Il reste d'importantes réserves de profitabilité…

070216-Profitabilit%E9.jpgEn France, depuis la seconde guerre mondiale, l'effort des entreprises a tout d'abord été axé sur la rationalisation des activités et sur la professionnalisation des employés. C'était l'époque où l'accent a été mis sur la manière de travailler et sur la manière de faire monter en compétences tous les acteurs. Des associations loi 1901, comme la Cégos, par exemple, on participé à cet effort national.

C'était l'époque triomphante des directions de l'organisation toutes puissantes.

Puis l'accent a été mis, sur l'apport de l'informatisation de ces nouvelles organisations optimisées en particulier pour toutes les tâches répétitives demandant un personnel affecté nombreux. Cela a nécessité de forts investissements en capital pour développer les grands systèmes informatiques comprenant une partie dure (le hardware ou matériel) et une partie molle (le software ou logiciel). Le R.O. I. ou taux de rentabilité interne de ces investissements était assez peu souvent calculé dans les faits étant donné l'évidence de l'économie de frais généraux que ces investissements apportaient.

Ce fut aussi l'époque du début de ce que les statisticiens appellent le chômage touchant des employés organisationellement optimisés mais structurellement trop nombreux. La vérité oblige à dire que l'efficacité en terme de dégraissage pour cette époque n'a pas été aussi grande que prévu car bien souvent les postes analysés comme étant à supprimer ne l'ont pas été en réalité, du fait de convenances particulières et de résistances syndicales voire politiques. Les entreprises, encore en période de croissance structurelle assez forte, pouvaient alors dégager des marges d'exploitation suffisamment confortables pour supporter cette "surcharge pondérale" dont l'automatisation leur auraient normalement permis de s'affranchir. Ceci est, par exemple, précisément le cas des administrations centrales de l'Etat dans lesquelles les investissements de rationalisation et de productivité réalisés depuis de nombreuses années n'ont pas encore permis une diminution observée du nombre réel des fonctionnaires.

C'était l'époque triomphante des directions de l'informatique toutes puissantes.

Depuis cette époque, l'accent a été mis, en particulier par l'ascension du pouvoir des bourses de valeur, sur la capacité des entreprises, en période de croissance molle et donc de faible évolution positive et naturelle de leur valorisation, à augmenter leur bénéfice net par unité de chiffre d'affaires réalisé. On constatait pour la première fois, en l'absence de période de crise économique avérée, la recherche de gisements de productivité dans les très grandes entreprises en impulsant des "cures d'amaigrissement" rendues possibles par les investissements de rationalisation effectués les années précédentes. Le deuxième levier de la montée du chômage s'est donc enclenché sur fond de saturation des marchés domestiques. La limite trouvée à cet exercice dans un pays à tradition sociale forte a été l'importance de la réglementation du droit du travail et des licenciements car le coût direct de ceux-ci étaient bien trop élevé par rapport à l'augmentation attendue de la profitabilité.

C'était l'époque triomphante des directions financières toutes puissantes.

Enfin, la mondialisation, non pas seulement des flux ou échanges marchands mais bien des "fonctions internes" des entreprises ainsi que le développement de la pratique des externalisations de certaines d'entre elles, a introduit la nécessité, pour continuer à faire progresser la profitabilité des entreprises cotées, de s'attaquer au socle de leurs fournisseurs traditionnels : les fournisseurs de biens et services et les salariés.

C'est l'époque triomphante, actuelle, des directions des achats toutes puissantes.

Leur action consiste maintenant à considérer que la part de valeur ajoutée qui est encore accordée aux ressources et aux produits ou services acquis définitivement ou momentanément par les entreprises doit diminuer pour se transformer en bénéfice net ou "bottom line". Pour atteindre cet objectif, le levier puissant d'une mise en concurrence nouvelle et agressive de tous les fournisseurs et sous-traitants des grandes entreprises a été actionné :

•définition d'un nouveau rapport de force affiché entre la grande entreprise donneuse d'ordre et ses sous-traitants habituels,
diminution drastique du nombre des fournisseurs petits et moyens, parfois dans un rapport de un à cent,
standardisation et banalisation des achats cherchant à éliminer toute originalité des offres naturelles des fournisseurs au profit d'un gabarit commun obligatoire plus propice à faire jouer une concurrence dure uniquement basée sur les coûts,
•protocoles de consultation par appel d'offres, des seuls fournisseurs agréés par les acheteurs, rédigés à la manière de la grande distribution,
•volonté de pratiquer à large échelle la technique dite des "enchères inversées " dont l'usage était historiquement limité, en France, à la seule vente des produits maraîchers de base dans le monde agricole…

On ne peut que remarquer, à cette occasion, que le tissu historique des P.M.E. françaises, jadis si abondant et varié, a commencé à se flétrir par diminution mécanique du nombre des acteurs. Quant aux acteurs restants, la diminution drastique de leurs marges disponibles qui est la conséquence obligée de ces nouvelles pratiques d'achat, ne peut les conduire qu'à un appauvrissement de leurs offres, à terme, par disparition lente mais inexorable de leur capacité à affecter une part significative de ces marges au budget de Recherche-Développement.

Au-delà de toutes ces actions déjà engagées dans les faits, il reste encore d'importantes réserves de profitabilité pour les entreprises qui sont liées aux statuts et contrats des personnels. Comme cette contrainte ne peut être levée que par une décision politique acceptée sans tumulte par les populations, en attendant, les entreprises se tournent vers" l'achat de salariés" à l'extérieur des territoires des pays historiquement développés sous forme de délocalisation dans des zones à très bas salaires. Même si le "coût complet" d'utilisation de telles externalisations reste parfois élevé, leur "coût direct" est si bas qu'il constitue un excellent moyen pour un acheteur de négocier non plus un contrat de travail avec une personne mais un achat de prestation de service avec un fournisseur, ce qui entre non plus dans la sphère de responsabilités des directions de ressources humaines mais dans celle des directions des achats. De plus en plus, le nombre des entreprises constituées d'une seule personne (EURL) qui vend ainsi son travail à une direction des achats dans un cadre contractuel qui relève du Code de Commerce et non plus du Code du Travail, augmente régulièrement. Ce phénomène donne souvent l'illusion statistique que l'économie crée beaucoup d'entreprises nouvelles alors que la réalité, les spécialistes de l'aide et du financement des entreprises nouvelles (Anvar, Venture Capital, etc.) se désespèrent toujours de trouver "de vrais dossiers d'entreprises nouvelles" à financer et ne savent que faire de sérieux avec les fonds qui leurs sont confiés, par exemple au titre des FCPI de défiscalisation.

Malgré ce panorama de situation, il est dans l'ordre des choses et du progrès des pratiques de l'économie moderne que, dès que ces contraintes réglementaires auront été levées ou fortement assouplies, on assiste à un nouvel essor de la profitabilité des grandes entreprises.

Les investissements passés et les nouvelles pratiques de productivité n'ont pas encore donné tout leur jus.

On peut parier que les bourses d'actions ne manqueront pas de saluer d'un coup de chapeau exceptionnel ces nouvelles opportunités.

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Commentaires

Henri-Paul Soulodre brosse un intéressant panorama des évolutions dans les grandes entreprises ces dernières décennies.
Ces évolutions décrites jusqu’à la domination des Directions des Achats ne se font pas « toutes choses égales par ailleurs ». Par exemple la disparition de la R&D chez les « petits » fournisseurs s’accompagne d’un appauvrissement de l’offre de leurs clients alors que l’innovation reste un moteur important de bien des secteurs.
D’autre part, la Direction des Achats du Grand Groupe Ultime (qui aura racheté quasiment tous ses concurrents) pourra-t-elle acheter directement les milliers d’individus EURL offrant leurs services ? Il y aura - il y a - un problème d’adaptation d’impédance, avec des intermédiaires qui allongeront encore la chaîne ténue qui reliera celui qui produit le service et le donneur d’ordre.
Où se passera l’apprentissage dans un tel monde ?
Parmi les grands groupes, ce sont peut être ceux qui ne resteront pas sur un modèle gains de productivité par diminution des coûts visibles (achats) mais bien plutôt ceux qui feront des paris sur le changement avec les dépenses et les équipes nécessaires, qui seront en meilleure posture.
Je m’interroge sur la pérennité de l’illusion selon laquelle toute offre se vaut, est standardisée et banalisée (e.g. un informaticien).
Google par exemple consacre beaucoup de temps de ses collaborateurs pour recruter de nouveaux collaborateurs, et ne choisit pas les moins chers, une approche aux antipodes des Directions des Achats, et qui semble lui réussir.

Du coup, la conclusion « il est dans l'ordre des choses et du progrès des pratiques de l'économie moderne que, dès que ces contraintes réglementaires auront été levées ou fortement assouplies, on assiste à un nouvel essor de la profitabilité des grandes entreprises. … On peut parier que les bourses d'actions ne manqueront pas de saluer d'un coup de chapeau exceptionnel ces nouvelles opportunités. » parait moins certaine.

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