Du recyclage à l’écoconception

Il y cent ans, il suffisait de sortir les déchets des villes. Plus tard, il a fallu les éliminer. Maintenant, les opérateurs doivent les valoriser et les industriels s’efforcer de fabriquer des objets le plus recyclable possible. Que peut-on espérer ? Faut-il croire aux sirènes du « zéro déchet » ?

Mais tout d’abord un petit mot sur SITA France, filiale du groupe GDF-SUEZ. Créée en 1919, la Société Industrielle des Transports Automobiles (SITA France) emploie aujourd’hui 23 000 salariés et génère près de 3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Mes responsabilités, ces douze dernières années, notamment à la tête de SITA France mais aussi hors de France, me permettent de faire des comparaisons et d’éviter de tomber dans l’ornière d’une vision un peu trop franco-française. Que peut-on dire, à une heure si matinale, sur les déchets ?

Evolution de la gestion des déchets en France

Un chiffre pour commencer : chaque Français produit 550 kg de déchets par an. SITA, tout comme les autres entreprises du secteur, ont pour fonction de gérer les conséquences de cette production de déchets. Avant de développer cet aspect, et pour éviter toute ambigüité, je souhaiterai insister sur trois points :

Le premier concerne la production de déchets. En France, on considère que les ménages, et donc les collectivités territoriales qui sont en charge de ce secteur, produisent, en France, 30 millions de tonnes de déchets par an ; Les entreprises, 90 millions de tonnes/an. Proportion de un à trois que l’on retrouve dans toutes les économies de l’OCDE. Lorsqu’on parle de déchets, on a tendance à se focaliser essentiellement, y compris dans les médias, sur les déchets des ménages. Une explication parmi d’autres ? Le fait que ces déchets soient mesurés le plus précisément, sous quelque angle que ce soit, en particulier pour des raisons d’impact fiscal puisque c’est l’impôt qui va en financer la collecte et le traitement. Deux autres catégories de déchets, et pas des moindres, ne sont pas comptabilisées dans les déchets des entreprises. Ce sont tout d’abord les déchets du secteur de la construction et du BTP. Ils atteignent en France près de 300 millions de tonnes par an ! Certes ni les masses, ni les volumes, ni la nature des déchets ne sont les mêmes. Autre secteur de production de déchets dont on commence à peine à parler maintenant, c’est celui de l’agriculture avec, là encore, près de 300 millions de tonnes par an.

Le deuxième a trait à la vision de long terme que l’on peut avoir de l’activité. Faire remonter SITA à 1919 avec la création de la Société Industrielle des Transports Automobiles n’était, de ce fait, pas gratuit.

Le troisième est lié à la gestion des déchets. On peut dire qu’en matière de gestion des déchets, qu’elle soit publique ou privée, nous sommes entrés, depuis le début des années 2000, dans un 3ème chapitre.

Le premier chapitre a été écrit autour de la problématique de l’évacuation des déchets hors des villes. Les collectivités, dont les maires sont en charge de l’hygiène et de la salubrité publiques, ont demandé à des entreprises d’évacuer les déchets des centres ville dans un souci de santé publique. Ce premier acte a été fondé sur des opérations de logistique. En 1919, juste après la première guerre mondiale, SITA s’est lancée dans la construction de camions qu’elle a proposés, notamment, à la ville de Paris pour passer d’une collecte hippomobile à une collecte automobile de déchets essentiellement fermentescibles et organiques. Cette phase a duré, dans notre pays, jusque vers la fin des années 60.

Le deuxième englobe trois décennies, jusqu’à la fin des années 90. Dans cette période, la question n’était plus celle de l’évacuation des déchets du centre des villes mais des moyens de les éliminer proprement. Les décharges sauvages ont été, peu à peu, éradiquées. Deux grandes méthodes ont été mises en œuvre : l’enfouissement et l’incinération.

Aujourd’hui, nous entrons dans un troisième chapitre. Une approche nouvelle se fait jour. Celle de la valorisation des déchets durant la phase intermédiaire entre la collecte et l’élimination des déchets. Cette valorisation peut prendre plusieurs formes. Cela peut être une valorisation matière sous forme de recyclage ; une valorisation biologique par la production de compost ; une valorisation énergétique par la méthanisation dans les centres d’enfouissement ou l’alimentation de réseaux de chaleur à partir des incinérateurs …

Règlementation européenne

Rappelons enfin un fait : les activités dans le secteur des déchets, notamment de par leur origine, sont règlementées. Partout. En Europe une Directive déchets existe. Elle a été révisée en 2010 avec une extension règlementaire précisant le rôle des acteurs du secteur dans la gestion des déchets, en particulier en matière de recyclage. Aujourd’hui, on parle de plus en plus, dans la presse par exemple, de recyclage de téléphones ou de batteries, de véhicules automobiles … Sujets dont on ne parlait pas encore il y a 10 ans.

La règle au niveau européen est fondée sur une hiérarchie de solutions. Pour faire face aux déchets et assurer la meilleure gestion possible, on doit s’efforcer de privilégier un type de solution en priorité. Lorsque ce type de solution ne peut être atteint, on passe au suivant. Cinq niveaux ont ainsi été défini, par ordre de priorité :

  • La prévention : avec l’idée que le bon déchet est celui qui n’a pas été produit ;
  • La réutilisation : le produit n’est quasiment pas passé par la case déchet ;
  • Le recyclage : au terme d’un process qui peut être plus ou moins fort, on peut transformer le "déchet" en "matière première" pour fabriquer de nouveaux produits. C’est le cas par exemple du recyclage des bouteilles en plastique ;
  • La valorisation : elle est surtout énergétique par le biais de l’incinération ;
  • L’élimination : elle recouvre, pour l’essentiel, l’enfouissement.

Au niveau européen, il n’y a donc pas d’exclusive. Il y a une hiérarchie assez claire et une conscience aigüe que tout ne peut pas changer instantanément. Mais tous les pays, en fonction de leur degré de développement économique, devraient à terme s’y adapter.

France : une perception très atypique

Quelle est la situation en France ? A ce propos, je souhaiterai partager trois idées avec vous.

La première, c’est qu’en matière de gestion des déchets, de recyclage, voire d’écoconception, la France est dans une perception extrêmement atypique. Commençons tout d’abord par quelques aspects positifs. Vous remarquerez, premier aspect positif, que dans notre pays, on parle relativement peu de la problématique déchets. Les déchets produits tant par les ménages que par les entreprises sont plutôt bien traités. Lorsqu’on sort dans la rue, en laissant de côté la question de la propreté ou pas de trottoirs parisiens qui relève d’autres comportements, on ne voit pas de déchets. La gestion des déchets est mieux maîtrisée. En un mot, elle ne constitue plus de facteur de crise comme cela a pu être le cas vers la fin des Trente glorieuses. Autre aspect positif : l’équilibre du dispositif. En France, un tiers des déchets, toutes catégories confondues, sont incinérés, un tiers sont enfouis et un tiers sont recyclés. En la matière, et c’est le troisième aspect positif, la France est aux standards européens. On n’a pas de complexes à avoir à l’égard de pays perçus comme étant à la pointe du recyclage tels l’Allemagne et l’Europe du Nord en général. Si l’on analyse l’ensemble des déchets, ou même si l’on observe les déchets des ménages, la France se situe, là encore, dans une moyenne européenne assez honorable.

A quoi tient alors cette perception atypique dont je parlais plus haut ? A ce que, malgré les aspects positifs cités, les Français, à travers le prisme des déchets, donnent libre cours à une certaine forme de masochisme. Maladie hexagonale dont certains symptômes sont connus. Le premier est de considérer que « l’herbe est toujours plus verte chez le voisin ». On a fréquemment tendance à considérer que les déchets sont moins bien gérés chez nous qu’en Suisse, en Suède ou en Norvège par exemple. Ce qui est totalement inexact.

Certes la façon dont les choses sont gérées est un peu différente ; le tri, notamment chez les ménages, est un peu plus développé dans les pays cités mais pour le reste le processus de traitement post tri est similaire même si l’on y utilise un peu plus massivement l’incinération aussi. Pourtant la perception d’un retard de la France dans ce domaine reste vivace.

A cet égard, mes responsabilités dans le secteur des déchets dans d’autres pays européens mais aussi hors d’Europe avec des filiales très importantes à Hong Kong ou en Australie par exemple, m’ont permis de déceler des différences de sensibilité face à la problématique de la gestion des déchets. Différences qui amènent les populations concernées à privilégier tel ou tel type de traitement au détriment de tel autre.

Le deuxième, dont le champ d’application est plus large que la question des déchets, peut être résumé comme suit : « nous savons d’abord ce que nous ne voulons pas avant de savoir ce que nous voulons ». Une attitude qui rend quasi impossible la construction du moindre incinérateur dans le pays. A l’exception de celui en cours de construction à Clermont-Ferrand, aucun dossier sérieux d’incinération n’est prévu. Même la reconstruction du très grand incinérateur d’Ivry/Seine lancée par le Syctom dix ans auparavant va, dans le meilleur des cas, s’étendre pendant encore dix ans ! Ce syndrome de « pas de ça chez moi », touche également tout projet de centre d’enfouissement. Pendant ce temps, les déchets sont toujours là. Face à la fronde de leurs administrés, les collectivités territoriales font dans le "détournement" sémantique et parlent de centres de tri mécanico-biologiques. Ce qui veut dire ? Des centres où l’on transporte les déchets pour les trier. Cela reste toujours des centres de tri. Et à la sortie d’un centre de tri, il restera toujours des déchets. Qu’en fait-on ? La question reste entière.

Refus de la valorisation des déchets

Il est vrai que l’aversion des Français aux installations de valorisation notamment énergétique des déchets se nourrit d’un passé pas très glorieux. Tant les pouvoirs publics que les exploitants, privés ou publics, ont considérablement tardé, dans les années 90, à tirer les conclusions en termes d’adaptation du traitement des fumées des incinérateurs suite au scandale de la dioxine. Ce scandale-là continue, malheureusement, de polluer le débat sur le traitement des déchets dans notre pays.

Je rapprocherai d’ailleurs cette attitude française de celle des Anglais dont le mot d’ordre est « Not in my backyard ! », en particulier dans le sud de l’Angleterre où les difficultés de développement d’installations sont extrêmement importantes. Résultat : leurs déchets sont incinérés aux Pays-Bas. Ce qui fait dire, très récemment, à une ancienne parlementaire britannique du parti conservateur (présidente de la Commission environnement du Parlement européen pendant près de dix ans) : « nous sommes en train d’exporter notre énergie ». Qui, en France, tiendrait des propos pareils ? Personne.

Au cours de la période récente, SITA a en revanche pu construire trois grandes installations dont une sur la frontière entre les Pays-Bas et l’Allemagne et la deuxième à Roosendaal, entre Anvers et Rotterdam aux Pays-Bas. De même, quand vous visitez Stockholm, Copenhague ou Vienne, vous constaterez que la valorisation énergétique des déchets est beaucoup mieux acceptée par les populations. Il n’est pas rare que les incinérateurs soient sinon en centre ville du moins pas loin des zones d’habitation.

En résumé, on peut dire, qu’à l’échelle européenne, la France n’est pas un mauvais élève. Toutefois, la perception qu’ont les Français des problématiques liées au traitement des déchets est toute autre que celle de la plupart des Européens.

Pistes pour l’avenir

Maintenant que peut-on dire sur l’avenir ? On entend parler d’économie circulaire. Ce concept repose sur l’idée suivante : des déchets sont produits et, au terme d’un process qui peut être plus ou moins complexe, ils sont réintroduits dans le circuit économique. C’est une idée séduisante mais qu’il faut aborder avec précaution.

L’économie circulaire existe, d’ores et déjà, dans le traitement de certains plastiques, du papier et du verre. Prenons l’exemple du verre. Depuis l’origine, dans la plupart des pays européens, les fabricants de verre ont intégré cette activité de récupération du verre qui est ensuite fracassé pour fabriquer du calcin. Calcin qui est utilisé de nouveau pour fabriquer du verre. Pour deux raisons. La première c’est que techniquement c’est faisable. La seconde a trait à la consommation d’énergie. On consomme moins d’énergie, ce qui est appréciable lorsque le prix de l’énergie est élevé, en fabriquant du verre à partir de calcin et non du mélange originel.

De la même façon, le papier, les cartons, les métaux ferreux et non ferreux font l’objet d’une récupération et sont traités soit par les exploitants de déchets soit par des sous-traitants.

Il ne fait aucun doute, à mes yeux, qu’entre la collecte et le déchet résiduel, il existe des gisements de valorisation importants. Il y a quinze ans, on parlait d’activités de récupération représentées par Federec (Fédération de la Récupération). Aujourd’hui, Federec est devenue la Fédération du recyclage. Un glissement sémantique qui accompagne bien l’évolution de ce secteur d’activités.

L’économie circulaire en question

Pourquoi alors insister sur le fait qu’il faudrait se méfier de l’utilisation abusive du concept d’économie circulaire ? Je vois, pour ma part, trois difficultés à surmonter :

  • La première est d’ordre technique et technologique : tout n’est pas recyclable à l’infini. Prenons les bouteilles en plastique. Actuellement, on peut avoir cinq cycles consécutifs. Au terme de ce cinquième cycle, les molécules produites ne sont plus aptes à la fabrication de bouteilles. On pourra probablement améliorer le processus, grâce à la R&D, et gagner un ou deux cycles supplémentaires mais il y a des limites physiques. On ne sait pas non plus tout recycler. Un exemple ? Les écrans plats qui arrivent massivement dans les centres de tri. On ne sait pas encore recycler les écrans plasma. Les techniques de recyclage sont encore balbutiantes pour de nombreuses autres gammes de produits arrivant dans les centres de tri. Notamment les plastiques qui sont en nette augmentation dans les déchets produits par les ménages ou les entreprises.
  • La deuxième a trait au rapport qualité/prix : prenons les LEDs. La récupération des composants en terres rares est coûteuse. Qui est prêt à en payer le prix ? Le rapport qualité/prix concerne un grand nombre de problématiques liés aux activités du secteur. Il doit être mis en perspective avec le concept d’économie circulaire qui sous-tend une préoccupation environnementale.
  • La troisième réside dans la tentation de voir de " l’or " dans les déchets : l’économie circulaire doit, à mes yeux, avoir pour but le recyclage de tout ce qui peut l’être et le traitement efficace des déchets résiduels. Là où je suis mal à l’aise c’est lorsqu’on nie l’étape déchets, même très brève. Ce déni peut mener à des situations scandaleuses. Rappelons-nous, dans les années 80, le scandale d’importation illégale de déchets médicaux allemands retrouvés dans des décharges de l’Est de la France avec leur lot de problèmes de sécurité et santé publiques considérables ! Ou plus récemment, et sous prétexte de recyclage, l’exportation de déchets du port de Rotterdam vers la Chine où ils sont traités dans des conditions inacceptables. Mon propos n’est pas de mettre en exergue les problèmes de distorsion économique, qui relève d’un autre débat, mais de souligner le scandale qui consiste à "polluer" chez les autres. Là où la règlementation est quasi inexistante.

Quelques pistes pour aller vers plus de recyclage en France ? Du côté des ménages, il sera sans doute judicieux d’aller vers davantage de tri à la source. D’autant que tant le coût de la collecte que celui du traitement ont énormément augmenté. Prenons l’exemple de Barcelone. La ville a mis en place, un peu partout, des containers de collecte où les habitants déposent leurs déchets pré-triés. Avantage ? Le coût de la collecte s’en trouve réduit. Autre avantage collatéral ? Moins de bennes en circulation.

Les entreprises doivent, pour leur part, poursuivre les efforts de R&D, de développement technologique … A noter qu’il n’y a pas à attendre de grandes mutations technologiques comme cela peut être le cas dans d’autres secteurs mais une amélioration continue des process notamment dans le tri.

Enfin, un vœu concernant les pouvoirs publics : qu’ils permettent à l’entrepreneur que je suis d’avoir de la visibilité. Visibilité dont une des conditions premières est la stabilité notamment règlementaire.

Christophe Cros

Directeur général de SITA France

Verbatim réalisé par Meriem Sidhoum Delahaye

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