La Chine ou la soif d'énergie

La Chine est d'ores et déjà un acteur majeur de l'économie mondiale. Ses besoins énergétiques vont aller croissant. Il en est de même pour les pays occidentaux. Leurs chemins vont donc se croiser sur la route de l'or noir, en particulier au Moyen Orient, région symbole de l'instabilité politique.

La croissance économique, à des taux à deux chiffres ou presque (toute statistique chinoise est à considérer avec la plus grande prudence), d’un pays de plus d’un milliard d’habitants ne peut se faire qu’accompagnée par un développement non moins spectaculaire de la demande en énergie. J’emploie à dessein le terme de développement et non de croissance. En effet les années 90 ont connu une croissance extraordinaire du PNB chinois et, fait extraordinaire, des chiffres de demande énergétique qui furent en baisse à la fin de la décennie.

Cette baisse, en termes absolus, que l’on ne peut nier, cachait des phénomènes paradoxaux qui ne sont que la traduction de la coexistence de secteurs économiques séparés en fait par des siècles de développement économique.

D’un côté le 21ème siècle symbolisé par la centrale nucléaire de Daya Bay, les satellites, les plates-formes pétrolières offshore de Nanhai ou le rachat de la division ordinateurs d'IBM, de l’autre une industrie charbonnière souvent digne de l’iconographie du Far West .et qui connaît des accidents majeurs à répétition que l'on ne peut plus cacher, progrès de l'information aidant. Les autorités chinoises se sont enfin décidées à lutter contre cette image calamiteuse de la Chine.

N’oublions pas que le charbon a été l’énergie de la révolution chinoise et qu’il reste de très loin prépondérant dans l’économie énergétique de la RPC. La Chine a les plus grosses réserves mondiales de charbon et le recours à ce combustible se justifiait parfaitement.

Jusqu’à la fin du 2Oeme siècle la production charbonnière chinoise a été le fait, pour une énorme part, d’exploitations minuscules, à flanc de montagnes d’où l’on voyait sortir des wagonnets poussés par des hommes. Les logements individuels étaient (et sont toujours) chauffés grâce à des briquettes de charbon, servant aussi à la cuisine. Les autorités chinoises, dont le nouveau credo était le développement économique, se trouvèrent face à un gigantesque réservoir d’économies d’énergie potentielles. Naturellement dans un tel contexte les premiers efforts donnent les résultats les plus spectaculaires et c’est ce qui se produisit en Chine grâce à la rationalisation de la production du charbon, à la fermeture d’innombrables petites mines, au développement des GPL et du gaz etc., conduisant au paradoxe apparent cité précédemment.

Si l’on compare la Chine aux économies européennes, il reste pour l’Empire du milieu un très long chemin à parcourir avant d’atteindre les taux d’efficacité énergétique que nous connaissons. Ce long chemin trouvera sa traduction pendant encore plusieurs décennies par des statistiques énergétiques qui pourront paraître surprenantes en première analyse.

Si le charbon a joué un rôle fondamental en Chine et s’il continuera à tenir, dans le court terme, la première place dans le mix énergétique, il n’en reste pas moins vrai que tout modèle de développement économique est actuellement basé sur le recours aux hydrocarbures. Cela tient pour une grande part au développement des transports routiers dont la source d’énergie est soit l’essence soit le gazole. Qui plus est, le charbon chinois est, en général, de mauvaise qualité, à faible pouvoir calorifique et à forte teneur en soufre donc fortement polluant, ce qui obère considérablement son utilisation directe ou indirecte (transformation en hydrocarbures liquides, voie suivie en leur temps par l’Allemagne et l’Afrique du sud). En outre les gisements sont géographiquement dispersés, loin des centres de consommation et l’infrastructure ferroviaire est dramatiquement insuffisante.

La Chine se voit donc contrainte d’épauler son économie par un recours accru aux hydrocarbures considérés désormais comme un des nerfs du développement économique.

La politique pétrolière chinoise s’est d’abord caractérisée par son caractère autarcique et sa grande concentration géographique. Elle connut lors de son essor de grands succès (en particulier la mise en production de l’énorme gisement de Daqing en Mandchourie), puis des succès plus mitigés (en particulier exploration offshore) et des déceptions non avouées (échec de l’exploration au Tarim, du moins si l’on rapporte les résultats obtenus aux espoirs longtemps clamés comme de quasi certitudes géologiques).

Au début des années 90 est intervenu un fait économique alors peu relevé en Occident : la Chine est devenue importateur net de pétrole. Cette situation va aller en s’accélérant rapidement. En 2005 la Chine importera de l'ordre de 2,8 millions barils/jour (soit 140 millions de tonnes) correspondant à 43% de sa consommation. On estime que les importations chinoises de pétrole pourraient monter à plus de huit millions de b/j en 2015 (équivalent à la production actuelle de l’Arabie Saoudite).

La Chine a longtemps refusé d’admettre que le développement économique risquait de la faire dépendre de l’étranger. Elle a tout d’abord cru et fait croire que sa production intérieure suffirait à approvisionner le pays en pétrole. Il a bien fallu admettre que les réserves de Daqing baissaient de façon inexorable et que les découvertes de nouveaux gisements ne compensaient aucunement le déclin des champs existants. On soutint alors que le salut viendrait de l’Ouest, c’est à dire des réserves "fabuleuses" qu’on allait mettre en évidence au Xinjiang (bassin du Tarim). S’il y eut quelques découvertes, elles ne furent que de taille modeste. Il est intéressant de noter que cette « ruée » vers l’ouest coïncida avec l’ouverture aux compagnies occidentales. Les différents « rounds » d’offres furent des échecs, les compagnies occidentales s’étant déjà faites leur opinion sur le Tarim. Si du temps des Ming le Xinjiang faisait partie des territoires des barbares, aujourd’hui il rappèle à Pékin qu’une partie de la République Populaire de Chine est en Asie Centrale et dans la sphère d’influence du fondamentalisme musulman. Il est plus que probable que les autorités de Pékin sont satisfaites qu’une partie importante de leur approvisionnement énergétique ne vienne pas de cette région, considérée comme un glacis stratégique et non comme un hinterland ou un lebensraum. On parle désormais d’importer du gaz d’Extrême Orient russe…mais les derniers incidents entre la Russie et l'Ukraine ont certainement refroidi ces ardeurs.

D’où viendra donc le pétrole importé par la Chine ?

Pour l’instant les tonnages en cause sont relativement faibles à l'échelle du commerce international de pétrole mais ils croissent très vite et ont déjà contribué à déstabiliser le marché, où tout se joue à la marge. Pour des raisons évidentes de sécurité la Chine cherche à diversifier au maximum ses fournisseurs. Cette diversification a des limites : les réserves pétrolières (hydrocarbures liquides) de l’Indonésie, qui fut longtemps un fournisseur régulier de la Chine, sont en chute libre. L’Amérique latine est sous influence américaine et Pékin ne cherchera pas une confrontation directe avec Washington dans cette partie du monde. Quant à l’Afrique de l'Ouest, elle est instable et la Chine n’y a pas de véritable attache.

En ce qui concerne la logistique les importations chinoises se font par des navires de 100.000 tonnes maximum, ou par des 200.000 tonnes en charge partielle, qui conviennent pour des trajets « régionaux » mais sont loin de l’optimum économique sur de très longs trajets (la Chine a pris du retard dans la construction de terminaux capables de recevoir des Very Large Crude Carriers (VLCC) de 300.000 tonnes). Cette situation peut répondre à la situation présente mais ne peut répondre à un niveau d’importations de 8 millions b/j envisagé pour 2010/2020. Aucune province pétrolière de la zone Asie Pacifique ne peut satisfaire une telle demande. Il faudra donc importer du brut à partir d'autres zones pétrolifères.

Reste donc le Moyen Orient.

La politique de pénétration de Pékin au Moyen Orient est réelle et pragmatique mais discrète et quelque fois maladroite. On peut citer comme exemple l’arrivée des chinois sur la scène pétrolière iraquienne. Malgré l’embargo imposé par l’ONU, la Chine, après avoir été un des principaux fournisseurs d'armements de Saddam Hussein, fut (avec la Russie) le seul pays à signer un contrat pour la mise en développement d’un champ de pétrole déjà découvert mais non exploité (al-Ahdab). Pékin, redécouvrant brutalement (un certain nombre de capitales l'y aidèrent…) l’existence de l’embargo, n’entreprit aucun travail réel sur le champ de pétrole, ce qui lui valut les foudres de Bagdad. Actuellement Pékin fait plutôt "les yeux doux" à Téhéran tant par opportunisme pétrolier que par anti-américanisme mais cela ne l'empêche pas de cultiver des contacts discrets avec les nouvelles autorités de Bagdad et de leur faire de nouvelles offres de service.

De façon plus habile, les Chinois avaient mis le pied très sérieusement au Soudan, jeune nation pétrolière. Le Soudan n’est pas géographiquement au Moyen Orient mais en matière de géopolitique pétrolière, il relève de cette sphère d’intérêts. L'intervention chinoise fut discrète mais fort efficace, jouant de façon très maoïste avec la situation de guerre civile de ce pays. Très récemment, mettant de côté toute idéologie et par pur pragmatisme la société chinoise CNPC (China National Petroleum Corporation), vient de s'allier au frère ennemi indien ONGC (Oil and Natural Gas Corp.) pour racheter ensemble le plus grand producteur syrien de pétrole. Dans le même temps la Chine multiplie les contacts avec l'OPEC qui lui fournit déjà plus de 40 % de son pétrole tout en essayant de racheter des sociétés américaines, déclenchant des réactions de nationalisme économique.

Pour importer du pétrole du Moyen Orient il faut sécuriser les sources d’approvisionnement et les voies de communication. Les détroits indonésiens, bien connus pour leurs pirates, deviendront vitaux pour Pékin, ce qui ne simplifiera certainement pas les relations entre la Chine et l’Indonésie. Il faut aussi disposer de la logistique nécessaire : flotte pétrolière et terminaux d’importation. Force est de constater qu’actuellement les Chinois sont très en retard pour se doter d’une logistique pétrolière moderne. Le premier projet de construction d’un terminal capable de recevoir des super-pétroliers (VLCC) avait été transformé en projet d’importation de minerai de fer !

Les Chinois peuvent donner aujourd’hui l’impression qu’ils hésitent (ou rechignent) à se doter d’une véritable industrie pétrolière puissante et moderne. La récente réorganisation de l’industrie a laissé perplexes les observateurs mais force est de constater que les nouvelles entités crées ou réorganisées sont bien parties à la conquête du Monde.

Pékin considère vraisemblablement que sa dépendance en matière de pétrole ne sera que dans la partie basse de la fourchette des estimations, suite à des succès espérés en matière d'exploration de gaz naturel (gros espoirs sur la région de l’Ordos, dans la boucle du Fleuve Jaune), à une relance du nucléaire civil dont on parle de plus en plus et qui donne déjà lieu à une compétition franco américaine et, fait nouveau, à une politique de développement des énergies renouvelables (éolien en particulier) et d'économies d'énergie.

Une telle politique aurait des chances de réussite si les autorités chinoises arrivaient à limiter le développement de l’automobile individuelle et des transports routiers au bénéfice des transports collectifs et ferroviaires. L’économie chinoise ne semble pas aller particulièrement dans cette direction plus collectiviste et qui relèverait plutôt des heures de gloire du maoïsme.

Seule la protection de l’environnement peut donner des arguments réalistes pour contrer le développement des transports routiers mais seront-ils utilisés ? Jusqu’à ce jour la lutte pour la préservation de l’environnement concerne surtout la qualité de l’air, devenue exécrable dans les grandes villes (l’approche des Jeux Olympiques n'est pas étrangère à cette prise de conscience). Il s’agit alors de restaurer un cadre de vie, non d’instaurer un mode de vie "sans voitures" manifestement non désiré par une population qui, tout au moins pour ses conditions d'existence matérielle, fait son credo de l’individualisme calqué sur l'Occident.

Paradoxes, contradictions. Le chemin n’est jamais simple en Chine pour un esprit occidental. Pour la Chine le temps ne compte pas alors que nous sommes les inventeurs du concept d'"actualisation économique" qui ramène le futur au contexte du jour présent. Il y a les gratte-ciel du Pudong mais la Chine reste éternelle de Confucius à Mao Zedong. A cet égard la lecture du livre de Jean Leclerc du Sablon, qui passa trente ans en Chine et y fut correspondant du Figaro, "L'empire de la poudre aux yeux", est fort instructive et bouscule pas mal d'idées actuellement à la mode.

Quoi qu'il en soit force est de constater que les intérêts énergétiques de l'Empire du Milieu et ceux de l'Occident se croiseront de plus en plus dans une région du Monde, le Moyen Orient, devenue un symbole de l'instabilité politique. La concurrence pour l'accès au pétrole est porteuse de tous les dangers. Cette course à l'énergie aura des conséquences autrement plus graves que celles des importations de textiles ou de jouets chinois.

Le gros avantage de la République Populaire de Chine par rapport à nos démocraties occidentales est qu'elle peut jouer simultanément sur deux registres : le marxiste et le capitaliste. Ce n'est que la mise en application de la fameuse maxime de Deng Xiaoping : "peut importe la couleur du chat pourvu qu'il attrape les souris".

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Commentaires

Vous touchez dans ce long billet à plusieurs des miens et de mes interventions sur ce site.

Sur l'aspect du besoin durable en pétrole bien au-delà des hausses et baisses conjoncturelles, j'avais rédigé un billet concernant le pétrole intitulé " Et si le prix du pétrole était durablement orienté à la hausse ?"

Sur l'aspect du manque d'énergie électrique, j'avais rédigé un billet concernant la recherche en géothermie et son intérêt économique en terme de source alternative, intitulé "Géothermie, une énergie d'avenir…"

Enfin sur l'aspect du caractère "unique" que présente la Chine d'aujourd'hui dans le concert des nations libérales et démocratiques, le texte : " Par ailleurs, la Chine qui possède aujourd'hui la formule idéale d'un nouveau capitalisme que même Marx n'aurait pas osé imaginer, sait allier la capacité à avoir un prix du travail particulièrement faible durablement, avec la capacité à maîtriser toutes velléités d'augmentation de salaire des employés (au nom de Saint Communisme et de la Nation chinoise ) et cela avec, évidemment, tout le savoir-faire "capitaliste" acquis par ses élites dans les Universités américaines et les entreprises occidentales ! …"

Je vois que nous partageons des analyses voisines avec l'avantage que la votre est très bien documentée !

Je suis donc en ligne avec votre perception des choses. Pour l'heure, je pense et je persiste à croire qu'une recherche française d'excellence dans l'exploitation à fin de production électrique à usage local ou régional de la chaleur naturelle disponibles, plus ou moins facilement certes, dans le sous-sol serait à financer et pourrait être une source de "différenciation commerciale au plan mondial " pour les entreprises qui , en France, auraient envie de jouer leur rôle d'entreprise et d'investir sur ce secteur. Le marché est mondial et le savoir-faire est à inventer en France. Il n'y a qu'à …. aller au delà du lobby du pétrole évidemment. :

Non ?

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