La guerre des normes

Guerre-NormesL'Union Européenne (27 pays, 500 millions d'habitants) est le plus grand marché du monde. Le Président Obama le sait et veut créer « un partenariat transatlantique de commerce et d'investissement », c'est-à-dire une zone de libre échange.

Les problèmes à résoudre seront de deux ordres. Il y aura, c'est classique, un marchandage sur « qui va gagner quoi ». Pour commencer, l'Union aura du mal à définir sa position. La France, par exemple, cherchera à maintenir les principales dispositions de la Politique Agricole Commune tandis que la Grande Bretagne s'y opposera. Les États-Unis souffleront sur la braise. Cela durera longtemps et fera beaucoup de bruit.

Une autre négociation aura lieu en parallèle. Elle sera plus discrète mais ses conséquences à long terme seront très importantes. Il s'agira de définir le plus grand nombre possible de normes communes entre l'Union et les États-Unis. Là où il y aura succès, les chances seront grandes que les normes transatlantiques s'imposent au niveau mondial. Là où il y aura échec, les normes chinoises s'imposeront. L'enjeu est considérable non seulement sur le plan commercial mais aussi sur les plans moraux, sanitaires et culturels.

Une expérience personnelle me donne, à ce sujet, matière à remords. En 1964, j'étais l'adjoint de l'économiste Pierre Uri, alors Directeur des études de « L'Institut Atlantique ». C'était l'époque du « Kennedy Round » qui devait marquer une étape importante pour le développement des échanges entre l'Europe et les Etats-Unis. Parmi les points en litige, figurait « la guerre du poulet ». Les Américains avaient été les premiers à pratiquer l'élevage industriel. Ils se plaignaient des droits de douane tandis que les Européens tenaient à protéger leurs élevages.

Pierre et moi avons été reçus à Washington par Christian A. Herter qui, du côté américain, avait la haute main sur les négociations. Nous avons parlé prix, droits de douane, emploi, bref ! de tout sauf de la condition animale que le « factory farming » allait inexorablement dégrader. Ni Pierre ni moi n'avons pensé à évoquer les problèmes éthiques. Nous n'avions pas encore conscience qu'il était immoral de « chosifier » des êtres vivants, de les faire naître et vivre en camps de concentration. Si nous en avions eu conscience et si les dirigeants européens avaient pu être influencés, peut-être eut-il été possible de dire aux Américains : « ce n'est pas une question de douane. Nous refusons  purement et simplement d'importer des animaux élevés à la chaîne ». Évidemment, tel n'a pas été le cas. Évidemment, l'élevage industriel s'est répandu dans le monde entier. C'est seulement maintenant que la Commission Européenne commence à s'émouvoir.

Que de temps perdu ! Que de souffrances infligées à des milliards d'être vivants ! De plus, les humains, Frankensteins imprévoyants, subissons les effets d'une chaîne alimentaire contenant des antibiotiques devenus inopérants à force d'avoir été absorbés par des animaux maltraités.

Si le passé pouvait servir de leçon, les négociateurs feraient en sorte que, dans tous les domaines, l'Europe et les Etats-Unis se mettent d'accord sur des normes qui préservent l'avenir. Les Chinois, pour l'instant, sont productivistes à l'excès.

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Commentaires

Pour Jeremy Rifkin, nous sommes entrés dans "La Civilisation de l'empathie" pourtant l'Homme a perdu la "fraternisation naturelle entre l'humain et l'animal" au profit de l'"industrialisation du vivant". Selon lui, l'"un des grands clivages du XXIe siècle se fera entre d’une part la valeur intrinsèque que l'on accorde à la vie et aux êtres vivants et d’autre part la valeur utilitaire que l'on accorde à ces êtres vivants".

Qu'en pensent les semences ?

Une zone de libre-échange USA-UE ou comment plonger un problème difficile dans un problème indémerdable.
Nous avons bien du mal (c'est une litote) à trouver les bons réglages au sein de l'UE et nous allons essayer de nous mettre d'accord avec les USA !
Le risque est grand de remettre une nième fois en péril la (trop mince) cohésion européenne.
Qui peut croire que nous parvenions à un accord équilibré ?
Comme au sein de l'OTAN il fait peu de doute que les USA se comporteront en véritables "patrons" face à une UE, si peu solidaire.
Nous sommes à l'ère du multilatéralisme. Si nous devons négocier des accords, n'est-ce pas plutôt au sein du cycle de Doha où les jeux d'alliance peuvent ré-équilibrer les négociations ?

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