L’Algérie est mûre pour l’après Bouteflika

BouteflikaOn dit des Algériens qu’ils ont le cuir bien tanné. Mais la candidature d’un Bouteflika fantôme – affaibli par un accident vasculaire cérébral (AVC), il ne s’est pas adressé au peuple algérien depuis des mois – pour un 4ème mandat ne passe pas. Tout porte à croire que, même élu le 17 avril prochain, Bouteflika sera un président mal élu et en sursis. Plusieurs signaux plaident dans ce sens.

D’abord, on assiste au "réveil" des gens ordinaires comme dirait Alain de Vulpian. Partout des gens manifestent pour dire Barakat (ça suffit !). C’est la première fois depuis bien longtemps que les manifestants ne sont là ni pour des revendications catégorielles, ni derrière des partis mais clament leur désir d’un "dessein national" à redéfinir.

Ensuite, ce sont les mises en garde publiques de deux hommes respectés, Liamine Zeroual, ancien président de la République dans les années les plus noires (1994-1999) et qui a fait voter une constitution limitant les mandats présidentiels (5 ans) à deux, et Mouloud Hamrouche, ancien premier ministre réformateur (1989-1991).

Le premier est sorti d’une réserve dont il ne s’est même pas départi lorsque Bouteflika a amendé la Constitution pour pouvoir briguer le 3ème puis, aujourd’hui le 4ème mandat. Dans une lettre ouverte il écrit : « (…) Le prochain mandat présidentiel est le mandat de l’ultime chance à saisir pour engager l’Algérie sur la voie de la transition véritable. Tous les indicateurs objectifs militent pour entamer, sous le sceau de l’urgence, dans la sérénité et de manière pacifique, les grands travaux de cette œuvre nationale salutaire à la réalisation de laquelle tous les algériens doivent être associés. En effet, il faut se garder de croire que la grandeur du dessein national peut relever de la seule volonté d’un homme serait-il providentiel ou de l’unique force d’un parti politique serait-il majoritaire. (…) Ce mandat-transition constituera la première étape sérieuse d’un saut qualitatif vers un renouveau algérien, plus conforme aux aspirations légitimes des générations postindépendance et en harmonie avec les grandes mutations que connait le monde. Il est temps d’offrir à l’Algérie la république qu’elle est en droit d’exiger de son peuple et de son élite éclairée ».

Le second ajoute : « cette échéance comporte un risque et une opportunité. L’opportunité de voir, après la présidentielle, l’Algérie s’engager sur la voie de la construction d’une vraie démocratie et d’un véritable Etat de droit ; le risque est de voir l’embrasement des conflits du sommet. (…) Le pays a besoin d’un nouveau consensus national, de rénover notre système politique, de s’ouvrir sur la société, de garantir les droits des citoyens. (…) Il y a une forte demande de la société, mais ce n’est pas encore une volonté du pouvoir. (…) Elle est portée par des femmes et des hommes des mouvements et partis conscients, lucides et inquiets des menaces qui guettent le pays. Ces menaces viennent du risque de l’effondrement du système. Un système qui a atteint ses limites, qui ne peut plus se renouveler, ne peut plus gouverner dans la cohérence et la cohésion. Car il n’est plus porteur du projet national.

Les peuples et les élites intelligentes transforment les crises en opportunités. Est-ce que nous avons suffisamment de sagesse dans les rouages du pouvoir ».

Enfin, les partis d’opposition - signe de maturité ? – semblent en recherche de consensus pour "déverrouiller" le système. Les frères ennemis d’hier, notamment islamistes du MSP ou Ennahda et partis laïcs RCD et MJD,  se placent déjà dans l’après 17 avril et préparent une conférence politique sur une transition démocratique en Algérie.

 

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Commentaires

L'Algérie vit encore dans le mythe de l'indépendance arrachée et menacée.
Cinquante deux ans passés n'ont pas encore suffi pour que le discours "la France est responsable de nos malheurs" ne fasse plus recette.

Le vrai pouvoir, en réalité dictatorial malgré des parodies de démocratie, se situe entre le président, le chef du parti FLN et le chef des armées. Equilibre incertain, mais ces trois instances sont d'accord sur un point: ça doit continuer à se passer entre nous trois...
En dessous, une nomenklatura capte toutes les richesses.

Les Algériens n'ont jamais connu la démocratie, ni sous les Ottomans (jusqu'en 1930), ni sous la colonisation française (jusqu'en 1962), ni depuis l'indépendance.
Ils ont tellement souffert de ces trois régimes qu'ils ont appris à se tenir durablement obéissants et acceptent d'être asservis.
Malheur au contestataire ! "Si tu veux être emprisonné, torturé, et mourir, élève toi contre ce système !"
Voilà l'état d'esprit en Algérie.

Un printemps Algérien ? Il faudrait que les jeunes Algériens n'aient plus la peur au ventre....

Merci pour cet article intéressant :)

chère Meriem

je ne doute pas que beaucoup d'algériens veuillent le changement, comme beaucoup de membres de l'élite algérienne.
Mais il y a la peur. Car les tenants du système en place ont tellement à perdre qu'ils ne reculent devant aucun moyen.
Boudiaf voulait changer le système, il a été assassiné.
Bouteflika a sans doute voulu au début de sa présidence changer le système. Il a compris le risque et ne bouge plus.

Un printemps algérien ? je l'appelle ardemment. Je suis un peu algérien, Meriem, toute mon enfance est là bas...

A quand un "printemps" algérien ?
Une chose m'étonne pourtant.
Ses adversaires politiques considèrent que c'est une "provocation". Bien.
Mais, pour autant je ne sache pas qu'ils aient engagé le combat, ameuté les foules, etc. pour que cette candidature soit repoussée.
Ils n'avaient d'ailleurs pas plus combattu, il me semble, lorsque ce même Bouteflika avait fait amender la constitution pour pouvoir briguer un 3ème puis un 4ème mandat (alors que seuls 2 mandats étaient autorisés).
Alors pourquoi un silence aussi assourdissant ?
Manque de courage ? Intérêt dans le maintien du statut quo ? Pression de puissances étrangères ?

@ Bernard : Les Algériens, cher Bernard, considèrent avoir fait leur "printemps" en 1988. Un "printemps" qui a tourné au cauchemar de la guerre civile des années 90 qui ont fait entre 150 000 et 200 000 morts !
Aujourd'hui, personne, y compris les opposants les plus virulents à Bouteflika et au "système" en général, n'appelle au soulèvement. Mais une prise de conscience se fait jour et le camp de ceux qui souhaitent une évolution pacifique et ordonnée s'élargit.

@ Philippe : " L’Algérie vit encore dans le mythe de l’indépendance arrachée et menacée.
Cinquante deux ans passés n’ont pas encore suffi pour que le discours « la France est responsable de nos malheurs » ne fasse plus recette. "

Cette assertion, cher ami, est vraie et fausse à la fois. Si les gens au pouvoir en usent et en abusent, le peuple lui - n'oublions pas que près de 70 % des Algériens ont moins de 30 ans - n'est pas dupe. Ce peuple crie "Barakat !" (ça suffit). Tourné vers l'avenir, il leur reproche la gabegie des dernières décennies, la main mise sur tous les leviers du pouvoir et leur incapacité à assurer un vrai décollage économique au pays.

Et comme je le disais dans le post, pour une fois, des Algériens d'horizons divers, manifestent, non pour des revendications catégorielles, mais pour exiger la redéfinition d'un vrai pacte national. Affaire à suivre donc ...

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