L’Etat-providence : une parenthèse de l’Histoire ?

Alors que les effets de la crise, loin d’être derrière nous,  se prolongent (comme nous l’avions laissé prévoir ici même depuis trois ans), nous sommes assaillis de statistiques sur la montée du nombre de chômeurs, de travailleurs et retraités pauvres, de précaires qui, s’ajoutant aux bataillons croissants des sans-abris et autres « exclus », des deux côtés de l’Atlantique, et – nouveauté – même au Japon, donnent l’irrépressible sentiment, mais aussi le spectacle visible, d’une pauvreté de masse dans les économies réputées développées.

Cela ne vous rappelle rien ?

Au mieux, si l’on ose dire, cela paraît rappeler les caractéristiques habituellement réservées aux pays dits sous-développés ou en voie développement. Au pire, un « remake » des années-30, là encore des deux côtés de l’Atlantique, avec ses cohortes de chômeurs et de pauvres, ses soupes populaires (devenues « Restaurants du cœur » en France contemporaine) et ses « raisins de la colère » – et les suites tragiques que chacun garde en tête…

Et si l’on reparlait de tendance à la « tiers-mondisation », mais pour le monde occidental industrialisé cette fois ? L’histoire à rebours en quelque sorte …

Oui mais, dira-t-on, le contexte est bien différent, compte tenu de la protection sociale dont bénéficient ceux qui en ont le plus besoin, sous tant de formes inconnues des années-30 et des pays pauvres, indemnités de chômage, assurance maladie, aide au logement etc. Voire. Car dans le même temps, n’assiste-t-on pas aussi, sous le poids de l’endettement et des déficits public désormais jugés insupportables, à des plans de rigueur, d’austérité et autres plans d’ajustement, certes à doses et  rythmes très  divers selon les pays inégalement endettés, mais qui se font sentir dans presque toutes les nations occidentales, du Portugal à l’Irlande, de la Grèce au Royaume Uni en passant par l’Italie et la France, et en débat, en perspective, jusqu’aux Etats-Unis où plus de 40 millions de personnes vivent en-dessous du seuil de pauvreté, avec partout les même signes : des aides sociales plus faibles et plus rares, voire supprimées, de la dégressivité des indemnités de chômage au déremboursement des médicaments et à la fin de la gratuité de nombreuses prestations.

Ainsi ce que l’on avait coutume d’appeler, pour caractériser les années d’après-guerre, dans la dynamique d’un progrès économique et social rapide et, espérait-on, désormais permanent, les Trente Glorieuses et l’Etat-providence, qui étaient en fait ancrés dans un contexte historique bien particulier et très favorable à l’enrichissement des classes moyennes et populaires – reconstruction, plan Marshall, paix entre grands pays sous le « parapluie » nucléaire et rivalité est/ouest c.-à-d. communisme versus capitalisme poussant ce dernier à un partage des « fruits de la croissance » dans les économies occidentales – tout cela pourrait bien, dans le contexte d’une globalisation des échanges qui met en concurrence tous les pays, toutes les entreprises, tous les travailleurs, et qui se conjugue socialement avec un individualisme grandissant, n’apparaître, rétrospectivement, que comme une parenthèse de l’histoire moderne, une exception…

Jusqu’à, peut-être, un nouveau grand « mouvement de balancier », choisi ou subi, qui pour les uns, prendrait la forme d’un vrai fédéralisme européen et d’une vraie gouvernance mondiale, pour les autres, au contraire, celle d’une « démondialisation » assortie d’un recentrage par régionalisation plus poussée – Europe, Asie etc – et du retour à une certaine forme de protectionnisme … En espérant que, politiquement, les populations appauvries et déclassées des pays riches, face à l’impuissance ressentie des dirigeants démocratiquement élus, à la désocialisation et la démutualisation engendrées par la fin de l’Etat-providence et donc du « vivre ensemble »,  ne confieront pas leur sort  – comme dans les années-30…  – à des « hommes providentiels » et à des régimes autoritaires, car les mêmes causes produisent en général les mêmes effets, l’Histoire, si elle ne se répète pas, peut « bégayer », et la mémoire des hommes est hélas souvent … oublieuse.

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