La trouvaille de l'ingénieur Pitot

091005-Pitot.jpgDans un rapport d'enquête récemment révélé par le JDD, deux pilotes expérimentés mettent à l'index les fameuses sondes Pitot lors du crash du vol AF447 Rio-Paris en juin dernier et pointent une cascade de responsabilités. Tenons nous en aux sondes Pitot et faisons un petit détour historique.  

En l'an de grâce mille sept cent trente deux, Henri Pitot, ingénieur en chef des Etats du Languedoc, surintendant du Canal du midi, fit une communication à l'Académie des sciences dont il était membre « associé mécanicien » sur la mesure du débit de la Seine grâce à son  invention de ce qui restera connu comme le tube de Pitot (amélioré en 1816 par Darcy puis par Prandtl au 20éme siècle), resté un outil incontournable de la mécanique des fluides. 

Près de trois siècles plus tard ce tube défraie la chronique car on le rend responsable (plutôt co-responsable) de la catastrophe de l'Airbus 330 de Air France. Que la sécurité d'une machine hyper-sophistiquée, vitrine des technologies les plus pointues et que la vie de plus de deux cents personnes dépendent  d'une invention mécanique du temps de Louis XV est pour le moins dérangeant et interpelle sur l'évolution des sciences et techniques. 

Une autre invention, dont la version moderne date aussi du début du 18eme siècle, le sextant, fut utilisée dans l'aéronautique au 20éme siècle. A la fin des années 50 les équipages des premiers avions commerciaux qui allaient d'Europe en Extrême Orient par le pôle vérifiaient leur position avec des sextants. La technologie a rapidement évolué et le bon vieux sextant a été remplacé par les centrales à inertie et les GPS. 

Pour la mesure de leur vitesse par rapport à l'air les aéronefs modernes dépendent toujours de la trouvaille de monsieur Pitot. Par souci de redondance ils disposent de plusieurs sondes  (3 paires dans le cas de l'A330) dont les mesures sont interprétées par des calculateurs. Les incidents (mesures incohérentes entre les différents tubes) sont relativement fréquents et les manuels techniques des constructeurs précisent les procédures à suivre par les équipages en cas de dysfonctionnement des pitots. Cela a été rappelé par la European Aviation Safety Agency (dont la DGAC est membre au titre de la France) qui, à la suite de la disparition du vol AF 447, a publié le 9 juin 2009 un Safety Information Bulletin (réf.: SIB 2009-17) où il est écrit : 

«... a discrepancy between the different measured airspeeds was reported. There have been a number of occurrences of unreliable airspeed indications or misleading air data information. The root cause of this may be due to, but is not limited to, inappropriate maintenance, contamination by small objects or materials on the ground or in the air, extreme environmental conditions producing icing outside the certification envelope of the probes or large amount of water ingestion....The Aircraft Flight Manuals and/or Flight Crew Operating Manuals include procedures for unreliable airspeed indication (Air data system misleading information) and these should be well known by flight crews. Correct application of these procedures by flight crews may be crucial for assuring the safety of the aircraft when such Pitot-static malfunctions occur... »  

Le bulletin se termine par les recommandations suivantes : 

« Operators should ensure that flight crews have proper knowledge and proficiency:

- To detect and to identify unreliable airspeed indication.

- To apply immediate and conservative actions for ensuring short term safe flight control, in accordance with the manufacturer procedures developed for the specific aircraft; the use of memory items should be considered.

- To apply procedures for the safe continuation of a flight with unreliable airspeed indication up to a safe landing.

« Le F-GZCP n'a malheureusement pas été jusqu'au "safe landing". 

Par la suite l'EASA émit le 31 août 2009 une Airworthiness Directive (AD 2009-0195) exigeant le remplacement des sondes Pitot de marque Thales par des sondes Goodrich. Cette A.D. fut confirmée le 3 septembre par la Federal Aviation Administration (réf.: 2009-NM-111-AD)  qui imposa pour les compagnies aériennes américaines le remplacement de 2 des 3 sondes Pitot Thales des A330 et A340.Il s'avérerait que les tubes Thales Avionics présenteraient un défaut de construction. Pour évacuer
l'eau et les cristaux de glace qui pourraient se déposer dans la sonde cette dernière comporte au fond du tube un minuscule orifice d'évacuation. Si ce trou est mal usiné, il peut y avoir fausse indication de vitesse.
 

A un engin conçu au 18éme siècle, on rajoute un problème d'alésage, technique pourtant parfaitement au point depuis le 19éme siècle 

Thales Avionics est l'ancien Sextant Avionics qui fut absorbé en 1989 par Thomson-CSF, spécialiste d'électronique et en particulier de radars, devenu par la suite Thales. Quoi qu'il en soit, la défaillance des pitots n'est certainement pas la seule cause de la catastrophe. Les grandes catastrophes industrielles sont généralement dues à la conjonction de plusieurs causes dont chacune, prise individuellement, a une probabilité infime. 

Comme pour AZF, saura-t-on vraiment un jour ce qui s'est passé ? On peut en douter car seuls les enregistreurs de vol pourraient donner la réponse et il est pratiquement certain qu'on ne les retrouvera jamais (sauf coup de chance extraordinaire, aussi improbable que la dislocation d'un avion en plein vol...). Peu après la tragédie, le B.E.A. et la Marine Nationale donnèrent au Salon du Bourget une conférence de presse (fort discrète). La documentation fournie était de qualité mais au vu des graphiques sur les capacités d'émission des enregistreurs, il était clair que les retrouver était mission quasi impossible. Depuis, une chape de plomb est tombée sur le dossier (une édition récente de Challenges qualifie les propos du d.g. du B.E.A de "langue de bois"). 

De son côté, Boeing passe son temps à retarder le premier vol de son 787 Dreamliner (que les mauvaises langues surnomment "l'avion en plastique") après avoir découvert que les ailes risquaient de se détacher en plein vol. Gênant. 

La course à la réduction sans fin des coûts d'exploitation (en particulier l'obsession de diminution du poids pour limiter la consommation de carburant), la course à la réduction des temps de conception (on parle maintenant de lancer directement des fabrications d'avions conçus entièrement sur ordinateurs sans passer par des prototypes. Folie.) jointes à des restructurations industrielles guidées uniquement par des impératifs financiers et des volontés de pouvoir ne peuvent qu'avoir des conséquences désastreuses. 

Quant au brave monsieur Pitot, dont le siècle est plus connu pour les commodes Louis XV que pour les équipements aéronautiques, malgré la fierté d'avoir inventé un instrument qui a traversé les siècles,  il doit regretter que ses fameux tubes ne portent pas les noms de Darcy ou Prandtl. 

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Pour compléter ce tableau historique, la législation en vigueur pour les sondes Pitot date de 1947.

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