Chine : parfum d’antan (anecdote)

090817-Fleurs.jpg« Le bonheur naît du malheur, le malheur est caché dans le bonheur » Lao-Tseu

« Perdre vaut mieux que posséder » Jiang Zilong

6 heures du matin sur les bords du Lac de L’ouest à Hangzhou, 200 km de Shanghai.  

Les platanes ont perdu leur parure estivale. Les feuilles des saules battent au vent. L’Automne est là. A l’exception des gardes qui quadrillent les environs, les allées qui bordent le Lac sont désertes. Des bancs vides regardent l’eau argentée qui clapote. La brume submerge tout.

 

Devant moi, un buisson porte ses dernières fleurs. Je tends la main pour cueillir l’une d’elles. Mes doigts se ferment à peine sur la tige quand une vieille chinoise surgit dans mon dos. Elle est noueuse comme un arbre sec et, le visage tordu dans une moue de désapprobation, elle me crie : « Bu Hao ! Bu Hao ! Ce n’est pas bien, il ne faut pas… ». Puis elle continue son chemin en ronchonnant une litanie d’injures dans un Pu Tong Hua incompréhensible. Je laisse la fleur sur le buisson et me remets en marche.

 

Le soir, une amie chinoise m’explique : il est très mal vu de cueillir des fleurs sauvages. Il vaut mieux les laisser se faner et pourrir sur l’arbre plutôt que de les garder dans un vase. On ne doit pas s’approprier la beauté, ni chercher à se révolter contre le temps qui passe, la disparition d’un proche, l’étiolement des choses ... Il faut accepter la déchéance et la douleur comme faisant partie du Tout. Révérer l’éphémère. Se couler dans les cycles. Même fanée, la fleur sera belle encore ; la décrépitude n’est pas antinomique à la beauté. Ici, le temps ne file pas en ligne droite. Il tourne en rond. Dés lors, il faut le bien et le mal, le Yin et le Yang, à l’ordonnancement du monde.

Mais la Chine s’éveille… Tout occupé à singer et rivaliser l’Occident, se peut-il que l’Empire du Milieu ait rompu avec sa temporalité cyclique pour adopter notre modèle finaliste ? A l’âge de la politique de l’enfant unique, de la relativisation du culte des ancêtres et de l’ouverture au Marché, un jeune chinois serait-il aussi offusqué que sa grand-mère par la cueillette d’une fleur sauvage ? Que reste-t-il de l’héritage des siècles à l’heure d’une modernité affolée où l’on ne jure que par le progrès et où être rime avec posséder ?

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