L’Asie d’aujourd’hui est-elle l’Europe d’avant 1914 ?

Ce parallèle me hante, comme je pense beaucoup. L’Europe du début du 20ème siècle, divisée en Etats concurrents, s’est lancée contre toute logique en 1914 dans un abominable suicide militaire de 30 ans. Est-ce que l’Asie, divisée elle aussi en Etats concurrents et qui accumule des armes bien plus dangereuses qu’il y a un siècle, ne va pas connaître le même aveuglement ?

Je signale sur cette question le dernier livre de Zbigniew Brzezinski, l’ancien conseiller diplomatique du président Carter (Strategic Wisdom, America and the Crisis of Global Power), dont Bernard Cazes rend compte dans le dernier numéro de la revue Futuribles.

Parmi d’autres thèmes, Brzezinski discute notamment ce parallèle, et signale en effet de nombreux points communs entre les deux situations. Le premier est que huit des abcès de fixation les plus dangereux de la planète concernent des pays d’Asie. Il cite :

  • les zones d’influence rivales de la Russie et de la Chine,
  • le Cachemire,
  • l’Etat indien d’Arunachal Pradesh entre l’Inde et la Chine,
  • les îles Paracel et Spratley,
  • Taiwan,
  • les îles Senkaku /Diaoyu, aujourd’hui sous les feux de l’actualité,
  • la péninsule coréenne,
  • et le détroit de Malacca.

Mais Brzezinski indique au moins trois éléments nettement plus rassurants :

  • contrairement à 1914, il existe aujourd’hui deux puissances militaires extérieures à la zone et qui pourraient jouer un rôle modérateur,
  • les valeurs marchandes omniprésentes en Asie sont propices aux compromis,
  • la préoccupation de « l’espace vital » n’est plus du tout ce qu’elle était : l’attention aujourd’hui est plutôt sur la préservation de la qualité des territoires existants.

Paradoxalement, le pays qui le préoccupe le plus est l’Inde (il a peut-être raison, mais j’ai souvent remarqué que les stratèges comme lui préfèrent les régimes forts et centralisés, qui facilitent leurs analyses. Ce n’est pas vraiment le cas de l’Inde…).

Je remarque enfin un signe qui va dans le sens d’une alerte récente sur les Etats-Unis et qui remarquait qu’ils  regardent de plus en plus vers le Mexique et vers leur Sud : Zbigniew Brzezinski est affecté de ce tropisme, et s’inquiète beaucoup du Mexique. Il s’attend à une montée des tensions entre Washington et ce pays, dont il pense que tôt ou tard il redemandera les territoires récupérés par les Etats-Unis dans les années 1840 : leur Alsace californienne et texane, pour revenir au parallèle de 1914 !

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