer la banlieue mais de vivifier et de faire émerger des identités qui existent déjà dans ces territoires ; de sortir de la vision d’une banlieue "mitée" que l’on aperçoit aujourd’hui ; de donner à cette banlieue ce qui existe un peu partout en France dans des villes de deux, trois, quatre cents mille ou un million d’habitants. A Marseille, Lyon, Bordeaux ou Nantes vous avez un grand stade, une gare TGV, des commerces de tradition, des universités, des lieux de culture… Vous avez, en un mot, ce qui fait la vie sociale et donc le lien social. Il ne s’agit pas de construire 12 grands stades en banlieue mais d’avoir, grâce à un réseau de transport extrêmement maillé, quelques équipements très structurants dans le cadre d’identités renforcées. Ainsi au Bourget, on a prévu un équipent culturel d’exception qui attirera certainement les franciliens mais aussi du monde des autres régions de France et d’Europe.
  • Un objectif économique : dans ce domaine, tout reste à faire même si les principaux maires, quelle que soit leur couleur politique, ont compris l’enjeu et sont décidés à se battre pour gagner la bataille économique, seule à même de revitaliser leurs communes. Deux cas illustrent cette prise de conscience. Le premier, Saint Denis est une pépinière époustouflante de créativité. Cela va du chant à la musique, au numérique, à la publicité… Il y a de ce fait un cluster naturel qui est en train de pousser au nez et à la barbe de tous. Personne ne s’y est intéressé jusque là. C’est la réflexion sur le Grand Paris qui a entraîné la maturation d’un certain nombre de projets dont celui de Saint Denis. Saint Denis et ses 120 ethnies différentes, cultures différentes, dont on parlait habituellement en termes d’handicaps est en passe, grâce à cette richesse multiple, de se structurer autour des métiers de la création. Aujourd’hui, Patrick Braouezec, le maire, et ses équipes sont mobilisés pour en faire un des trois premiers clusters mondiaux, avec Los Angeles et Montréal, dans ce domaine.

Autre cas : La Défense. La situation de la Défense est dramatique. C’est un quartier mort. C’est tout sauf un Manhattan qui vit nuit et jour. A la Défense, dès 18h, c’est morne plaine. Là encore, avec Patrick Ollier, on a essayé de tracer les voies d’une "renaissance" de ce lieu et d’anticiper son développement futur. Plus étonnant encore, Patrick Jarry, maire communiste de Nanterre, et Ollier, député-maire UMP, ont décidé de créer ensemble un groupe de travail sur les moyens de "revitaliser" la Défense.

Sur la totalité de l’Ile de France sept ou huit lieux de cette nature ont été identifiés. Qui sait par exemple qu’à Champs-sur-Marne, il y a une université avec 4000 scientifiques et ingénieurs qui sont de très grands spécialistes de l’écologie, de l’eau et du développement durable en général ? Personne. Pourtant, autour de cette université, il y a des milliers de toutes petites entreprises innovantes, articulées autour de ce centre scientifique. Le potentiel de développement est donc considérable dès lors que le développement des transports mettra Champs-sur-Marne à 20 minutes d’Orly ou de Roissy. C’est probablement là, que dans 15 ans, Bouygues, Veolia ou Suez vont se positionner afin d’être au plus près des lieux de recherche et des femmes et des hommes qui la font.

Qui doute du potentiel du plateau de Saclay, aujourd’hui, hélas, tellement inorganisé ? Personne non plus. Or, il suffit de quelques efforts de "rationalisation" pour que Saclay, qui abrite la fine fleur de la recherche scientifique française, devienne un des 5 premiers clusters scientifiques mondiaux et à égalité avec la Bavière en Europe.

On le voit, Paris, la région Capitale, a un énorme potentiel sur l’économie du 21ème siècle. La constitution d’identités économiques accompagnées d’identités culturelles et politiques aura un effet démultiplicateur considérable. La compétitivité aujourd’hui ne se joue plus sur les coûts de production mais sur les gammes des produits. Dans l’économie du 21ème siècle, la compétitivité dépendra non pas tant de la réduction des coûts que de la production de produits innovants. Un défi majeur que la France devra relever sous peine d’un déclin inévitable.

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