L’opposition à sa Majesté Merkel

Cher Helmut,

La presse financière anglo-saxonne (FT et The Economist) a été négative sur la campagne électorale française comme sur le candidat finalement élu, François Hollande. Ce n’est pas complètement nouveau. On se souvient de la « Une » de The Economist montrant le déjeuner sur l’herbe de Manet, avec Hollande et Sarkozy mollement étendus aux côtés de jeunes femmes dévêtues.

C’était, comme souvent avec The Economist, très intelligent, très amusant, et assez faux (je pense à leur « Une » aux débuts de la crise saluant un petit coup d’arrêt salutaire au crédit trop facile).

La France va-t-elle dans le mur en chantonnant ?

Je note d’abord qu’il est trop tôt pour conclure sur le plan politique (même si il est TOUJOURS trop tôt pour conclure…). La droite a annoncé un « troisième tour » avec les législatives de juin, et on ne peut entièrement écarter l’idée d’une cohabitation, c’est-à-dire d’une droite majoritaire à l’Assemblée nationale. Je n’y crois pas du tout : ce n’est pas l’intérêt du Front National, qu’on a présenté comme un faiseur de roi à l’occasion de la présidentielle, mais qui le sera bien plus encore aux législatives. Mais au jour où j’écris les sondages sont ambigus quant au désir profond des Français : souhait, ou refus de la cohabitation ?

En supposant le troisième tour gagné par la gauche, la question suivante est celle d’un quatrième tour sur les marchés. Il a été lourdement évoqué par la droite pendant la campagne : la gauche avait mis deux ans à être rattrapée par les marchés en 1981, elle va l’être en deux jours en 2012. Les marchés vont jouer contre la dette française, l’Europe n’a pas les moyens de soutenir un membre aussi gros, l’Euro va s’effondrer, l’Allemagne va s’envoler avec l’Europe du Nord et la France rejoindre l’Europe du Sud. Je n’y crois pas du tout non plus. Pour trois raisons.

- Pour l’instant, la « crise hollandaise » n’a pas été la crise de François Hollande, mais … la crise politique des Pays-Bas : un pays de droite, du Nord, triple A. Elle est un rappel salutaire que les marchés peuvent saigner n’importe quel membre du troupeau européen.

- Les marchés ont des boucs émissaires beaucoup plus faciles que la France : ils préfèrent quand même s’attaquer aux animaux les plus malades.

- Et surtout l’état d’esprit en France aujourd’hui n’a rien à voir avec un pique nique à la campagne ! Rarement les anticipations après une élection ont été aussi basses. La principale promesse implicite dans le programme de Hollande était de faire partir Sarkozy, et il a déjà « délivré », comme disent les anglo-saxons. Pour le reste, il a surtout dit qu’il serait « juste ». Et donc  Hollande au lendemain de son élection a les mains finalement assez libres, et une prudence de caractère que même ses ennemis lui reconnaissent.

Cela ne veut pas dire que rien ne peut arriver. Le scénario catastrophe que j’imagine est celui d’une tension franco-allemande, mise en scène par les marchés (je ne fais pas preuve d’une grande imagination : c’est ce qui s’était passé en 1870, 1914 et 1939 !). Mais ce risque est extrêmement faible. L’opinion française, après 5 ans de crise, et la prise de pouvoir par l’Allemagne en Europe, reste miraculeusement peu touchée par l’anti-germanisme. Et François Hollande a tous les arguments pour expliquer à Angela Merkel qu’elle a besoin d’une « opposition de sa majesté » pour reconstruire un consensus politique en Europe, et qu’il est la meilleure opposition dont elle puisse rêver.

Tout ce que j’écris là est très court terme et très financier, comme malheureusement la plupart des analyses actuellement. Sur la question prospective, « où va la France ?», ma réponse en trois mots serait « vers le meilleur ». Toute collectivité (et donc toute collectivité nationale) est d’abord forte de sa capacité à bâtir des consensus. La France est à mon sens mauvaise dans ce domaine : moins bonne en tout cas que l’Allemagne, le Japon, le Royaume Uni, ou les Etats-Unis d’avant ces toutes dernières années. Elle vient de se choisir un candidat qui semble plus valoriser le consensus que son prédécesseur. S’il garde ces bonnes dispositions, au niveau national et au niveau européen, il me semble que la France ira dans la bonne direction.

Jérôme Cazes
Consultant, Enseignant à HEC

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Commentaires

Le scénario catastrophe que j’imagine est celui d’une tension franco-allemande, mise en scène par les marchés (je ne fais pas preuve d’une grande imagination : c’est ce qui s’était passé en 1870, 1914 et 1939 !).

Argument intéressant, surtout quand on compare la stratégie politique de MLP et celle qui a mené Hitler au pouvoir...
Auriez-vous des références d'ouvrages analysant les tensions économiques France-Allemagne à la veille des trois dernières guerres ?

Merci de votre commentaire, je n'ai pas d'ouvrages à citer, et je ne saisis pas ce qu'est MLP ? Mon point était très modeste : les choses les plus importantes en France sont généralement venues d'Allemagne, et donc nous concentrer sur notre relation avec ce pays n'a rien d'original !

@Cazes

Sur l'ensemble, je suis d'accord. Je nuancerai cependant en précisant que beaucoup de choses importantes dans la construction de la France nous sont venues d'Italie (en particulier sur le plan culturel) ou de Grande-Bretagne (surtout au temps des révolutions industrielles).

Je n'avais jamais entendu d'analyse expliquant les guerres des 1870 et de 1914 par des tensions économiques Franco-Allemandes.
Pour la guerre de 39, cela paraît plus évident.

C'est ce qui m'inquiète dans le cas de Marine Le Pen : les axes de son idéologie politique sont le nationalisme (préférence nationale, fermeture des frontières humaines, restauration de l'autorité de l'état national...) qui sert in fine à financer le second axe de son idéologie politique , à savoir une certaine forme de socialisme (augmentation des minimaux sociaux, restauration des services publiques...).
Cette idéologie politique n'est pas sans rappeler celle d'Hitler.

La mise en perspective économique de la situation en 1933 avec la situation actuelle n'est-elle pas annonciatrice d'une catastrophe politique en Europe ?
Certains parlent du "Diktat" de Merkel comme les Allemands parlaient du "Diktat" de Versailles.

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