Economie de l’énergie nucléaire et intervention des Etats

NucleaireA la toute fin août, l’information tombe : « La France et les États-Unis ont signé les 13 et 28 août 2013 une déclaration conjointe sur la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires. Cette déclaration affirme l’engagement des deux pays à contribuer à l’établissement d’un régime mondial de responsabilité civile nucléaire permettant une juste indemnisation des victimes d’accidents nucléaires… »[1].

Cette initiative rappelle, si besoin, la nécessaire intervention des Etats dans le champ de la réparation des dommages occasionnés du fait des installations nucléaires.

Dès le début des années 60, plusieurs pays, dont la France, ont décidé, sous l’égide de l’OCDE, d’instaurer un régime de responsabilité objective[2] en matière de nucléaire civil et d’harmoniser les règles de droit entre eux pour tenir compte du fait que les dommages nucléaires ne connaissent ni frontières, ni nationalités. Le dispositif aujourd’hui en vigueur en France est issu de la Convention de Paris (29 juillet 1960)[3] modifiée par la Convention de Bruxelles (31 janvier 1963) : au-delà d’un montant d’indemnisation obligatoirement assuré par les soins de l’exploitant, fixé par la loi à 91,5 millions d’euros, c’est d’abord l’Etat français (si l’accident a lieu en France), puis l’ensemble des Etats parties prenantes à la Convention, qui sont engagés à indemniser les victimes jusqu’à un plafond d’environ 350 millions d’euros par accident nucléaire.

En parallèle, d’autres pays, sous l’égide de l’AIEA (Agence Internationale pour l’Energie Atomique), avaient établi un régime proche mais distinct en signant la Convention de Vienne (21 mai 1963).

La catastrophe de Tchernobyl (1986) ayant fait prendre conscience des enjeux considérables en termes de montants et de coopération transfrontière, les pays signataires de ces différentes conventions ont signé un Protocole Commun OCDE-AEIA le 21 septembre 1988 visant à établir une « passerelle » entre les deux régimes en s’engageant dans la voie de la reconnaissance mutuelle et de l’harmonisation.

C’est dans ce cadre que les conventions de Paris et de Bruxelles sont en cours de mise à jour avec les Protocoles du 12 février 2004. Ces derniers sont d’ores et déjà ratifiés par la France et d’autres pays mais pas encore par tous les Etats signataires requis[4]. A leur entrée en vigueur, les plafonds d’indemnisation indiqués plus haut passeront respectivement à 700 millions et 1 500 millions d’euros par accident. En outre, la couverture sera étendue aux dommages environnementaux. Dans le même cadre, des protocoles sont venus amender la Convention de Vienne.

Enfin, une Convention sur la Réparation Complémentaire a été établie le 12 septembre 1997, ouverte notamment aux Etats-Unis, qui ne sont partie à aucune des conventions précitées, mais jamais entrée en vigueur. C’est dans ce contexte qu’il faut lire la déclaration conjointe de la France et des Etats-Unis d’août 2013, qui réaffirme le besoin de coordination internationale pour l’indemnisation des dommages provoqués par les accidents nucléaires avec l’implication financière des Etats. Il va sans dire que la coopération en matière de normes de sûreté nucléaire est, avant tout, absolument essentielle, même si cela sort du propos de cet article.

Ainsi, en plafonnant la responsabilité des exploitants (à 91,5 millions d’euros aujourd’hui et 700 millions demain) et en exigeant la souscription d’une couverture d’assurance, les Etats ont délimité l’engagement financier des opérateurs de marché, de manière à ce que l’investissement dans l’énergie nucléaire reste supportable, donc possible. Au-dessus de ces plafonds, les Etats ont organisé des mécanismes de financement public (jusqu’à 350 millions d’euros aujourd’hui, 1 milliard et demi demain). Il est certain que les États interviendraient si nécessaire encore au-delà de ces montants, même si le cadre d’une telle intervention n’est pas réglé par les conventions internationales. Les conséquences d’un accident nucléaire étant transfrontalières, les pays se sont en outre coordonnés pour y faire face.


[1]
            Site Internet du ministère de l’Ecologie

[2]
            C’est-à-dire engageant la responsabilité de l’exploitant en cas d’incident même s’il n’a pas commis de faute. On dit parfois « responsabilité sans faute ».

[3]
            Pour toutes les conventions, ce sont les dates de signature qui sont ici mentionnées, et non les dates de ratification ni d’entrée en vigueur.

[4]
            Dans l’Union européenne, la Belgique, l’Italie et le Royaume-Uni ne les ont pas encore ratifiés.

 

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Commentaires

merci Pierre, pour cette annonce d'un fait passé quasiment inaperçu.
Ce processus ouvre sans doute la voie à la dédiabolisation indispensable de l'énergie nucléaire. Quelle va être la position de l'Allemagne ? Otto nous a laissé entendre le 12 septembre que, une fois gagnées les élections, Merkel allait revisiter les décisions énergétiques de l'Allemagne. Les principes c'est bien, mais connaître le coût de l'application des principes, c'est mieux.
Et les assurances sont là pour permettre de faire mieux que d'appliquer démagogiquement le "principe de précaution".

"Les plafonds d’indemnisation indiqués plus haut passeront respectivement à 700 millions et 1 500 millions d’euros par accident."

Questions ?

- Combien coûterait l'évacuation de Tokyo en cas d'effondrement de la piscine de stockage de Fukushima ?

- Combien coûterait le plan B de TEPCO pour geler le sol de la central de Fukushima ?

- Combien coûterait la décontamination du sol : Plutonium... (MOX)

- Combien coûterait un nouveau sarcophage pour Tchernobyl ?

1,5 milliard financé par de la dette... Un bien bel écran de fumée.

Le problème des assureurs et des "ré"assureurs c'est qu'ils ne connaissent pas bien le nucléaire mais qu'ils en sont la caution.

Sky

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