Croissance zéro : la vision de Daniel Cohen

9782226316745mLe dernier livre de l’économiste Daniel Cohen* explore un des thèmes de travail du club : la croissance zéro. C’est un livre d’histoire et d’anthropologie autant sinon plus que d’économie. Avec son talent de plume et de pédagogie habituel Daniel Cohen part chercher son sujet tellement loin dans l’histoire de l’humanité qu’on se demande pendant quelques chapitres s’il va y venir (tout en profitant très agréablement des riches lectures de l’auteur).

S’il croit, à son tour, à l’éventualité d’un ralentissement durable de la croissance, c’est bien pour les mêmes raisons que Robert Gordon, dont les réflexions inspirent tous les sceptiques de la croissance

 : la nouvelle révolution technologique en cours, celle du numérique, ne produit pas, comme les précédentes, d’importants gains de productivité des travailleurs. « Pour que la croissance soit forte il ne suffit pas que des machines performantes remplacent les humains. Il faut qu’elles rendent productifs ceux dont les emplois ont été détruits. » Dans leur nouvel emploi bien entendu. Dit autrement, plus loin dans le livre : « si les emplois qui survivent sont ceux que le progrès technique épargne, que devient le potentiel de croissance des économies ? »

La finitude écologique du monde nous invite par ailleurs à renoncer au pêché de croissance. « Le monde est clos », nous dit le titre du livre.

Une évolution spontanée de la planète devrait nous y aider : la transition démographique. La natalité s’assagit progressivement partout.

Sur les conséquences strictement économiques et comptables du ralentissement de la croissance Daniel Cohen est assez expéditif quand il les aborde très rapidement en fin d’ouvrage. « Il faut tordre le cou à une idée constamment répétée selon laquelle il faudrait de la croissance pour financer les dépenses publiques », écrit-il par exemple. Les services de l’enseignant et du médecin font partie de la richesse produite,« ils ne sont pas prélevés sur celle-ci ». Idem pour les retraites, où il n’est franchement pas convainquant. « Le problème ne se poserait plus (à long terme) si les revenus des retraités étaient mécaniquement indexés sur l’évolution des salaires ». Cette équation n’a de sens, me semble-t-il, que si on indexe la masse des retraites versées sur la masse des salaires perçus, ce qui peut entraîner une forte baisse de la retraite perçue par chaque retraité. En somme, pour lui, pas de problème de finances publiques. « Il faut construire un nouvel Etat-providence qui permette d’échapper à la terreur du chômage et aller vers un monde où perdre son emploi devienne un non-événement ». C’est un peu court.

Pour Daniel Cohen le vrai problème est ailleurs et c’est ce qui fait l’intérêt de ses réflexions. Le problème, c’est notre besoin anthropologique de croissance, cette « religion du monde moderne », cet « élixir qui apaise les conflits », cette « promesse de progrès indéfini ». C’est le « désir infini » qu’évoque le titre du livre.

Ce qu’il faut c’est donc « repenser le progrès » pour qu’il ne soit plus associé dans nos esprits à une consommation toujours croissante de biens matériels. Qu’il soit plus qualitatif. Sur ce point il nous propose moins de conclusions définitives que des têtes de chapitres. Deux m’ont semblé particulièrement importantes. Parce qu’elles montrent bien que les questions soulevées par la croissance zéro concernent plus l’organisation sociale et le vivre ensemble que la production et la consommation.

D’abord Daniel Cohen soutient l’idée que nos sociétés sont devenues franchement individualistes, avec l’entrée dans la société post-industrielle, la société des services. C’est donc un phénomène relativement récent. Fini le rapport traditionnel à l’entreprise et fini le rôle protecteur de l’entreprise. Ceci renvoie bien aux questions que nous nous posons dans le cadre des Vigilants sur le refus du salariat par un nombre croissant de Français, notamment jeunes.

Ensuite Daniel Cohen parle d’une société où on recherche moins des biens matériels que du statut social : habiter un bon quartier, envoyer ses enfants dans une bonne école. Les groupes sociaux ne se rencontrent plus et l’ascenseur social est bloqué. Il pointe avec justesse la propension terrifiante de la société française à l’endogamie sociale. Quand s’y ajoute le creusement des inégalités accentué par la croissance zéro on peut se dire qu’il est urgent de traiter ces problèmes si on ne veut pas qu’ils trouvent leur solution dans des soubresauts politiques majeurs.

* Le monde est clos et le désir infini. Editions Albin Michel

 

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