Europe : pour un libéralisme régulé

Au XX° siècle la libéralisation des échanges a permis une croissance mondiale sans précédent. Depuis l'instauration en 1947 du GATT, l'ancêtre de l'Organisation Mondiale du Commerce, les tarifs douaniers moyens ont diminué de plus de 90% entre les pays industrialisés, les échanges ont été multipliés par quinze et la production mondiale par huit.

Pour aller plus loin, il faut s'attaquer maintenant "aux barrières non tarifaires et aux pratiques protectionnistes" de certains pays comme les Etats-Unis d'Amérique.

Ces derniers entendent pourtant "imposer l'ouverture et la fin des aides gouvernementales" pour les secteurs de l'économie où ils sont leaders.

C'est le cas, en particulier, de l'agriculture, de l'industrie de l'audiovisuel et des services.

Pour le reste, ils n'hésitent pas à se protéger par des mesures anti dumping unilatérales ou bien par des pressions afin d'imposer des accords d'autolimitation de la production et des exportations à leurs concurrents principaux.

L'Europe a un déficit structurel avec les Etats-Unis mais étonnamment ce sont eux qui la menacent des pires rétorsions commerciales !

Si l'Europe était plus vertébrée, c'est elle qui devrait ramener son fournisseur à la raison !

Elle ne devrait pas baisser la garde sans exiger la réciprocité !

Malheureusement (mais pourquoi ?) la philosophie  très "libérale" de la Commission Européenne repose sur l'idée  et le principe fondateur  selon lesquels  le simple jeu des marchés de produits et de services constitue en soi la meilleure organisation possible du monde ...

Pour examiner ce qui peut se passer avec l'ouverture totale des marchés il suffit de considérer l'exemple de " l'industrie textile " qui est, selon la Commission, " le domaine où l'intégration des marchés communautaires n'est pas loin d'être achevée... ".

On sait les drames qu'a connus cette industrie en Europe où 40 % des emplois ont été détruits définitivement en 10 ans ! Ce secteur a déjà reçu " l'onde de choc " provoqué par la levée des barrières  non tarifaires. D'autres industries suivront même celle dites traditionnellement à " valeur ajoutée " comme par exemple la création de logiciel.

Perdre toute industrie de masse ? Pourquoi pas ? Mais comment occuperons-nous les masses de personnes ainsi réduites à une inactivité forcée ? Certes il existe des solutions pratiques  basées sur l'émigration, par exemple, mais enfin, quel déchéance pour l'idée de Progrès !

En attendant, le chômage de plus en plus massif ...

Comme les alchimistes du temps jadis ne sommes-nous à la recherche de la nouvelle pierre philosophale qui nous permettrait de transformer tout "vil chômeur peu qualifié" en "nouvel entrepreneur en or massif " ?

Par ailleurs, les entreprises les moins compétitives ou les moins résistantes devront donc s'adapter ou disparaître  comme des espèces supplantées par d'autres. Dans ce monde "darwinien" les plus forts c'est à dire les plus rusés et les plus "agressifs" mais pas nécessairement les plus "compétents"  prendront la place des plus faibles, des plus "honnêtes"….

Certes, il est prévu d'accroître les fonds structurels pour panser les plaies les plus vives mais ne risque-t-on pas de voir certaines régions de l'Europe se transformer définitivement en assistées de l'Europe ou définitivement en nouvelles zones structurellement sous-développées ?

Mais, ce qui est pire, on prend le risque d'affaiblir définitivement la zone économique d'Europe tout court et de l'ouvrir, offerte à d'autres acteurs plus forts et organiser des rencontres contre nature entre des poids lourds et des poids plumes...

Tout cela, pourquoi ?

Parce que, dixit la Commission,  « les entreprises étrangères seront  alors  bien placées pour saisir les chances que leurs rivales européennes auraient laissé passer ».

Sans être immédiatement taxé par la pensée unique ambiante de "conservatisme ou de bestial patriotisme économique" voire "d'opposant à la nouvelle modernité", il devrait être possible de penser que le rempart de la souveraineté des Etats devrait, un tant soit peu,  s'opposer à une extension sauvage du libre-échange dans les "zones sensibles pour la survie d'une existence nationale intègre".

On ne peut que constater que "la logique simpliste" des coûts comparatifs internationaux menace des pans entiers de nos secteurs industriels et pas seulement le textile (prochainement, l'industrie des équipements informatiques et bientôt celle des services informatiques à haute valeur ajoutée).

L'Europe ouverte ne devrait  pas signifier l'Europe offerte  à tous vents !

Il faudrait trouver une parade à la loi de la jungle animale ambiante par une réelle organisation et régulation du libre-échange, d'abord au sein de l'Europe mais aussi entre l'ensemble européen et les autres continents en particulier sur les conditions des délocalisations  massives de certaines productions.

Le libre-échange n'est que le "moteur" d'une économie ouverte et libérée, rien de plus. Ce n'est pas le régime du moteur qui doit dicter au pilote et aux passagers la manière d'organiser et de vivre leur voyage…

Nous savons tous que le "moteur" est certes important mais qu’il n’est pas suffisant pour constituer à lui seul la réalité, l'intérêt et la finalité d'une automobile !

L'Europe toute entière devrait se mobiliser pour imposer à ses partenaires le principe de  "réciprocité dans l'ouverture" mais aussi le principe "d'équité dans les conditions réelles et donc sociales"  de la concurrence...

Evidemment  le monde peut aller sans cela un certain temps, mais où et comment ?

Un peu de "vigilance" et d'anticipation nous montrent le visage d'un monde, qui sera le nôtre et celui de nos enfants, dont on peut se demander s'il sera vraiment agréable à vivre même pour les quelques privilégiés qui auront su et pu en tirer avantage…

Vouloir mettre en concurrence directe des conditions de production qui ont un sens économique "localement" avec des conditions de production distantes sans tenir compte de la réalité humaine, sociale et politique, revient à dire que "le  Politique" va devoir définitivement se mettre à genoux devant "l'Économique piloté par la Finance" et à son seul service. Est-ce là le but réel recherché ?

Les Etats qui laisseront le phénomène se développer spontanément deviendront bientôt "de simples gestionnaires de ressources au service des grandes entités économiques mondiales", leurs Directions des ressources Humaines et Financières, en quelque sorte !

Par contre un partenariat volontariste de nature contractuelle, une sorte de co développement  entre Etats riches et Etats pauvres, un cadre général organisateur mais qui laisserait libres les acteurs économiques, aurait un réel sens et pourrait résoudre plusieurs des grands problèmes actuels de nos sociétés hyper développées et saturées mais et malheureusement vieillissantes et donc structurellement en fin de croissance naturelle

Cela ne veut pas dire qu'il faille céder pour autant à la tentation protectionniste étroite mais il faut trouver un système à inventer qui mette en concurrence des joueurs qui jouent "dans la même catégorie" … comme dans le monde la boxe !

Il faut pour cela seulement trouver une nouvelle voie historique basée sur l'équilibre des conditions des échanges et un cadre contractuel plus large entre Etats partenaires véritables chefs d'orchestres des flux économiques et humains…

Share

Ajouter un commentaire